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100. (1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre II. »

Ce qui le caractérise, c’est l’élan spontané, l’émotion vive du poète, la marche impétueuse de sa pensée. […] Il passe du ciel à la terre, il parcourt la nature entière ; dans la fougue de ses pensées, il ne saisit que les plus remarquables ; il peut se passer de transitions, et laisser dans sa marche un désordre apparent qui produit plus d’effet que l’ordre lui-même. […] Il est une inspiration céleste que nous ne pouvons comparer à celle de la terre : c’est celle qui se manifeste dans les Livres saints, et qui a pour interprète les cantiques de Moïse et de David ; rien de plus sublime que les pensées et les images qui remplissent ces chants. […] Les strophes de la chanson se nomment couplets ; la fin de chaque couplet est ordinairement aiguisée par une pensée fine et délicate.

101. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Fénelon, 1651-1715 » pp. 178-204

L’homme digne d’être écouté est celui qui ne se sert de la parole que pour la pensée, et de la pensée que pour la vérité et la vertu3. […] Les poëtes qui ont le plus d’essor de génie, d’étendue de pensées, et de fécondité, sont ceux qui doivent le plus craindre cet écueil de l’excès d’esprit. […] La plupart des gens qui veulent faire de beaux discours cherchent sans choix également partout la pompe des paroles : ils croient avoir tout fait, pourvu qu’ils aient fait un amas de grands mots et de pensées vagues. […] Elles associent la pensée de l’homme à la pensée de Dieu. » 1. […] C’est de la splendeur de la pensée que son langage se colore.

102. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section quatrième. Genre Démonstratif. Les Panéryriques. — Chapitre VIII. De l’Oraison funèbre. »

Au contraire, s’il est capable d’avoir toujours l’œil vers les cieux, même en louant les héros de la terre ; si, en célébrant ce qui passe, il porte toujours sa pensée et la nôtre vers ce qui ne passe point ; s’il ne perd jamais de vue ce mélange heureux, qui est à la fois le comble de l’art et de la force, alors ce sera en effet l’orateur de l’évangile, le juge des puissances, l’interprète des révélations divines ; ce sera en un mot Bossuet ». […] Quel sujet en effet, et quelles sources il ouvrait à l’éloquence des choses et au sublime de la pensée ! […] Ce n’est point là un vain luxe de mots mal à propos prodigués : c’est une grande pensée rendue sensible par une grande image ; et c’est ainsi qu’on est vraiment éloquent. […] et avec quel génie les grands écrivains ont tiré parti de tout ce que présente d’imposant la pensée de la mort ! […] Et quel est notre aveuglement, si toujours avançant vers notre fin, et plutôt mourants que vivants, nous attendons les derniers soupirs pour prendre les sentiments que la seule pensée de la mort nous devrait inspirer à tous les moments de notre vie ?

103. (1881) Cours complet de littérature. Poétique (3e éd.) « Poétique — Première partie. De la poésie en général — Chapitre III. De la forme extérieure de la poésie » pp. 22-70

C’est pour cette raison que les pensées, les mots, les tours, les figures ont, dans la poésie, un degré de hardiesse, de liberté, qui paraîtrait excessif dans la prose. […] Montrez que la poésie s’attache au choix des pensées. […] Comme, dans les genres élevés, les acteurs qui parlent ont des idées et des connaissances supérieures à celles du vulgaire, l’élévation, la force, la grandeur, la finesse, la richesse des pensées doivent y régner : tout y doit être or et pourpre. Mais c’est surtout dans l’épopée et dans l’ode que les pensées doivent prendre un caractère de hardiesse qu’elles n’ont nulle part ailleurs ; tout y est image, tout y est animé. […] Le poète n’est pas moins occupé de choisir ses expressions que ses pensées.

104. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Descartes, 1596-1650 » pp. 9-14

Jamais mon dessein ne s’est étendu plus avant que de tâcher à réformer mes propres pensées, et de bâtir dans un fonds qui est tout à moi. […] Ce n’est pas que je veuille vous conseiller d’employer toutes les forces de votre résolution et constance pour arrêter tout d’un coup l’agitation intérieure que vous sentez ; ce serait peut-être un remède plus fâcheux que la maladie : mais je vous conseille aussi d’attendre que le temps seul vous guérisse, et beaucoup moins d’entretenir ou prolonger votre mal par vos pensées ; je vous prie seulement de tâcher peu à peu de l’adoucir, en ne regardant ce qui vous est arrivé que du biais qui vous le peut faire paraître le plus supportable, et en vous divertissant le plus que vous pourrez par d’autres occupations2. […] Cette pensée signifie : ont toujours quelque idée nouvelle de réforme chimérique. […] Descartes était un de ces philosophes qui, vivant par la pensée, avaient la faculté précieuse de se recueillir, de s’abstraire assez pour trouver la solitude, au milieu de la foule.

105. (1897) Extraits des classiques français, seizième, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours moyens. Première partie : prose. [Seizième siècle] « XVIe siècle — Prose — Michel de Montaigne, 1533-1592 » pp. -

Disons seulement que, si trop de scepticisme et d’insouciance épicurienne se montre sous les contradictions de ses pensées notées au jour le jour, la faute en est au siècle où il vécut. […] Trésor inépuisable d’observation et d’expérience, son livre, ouvert à n’importe quelle page, nous offre partout et toujours des pensées profondes, exprimées d’une façon durable, et se détachant avec ce relief qui les grave dans la mémoire. […] Nul écrivain n’a jamais été plus riche en comparaisons vives et hardies, en métaphores rapides et involontaires qui obéissent à la pensée et la rendent visible. […] Cette pensée est peu claire. […] Cette pensée de Sénèque (Ép., 123) veut dire : « C’est une des conditions essentielles de la liberté qu’un estomac bien réglé. » 5.

106. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Boileau 1636-1711 » pp. 401-414

Ma pensée au grand jour partout s’offre et s’expose ; Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose. […] La plupart, emportés d’une fougue insensée, Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée. […] Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée, Ne peut plaire à l’esprit quand l’oreille est blessée. […] Nous bégayons longtemps nos pensées, avant d’en trouver le mot propre. […] La pensée d’argent flétrit tout ce qu’elle touche.

107. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Chapitre XVI. des qualités essentielles du style. — clarté, pureté  » pp. 217-229

Que les pensées soient vagues et mal conçues, que leur arrangement soit pénible ou irrégulier, vous avez beau travailler l’expression, elle reste obscure et mal dessinée. […] Pour bien écrire, ce n’est donc pas assez de bien concevoir : il faut encore apprendre l’ordre dans lequel vous devez communiquer l’une après l’autre des idées que vous apercevez ensemble, il faut savoir analyser votre pensée. […] On se trompe encore si l’on croit que l’obscurité ajoute à l’énergie ou à l’élégance de la pensée. « La clarté, dit très-bien Vauvenargues, orne les pensées profondes. » Certains écrivains allemands ont une prédilection toute particulière pour les ténèbres du langage ; les intelligences les plus obstinées s’usent à vouloir les pénétrer. […] En altérant la pureté du style, elles nuisent à la clarté de la pensée.

108. (1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Chefs-d’œuvre de poésie. — L. Racine. (1692-1763.) » pp. 267-276

A me servir aussi cette voix empressée, Loin de moi, quand je veux, va porter ma pensée : Messagère de l’âme, interprète du cœur, De la société je lui dois la douceur. […] La pensée, éclatante lumière, Ne peut sortir du sein de l’épaisse matière3. […] L’auteur a entrepris de développer cette pensée de Pascal : « A ceux qui ont de la répugnance pour la religion, il faut commencer par montrer qu’elle n’est pas contraire à la raison ; puis, qu’elle est vénérable ; faire souhaiter qu’elle soit vraie et montrer ensuite qu’elle est vraie, et enfin qu’elle est aimable. » Le plan, dit La Harpe, est parfaitement tracé ; les preuves sont bien choisies, fortifiées par leur enchaînement et déduites dans un ordre lumineux. […] Un contemporain de Louis Racine, Saint-Lambert, l’auteur du poëme des Saisons, a développé fort heureusement des pensées analogues, en peignant dans une brillante description les désastres causés par un orage (l’Eté). […] Ce trait rappelle quelques vers charmants de Bertaut, fort aimés et très-souvent répétés par nos pères : Félicité passée, Qui ne peux revenir, Tourment de ma pensée, Que n’ai-je, en te perdant, perdu le souvenir ?

109. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Bossuet 1627-1704 » pp. 65-83

Édifier, éclairer, diriger les âmes fut son unique ambition, et c’est de lui qu’on peut dire : « Il ne se sert de la parole que pour la pensée, et de la pensée que pour la vérité et la vertu. » Le spoliateur du pauvre Vous1 avez dépouillé cet homme pauvre, et vous êtes devenu un grand fleuve engloutissant les petits ruisseaux ; mais vous ne savez pas par quels moyens, ni je ne me soucie pas de le pénétrer. […] Là, tous nos beaux desseins tomberont par terre3 ; là, s’évanouiront toutes nos pensées. […] Le discours de l’Apôtre est simple, mais ses pensées sont toutes divines. […] 2 le présent ne nous touche plus guère ; mais la jeunesse qui ne songe pas que rien lui soit encore échappé, qui sent sa vigueur entière et présente, ne songe aussi qu’au présent, et y attache toutes ses pensées. Dites-moi, je vous prie, celui qui croit avoir le présent tellement à soi, quand3 est-ce qu’il s’adonnera aux pensées sérieuses de l’avenir ?

110. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Vauvenargues 1715-1747 » pp. 196-198

Stoïcien tendre, il justifia par son exemple ce mot excellent qui est de lui : « Les grandes pensées viennent du cœur. »Philosophe religieux par sentiment, il se conserva pur de toute contagion dans un siècle où la licence des mœurs atteignait les idées. […] Je voudrais quelquefois aborder ces solitaires, pour leur donner mes consolations ; mais ils craignent d’être arrachés à leurs pensées, et ils se détournent de moi. — Je plains ces misères cachées que la crainte d’êtres connues rend plus pesantes1 Un homme aimable Étes-vous bien aise de savoir, mon cher ami, ce que le monde appelle quelquefois un homme aimable ? […] Au contraire, un jeune homme né pour la vertu, que la tendresse d’une mère retient dans les murailles d’une ville forte, pendant que ses camarades dorment sous la toile et bravent les hasards, celui-ci qui ne risque rien, qui ne fait rien, à qui rien ne manque, ne jouit ni de l’abondance, ni du calme de ce séjour : au sein du repos, il est inquiet et agité ; il cherche les lieux solitaires ; les fêtes, les jeux, les spectacles ne l’attirent point, la pensée de ce qui se passe en Moravie2 occupe ses jours, et pendant la nuit il rêve des combats qu’on donne sans lui3 1.

111. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Chapitre XXVI. des figures. — figures par mutation et inversion  » pp. 370-387

