Il suit de là que, sans perdre de vue l’indication du sujet, on doit comprendre dans les éléments de l’exorde les dispositions à inspirer aux auditeurs ou aux lecteurs. […] A cet effet, trois qualités sont requises par Cicéron dans l’auditeur ou le lecteur : il doit être bienveillant, attentif, docile, benevolus, attentus, docilis. […] Toutes deux, négligeant l’auditeur, n’ont rapport qu’au sujet ou à l’idée mère du discours. […] Elle soutient l’attention, soulage la mémoire de l’auditeur, régularise la marche du discours, et oppose à ses écarts une contrainte salutaire. […] Trop énergique, trop saisissant, ou encore trop brillant et trop étudié, soit de pensée, soit de style, l’exorde déroute le lecteur ou l’auditeur.
L’exorde a donc un double but : de se concilier la bienveillance des auditeurs et de captiver l’attention. […] On se met dès l’abord au niveau des passions des auditeurs pour en accroître la force et le mouvement. […] Tout cela empêche l’attention de l’auditeur de se fixer sur le sujet ou sur l’orateur. […] Abandonnez les minuties à la justice de l’auditeur. […] Sans cela l’auditeur renforce dans son esprit le raisonnement attaqué, qui lui paraît dès lors invincible.
Car, dans la narration, l’auditeur tire lui-même la conséquence et s’y attache comme à son propre ouvrage ; dans la confirmation, au contraire, le raisonnement est le travail de l’orateur, et l’auditeur s’en défie. […] Les preuves doivent être proportionnées à l’intelligence des auditeurs. […] Expliquez votre Évangile, l’auditeur sera content. […] À chaque mot, l’auditeur indigné s’élèverait contre ces injustes louanges. […] mes chers auditeurs, plût à Dieu que cela fût ainsi !
Elles sont : 1° dans le sujet ; 2° dans l’âme de l’orateur lui -même ; 3° dans le cœur de ses auditeurs. […] — Par quoi l’auditeur est-il convaincu ? […] C’est comme si l’on demandait : L’orateur doit-il employer une préparation propre à se rendre l’auditeur favorable ? […] Il doit être modeste, parce que l’auditeur est en garde contre les prétentions de l’orateur. […] L’exorde sera proportionné au reste du discours, s’il a précisément l’étendue nécessaire pour disposer l’auditeur.
Cette forme interrogative éveille l’auditeur et le frappe plus vivement. […] Que les larmes de vos auditeurs soient vos louanges. […] Le grand secret est de parler au cœur de ses auditeurs ; il faut que chacun de vos auditeurs s’imagine que vous parlez à lui en particulier. […] Sommes-nous sages, mes chers auditeurs ? […] Elle est nécessitée par la situation même des auditeurs.
Quel est l’orateur qui pourra se flatter d’inspirer à ses auditeurs la pitié pour les malheureux, s’il ne la ressent lui-même ? […] L’Orateur y doit préparer l’esprit de ses auditeurs, à recevoir favorablement les choses qu’il va leur annoncer. […] Il faut qu’il ne soit pas long : il dégoûterait l’auditeur, qui, dès que le sujet lui a été annoncé, est impatient d’en connaître le fond. […] C’est le moyen d’intéresser les auditeurs, de s’attirer leur bienveillance et de surpasser leur attente. […] Il y établit une école d’éloquence, et commença par lire à ses auditeurs sa harangue, qui lui mérita de leur part de très grands éloges.
