Nous opposerons un historien à un orateur, Voltaire à Bossuet. […] Si Voltaire rend justice à la fois aux ennemis et au prince, c’est pour se montrer impartial ; si Bossuet exalte le courage des Espagnols et leur résistance désespérée, c’est pour rehausser la victoire du prince. […] Voltaire, qui ne veut qu’instruire, s’adresse à l’intelligence du lecteur ; le panégyriste, qui veut prouver, parle à son imagination. […] Voltaire nous a donné une idée nette de la bataille de Rocroy : Bossuet nous a fait admirer le vainqueur : tous deux sont arrivés à leur but par des routes différentes. […] L’éloquence de Voltaire est un courant clair et rapide ; celle de Montesquieu un torrent au lit inégal, tantôt vaste comme un fleuve, tantôt frétillant comme un ruisseau.
Lucain et Voltaire ont tous deux méconnu cette règle dans le choix de leur sujet, ce qui sans doute a nui au succès de leurs poèmes. […] Il faut qu’à l’exemple de Lucain, il se renferme dans les bornes étroites de l’exacte vérité, au risque de ne présenter qu’une narration pleine de sécheresse ; car si, comme Voltaire, il veut aller au-delà, il éprouvera le désavantage de ne pouvoir, dans un événement bien connu, donner du naturel au mélange de la fiction et de la vérité. […] Le lecteur, ainsi que Voltaire l’a remarqué, est tenté de prendre parti pour Turnus contre le prince troyen.