Par la parenthèse et l’interruption, l’écrivain suspend l’expression d’une idée, en y intercalant une autre idée, mais avec l’intention de revenir à la première et de l’achever : la seule différence, c’est que la parenthèse a pour but d’éclaircir et de compléter ce commencement de pensée, tandis que l’interruption ne fait qu’y ajouter de l’énergie, en y jetant un cri de l’âme tout involontaire, et qui lui échappe presque à son insu. […] Non, c’est de l’avoir faite reine malheureuse. » Vous voyez que la pensée interrompue un instant est bientôt reprise ; mais quand Athalie dit avec fureur à Joad : Je devrais sur l’autel où ta main sacrifie Te … Mais du prix qu’on m’offre il faut me contenter : Ce que tu m’as promis songe à l’exécuter. […] Bien entendu que quand la réticence est affectée, quand l’interruption n’est point l’effet naturel de la passion, mais un dessein prémédité de faire entendre, par le peu qu’on a dit, ce qu’on affecte de supprimer, et même souvent beaucoup au delà, elle n’appartient plus alors aux figures dont nous traitons ici, et doit se ranger, à la suite de l’ironie, parmi celles qui font contraster la parole avec la pensée. […] Tant que la pensée reste dans l’esprit à l’état de simple concept, elle est une et indivise, elle forme un tout qui n’a point de parties et n’en a pas besoin ; mais aussitôt qu’on veut la manifester à l’extérieur par la parole, il est bien évident qu’on ne le peut sans la diviser pour en présenter successivement les divers membres. […] Antithétique, elle s’adresse à l’esprit plutôt qu’à l’oreille, elle choque les mots contre les mots pour en faire mieux jaillir l’opposition des pensées : Romains contre Romains, parents contre parents, Combattaient follement pour le choix des tyrans.

112. (1870) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices par Gustave Merlet,... à l'usage de tous les établissements d'instruction. Cours moyens, grammaire et enseignement spécial. Première partie : prose

Jamais mon dessein ne s’est étendu plus avant que de tâcher à réformer mes propres pensées, et de bâtir dans un fonds qui est tout à moi. […] Sereine et austère, malgré l’essor d’un cœur ardent, sa jeunesse ne connut que les troubles de la pensée. […] » Sa pensée n’osa aller plus loin. — « Madame, il se porte bien de sa blessure. — Il y a eu un combat… Et mon fils ?  […] Édifier, éclairer, diriger les âmes fut son unique ambition, et c’est de lui qu’on peut dire : « Il ne se sert de la parole que pour la pensée, et de la pensée que pour la vérité et la vertu. » Dans cette éloquence si saine, si substantielle et si forte, on voit rayonner la beauté d’un caractère. […] Ses paroles précises sont l’image de la justesse qui règne dans ses pensées.

113. (1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Morceaux choisis des classiques français à l’usage de la classe de troisième. Chefs-d’œuvre de prose. — Mme de Sévigné. (1626-1696.) » pp. 48-53

Celui que j’y ferai me donnera la plus grande joie que je puisse recevoir dans ma vie ; mais quelles pensées tristes, de ne point voir de fin à votre séjour ! […] » Sa pensée n’osa aller plus loin. « Madame, il se porte bien de sa blessure. — Il y a eu un combat ! […] « C’est la pensée, dit Pascal, qui fait l’être de l’homme et sans quoi on ne le peut concevoir » ; et le même encore : « Je manque à faire plusieurs choses à quoi je suis obligé. » 1. […] La belle chose que de ne rien faire. — Rappelons à ce sujet une pensée très-juste de Balzac : « La paresse n’a rien de commun avec l’oisiveté : celle-ci réveille, aiguise, purifie les sens ; celle-là les endort et les émousse. » 2.

114. (1850) Rhétorique appliquée ou recueil d’exercices littéraires. Préceptes « Deuxième partie. Préceptes des genres. — Chapitre second. De la narration. »

Je tâcherai encore d’être précis pour initier en peu de mots mon lecteur à ma pensée. […] Pour charmer l’esprit, il convient donc de ne point déchirer le voile de l’allégorie, le lecteur a au moins le plaisir de découvrir la pensée cachée ; c’est un mérite que notre art lui laisse en entier. […] Les pensées sont sous tous les rapports dignes de la circonstance et des personnages. […] Songeons que la description n’est qu’un moyen de relever ce qu’il y a de moral et d’essentiel dans un ouvrage, et qu’elle doit, directement ou indirectement, concourir à rendre mieux la pensée principale d’un auteur. […] Mais plus puissante que la peinture, votre parole imitera les sons, fera changer les objets de place, reproduira la succession des mouvements, exprimera les élans du cœur, et révélera les faits les plus intimes de la pensée.

115. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Chapitre IX. de la disposition. — proportions, digressions, transitions, variété  » pp. 118-130

Telle est, semble-t-il, la doctrine de Boileau et de M. de la Harpe, quand ce dernier dit à propos de la Bruyère et de la Rochefoucauld : « En écrivant par petits articles détachés, et faisant ainsi un livre d’un recueil de pensées isolées, ils s’épargnèrent, comme l’observait Boileau, le travail des transitions, qui est un art pour les bons écrivains, et un écueil pour les autres. » Je n’en disconviens pas ; mais cet art, et c’est là précisément ce qui le rend si difficile, ne me parait autre chose que la fusion même des pensées diverses. […] Quand l’auteur de ces sortes d’ouvrages a épuisé une pensée, il passe à l’autre avec simplicité et bonne foi ; et cela vaut bien mieux que ces transitions subtiles presque toujours uniquement fondées sur des rapports entre les mots, sur une liaison apparente entre le dernier du paragraphe qui finit et le premier de celui qui commence. […] Et il ajoute : « Les traits d’esprit isolés sont comme ces corps de figure ronde qui ne peuvent jamais, quelque effort qu’on fasse, s’emboîter parfaitement et cadrer avec précision, illa rolunda et undique circumcisa insistere invicem nequeunt. » Je suis loin assurément de proscrire les pensées détachées, les maximes, ce que les Grecs appelaient apophthegmes, enthymèmes, épiphonèmes, et les Latins sententiœ. […] Je vous regarde comme si vous étiez seuls sur la terre ; et voici la pensée qui m’occupe et m’épouvante.

116. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) «  Chapitre XXIV. des figures. — figures par rapprochement d’idées opposées  » pp. 339-352

M. de la Rochefoucauld avait dit : « Nous n’avons pas assez de force pour suivre toute notre raison. » Madame de Grignan retourna la pensée : « Nous n’avons pas assez de raison pour employer toute notre force. » Ces contrastes symétriques plaisent à l’esprit, pourvu qu’ils soient présentés sobrement et à propos. […] Quand un écrivain dit, ou du moins paraît dire le contraire de ce qu’il pense, quand il conseille, prescrit, ordonne même le contraire de ce qu’il veut, quand il prétend ne pas énoncer ce qu’en effet il énonce, s’adresser à l’un quand il s’adresse réellement à l’autre, ne reconnaît-on pas dans tous ces contrastes entre l’expression et la pensée une antithèse interne, en quelque sorte, qui mérite notre attention ? […] J’ai dit qu’il y a beaucoup d’autres formes où la pensée contraste avec la parole. […] Analysez toutes ces figures, et vous conclurez que toutes se rattachent à l’ironie, en ce sens que l’idée exprimée n’y est pas à elle-même son but, et qu’il n’en est aucune à laquelle ne puisse s’appliquer le mot fameux de Talleyrand : « La parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée. » Ne perdez pas de vue ce caractère de double entente ; c’est lui qui justifie non-seulement le rang que j’assigne à ces formes du discours, mais le nom même de figures que je leur donne. […] figure alors ; car toute cette tristesse d’Agamemnon n’est dans la pensée de Clytemnestre qu’une odieuse hypocrisie ; elle sait fort bien qu’il n’y a eu ni combats, ni flots de sang, ni débris, ni champs couverts de morts, et qu’il n’y a point de réponse possible à ses questions.

117. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section troisième. La Tribune sacrée. — Chapitre III. Idée de l’Éloquence des Saints-Pères. »

Brillant dans ses pensées, riche dans ses expressions, élégant dans ses tours, subtil, ingénieux dans ses réflexions, lumineux dans ses raisonnements, il n’a été surpassé que par saint Jean Chrysostôme, auquel il ne faut songer à rien comparer. […] Quelle élévation dans les pensées ! […] On admire souvent, dans ses écrits, la grandeur et la force des sentiments et des idées ; mais on y rencontre aussi des pensées fausses, des raisonnements tirés de trop loin, et péniblement amenés à une conclusion peu satisfaisante.

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