» En vain la nature, jalouse de sa gloire, lui refuse ces talents extérieurs, cette éloquence muette, cette autorité visible qui surprend l’âme des auditeurs, et qui attire leurs vœux avant que l’orateur ait mérité leurs suffrages. La sublimité de son discours ne laissera pas à l’auditeur transporté hors de lui-même, le temps et la liberté de remarquer ses défauts : ils seront cachés dans l’éclat de ses vertus ; on sentira son impétuosité, mais on ne verra point ses démarches : on le suivra comme un aigle dans les airs, sans savoir comment il a quitté la terre ». […] C’est dans le sein de la sagesse qu’il avait puisé cette politique hardie et généreuse, cette politique constante et intrépide, cet amour invincible de la patrie ; c’est dans l’étude de la morale qu’il avait reçu des mains de la raison même cet empire absolu, cette puissance souveraine sur l’âme des auditeurs. […] Si quelquefois il n’a pas la liberté de mesurer le style et les expressions de ses discours, il en médite toujours l’ordre et les pensées ; et souvent même la méditation simple prenant la place d’une exacte composition, et la justesse des idées produisant celle des paroles, l’auditeur surpris croit que l’orateur a travaillé longtemps à perfectionner un édifice, dont il a eu à peine le loisir de tracer le premier plan. […] C’est là qu’il pèse scrupuleusement jusques aux moindres expressions, dans la balance exacte d’une juste et savante critique : c’est là qu’il ose retrancher tout ce qui ne présente pas à l’esprit une image vive et lumineuse ; qu’il développe tout ce qui peut paraître obscur à un auditeur médiocrement attentif ; qu’il joint les grâces et les ornements â la clarté et à la pureté du dicours ; qu’en évitant la négligence, il ne fuit pas moins l’écueil également dangereux de l’affectation ; et que, prenant en main une lime savante, il ajoute autant de force à son discours, qu’il en retranche de paroles inutiles ; imitant l’adresse de ces habiles sculpteurs qui, travaillant sur les matières les plus précieuses, en augmentent le prix à mesure qu’ils les diminuent, et ne forment les chefs-d’œuvre les plus parfaits de leur art, que par le simple retranchement d’une riche superfluité ».
… Mais cette forme est lente, et l’auditeur supplée aisément la disjonctive. […] Un habile orateur connaît ses auditeurs et de quelle manière il faut les prendre. […] Moyens qu’on trouve dans les dispositions d’esprit et de cœur des auditeurs. […] Dans le premier cas, on se concilie l’affection des auditeurs ; dans le second, leur estime. […] L’auditeur veut d’abord être mis au fait et savoir de quoi il s’agit.
L’auditeur, s’il n’a cette persuasion intime, se méfiera des paroles de l’orateur, même dans les plus justes causes. […] Outre les mœurs qu’il doit posséder, l’orateur doit considérer un autre ordre de mœurs dans ses auditeurs. […] On entend par ces mots les tournures adroites par lesquelles l’orateur évite certaines difficultés qu’il rencontre dans les auditeurs ou dans son sujet. […] Il est facile à l’orateur d’émouvoir des auditeurs déjà passionnés par amour ou par haine ; mais, pour les échauffer, quand ils sont indifférents, pour les amener à aimer ou à haïr, il faut tout l’effort du pathétique. […] Il faut, en outre, sonder par avance les dispositions des auditeurs, pour les faire tourner, suivant leur caractère, au triomphe de sa cause.
Il est donc d’une extrême ressource, pour la persuasion, d’approfondir les différents caractères des auditeurs. […] L’esprit des auditeurs se détend, et il ne reçoit plus ou ne reçoit que faiblement l’impression que vous voulez lui faire. […] L’orateur y doit préparer l’esprit de ses auditeurs à recevoir favorablement les choses qu’il va leur communiquer. […] La narration est un récit par lequel on fait connaître à l’auditeur le fond du sujet. […] Les prédicateurs proportionnaient leur style à l’intelligence de leurs auditeurs.
Sans doute, c’est la nature qui fait les orateurs, comme l’on a dit qu’elle faisait les poètes, nascuntur poetæ ; c’est-à-dire que c’est elle qui donne aux uns et aux autres ce génie actif qui s’élance hors de la sphère commune ; cette âme de feu qui sent et qui s’exprime avec une vigueur qui étonne, et une chaleur qui entraîne l’auditeur. […] Cela ne suffit cependant point encore ; il faut que son style et son débit soient capables de captiver, de commander même quelquefois l’attention de ses auditeurs. […] Tantôt, elle se borne à charmer ses auditeurs par les grâces du style et le piquant des pensées. […] Mais il a ses écueils : il est à craindre que l’orateur, séduit trop facilement par le désir de faire briller son esprit, ne fatigue bientôt l’auditeur par trop de recherche ou d’affectation.
Ne l’oublions pas, en effet, traiter des passions, ce n’est pas seulement, comme dans la rhétorique des anciens, enseigner combien il est important d’émouvoir celles de l’auditeur, et comment on y parvient, mais encore et surtout y voir des sources d’idées, des auxiliaires pour l’invention. […] « Il est impossible, dit Antoine à Crassus, que l’auditeur se livre à la douleur, à la haine, à l’indignation, à la crainte, à la pitié, si tous ces sentiments ne sont profondément imprimés dans l’âme de l’orateur. […] Dans le dolendum est d’Horace, je ne vois point de larmes, mais plutôt cet air et ce langage triste qui doivent nous en arracher à nous spectateurs, auditeurs, lecteurs, troupe de pleureurs, comme les appelle Diderot, qu’il chasse de la scène pour les reléguer au parterre. […] N’est-ce pas Cicéron lui-même, ce grand champion de la passion réelle, qui a dit quelque part, en rapportant l’opinion des péripatéticiens : « Pour allumer la colère dans l’âme de l’auditeur, quand même on ne la ressentirait pas, il faut la feindre du moins par ses paroles et son action. » Relisez aussi le chapitre II du VIe livre de Quintilien, où il traite des passions ; vous verrez, quoi qu’il semble, que nous ne sommes pas loin de nous entendre. […] N’employez que la raison, vos auditeurs ou vos lecteurs pourront approuver votre opinion ; mais arrivez à exciter la passion, ils voudront que votre opinion soit vraie, et ce qu’on veut, on le croit aisément.
Les anciens rhéteurs entendaient par mœurs les qualités et les moyens à l’aide desquels l’orateur parvient à se concilier la faveur, l’estime, l’affection de ses auditeurs. […] Par passions ils comprenaient les qualités et les moyens à l’aide desquels l’orateur parvient à exciter dans l’âme de ses auditeurs un mouvement vif et irrésistible, qui l’emporte vers un objet ou qui l’en détourne. […] Pour les anciens, avons-nous dit, la rhétorique est l’art de persuader des auditeurs ou des juges. […] A défaut d’arguments, ou pour ajouter à leur énergie, l’orateur doit employer l’autorité du caractère, se concilier les auditeurs par ses mœurs réelles ou oratoires, c’est-à-dire par les qualités qu’il possède effectivement ou que son langage peut faire supposer en lui. […] Remarquez enfin que l’orateur ou l’écrivain ne doit pas seulement apprécier les mœurs dans leurs rapports avec l’auditeur ou le lecteur, mais s’appliquer à lui-même la plupart des considérations que nous avons fait valoir.
Le but de l’exorde est aussi de rendre l’auditeur bienveillant et attentif. […] Il est essentiel pour l’orateur de commencer par se concilier la bienveillance de ses auditeurs ou de ses juges, en se présentant devant eux avec modestie et non avec assurance ni suffisance. […] Il sera avantageux à sa cause qu’il commence par donner des preuves solides qui s’emparent tout de suite de l’esprit des auditeurs. […] On comprend que dans les plaidoyers l’avocat ait à combattre les raisons de la partie adverse ; mais dans le sermon, si l’orateur a des ennemis invisibles à vaincre, ce sont les préjugés, les erreurs, rendurcissement, les passions de ses auditeurs. Le rôle de l’avocat n’est pas le même que celui du prédicateur : l’avocat parle à un adversaire qui lui réplique et qu’il combat ; mais le prédicateur parle à des auditeurs silencieux ; il se Tait alors lui-même les objections que son sujet comporte et y répond successivement, de manière qu’il remplit les deux rôles.
Bien dire, c’est parler de manière à produire sur ses auditeurs tout l’effet que l’on désire : c’est en peu de mots parler avec éloquence. L’Éloquence est le talent de bien dire, c’est le talent de faire passer dans l’âme des auditeurs, et d’y imprimer avec force les sentiments profonds dont on est soi-même pénétré. […] Massillon, par exemple, ébranle puissamment les âmes par l’éloquence continue qui règne dans son admirable sermon Sur le petit nombre des Élus, et Racine est constamment sublime dans sa tragédie inimitable d’Athalie, où la grandeur des pensées et des sentiments, l’intérêt des situations et la majesté du style tiennent constamment les auditeurs dans l’admiration la plus profonde. […] L’orateur s’y propose de détourner ses auditeurs de ce qui est mal, ou de les porter vers ce qui est bien, et développe les raisons qui doivent les déterminer.
Ce n’est pas qu’elle ne doive présenter à l’esprit et à la raison des motifs vrais et forts à l’appui de ses prétentions ; mais elle devra toujours le faire en peu de mots, laissant à la réflexion de l’auditeur le soin de pénétrer tous les secrets de la pensée. […] La modestie : L’orateur n’est pour rien dans le triomphe ; c’est l’auditeur qui a vaincu. […] C’est Merci, rival digne de Comté et du vigilant Turenne ; auditeur invisible de leurs conseils, Contraste, pour le coup nous avons peur, nous sommes tombés dans un guet-apens. […] Il en résultera une certaine monotonie pour les auditeurs le plus rapprochés de la tribune, mais ce désagrément sera voilé par une bonne déclamation, et tout le monde entendra et sera satisfait. […] Nous ferons sur nos auditeurs une impression d’autant plus vive quelle sera plus naturelle, et il leur semblera entendre la voix du personnage que nous imiterons.
Corneille et Dacier s’inquiètent beaucoup de ce qu’Aristote paraît assimiler la condition des héros de tragédie à celle des auditeurs. Toutefois Corneille observe que « les rois sont hommes comme les auditeurs et tombent dans ces malheurs par l’emportement des passions dont les auditeurs sont capables »; et Dacier, que « le poëte n’a pas en vue d’imiter les actions des rois, mais les actions des hommes, et que c’est nous qu’il représente.
Le lecteur ou l’auditeur qui comprend sans peine la marche des idées, voit avec plaisir toutes les parties s’enchaîner et se déployer sans confusion. […] Il doit préparer les auditeurs à la connaissance du sujet, et en même temps provoquer leur attention et leur bienveillance. […] L’exorde sera simple, si le sujet n’a pas grande importance ou doit être discuté froidement ; insinuant, si l’orateur a besoin de ménager les passions ou les préjugés de ses auditeurs ; pompeux, si 1a majesté du sujet permet d’étaler tout d’abord les richesses de l’éloquence ; véhément, si la passion qui anime l’orateur et les auditeurs lui permet d’entrer brusquement en matière en lançant la foudre. […] Il faut aussi faire un choix parmi les preuves, négliger celles qui sont légères, et ne s’attacher qu’à celles qui peuvent vraiment influer sur la conviction de l’auditeur. […] Souvent on résume les principales preuves en les groupant avec de nouvelles couleurs et une nouvelle force, pour frapper vivement les esprits et achever de les convaincre-, ou bien, si le sujet prête à l’émotion, l’orateur met en œuvre toutes les ressources du pathétique pour frapper un grand coup ; il emploie les tours animés, les figures hardies, les expressions énergiques, pour toucher, ébranler, subjuguer les auditeurs.
La Prononciation sera claire et distincte si l’on fait entendre distinctement toutes les syllabes de chaque mot ; si on les prononce suivant leur véritable quantité sans cependant y mettre aucune affectation ; si l’on a soin que les finales des mots ne soient pas perdues pour les auditeurs, sans toutefois appuyer sur les voyelles ou les consonnes qui doivent rester muettes. […] Lorsqu’elle est trop haute, elle fatigue les oreilles ; trop basse, les paroles sont confuses et les auditeurs font des efforts pour saisir le sens du discours ; trop rapide, elle ne laisse point le temps de comprendre ; trop lente, elle fait bâiller et endort. […] Massillon, quel était son meilleur sermon : « C’est celui que je sais le mieux, répondit-il. » Et effectivement, la mémoire s’embarrasse-t-elle au milieu du plus beau discours, au milieu d’un passage éloquent, l’orateur devient un tourment pour son auditoire ; tandis qu’une mémoire sûre d’elle-même débite des choses ordinaires, mais avec assurance, avec aisance, et tous les auditeurs admirent des paroles qui paraissent couler de source.