Avant moi, ma patrie était une province obscure de l’Asie, et je la laisse souveraine de l’Asie entière. […] Je laisse mon pays florissant, et mes amis dans l’abondance. […] ne souille point, ne laisse point souiller les yeux de ton père d’un pareil spectacle ! […] laisse-toi fléchir, il en est temps encore ; ne me force pas à une victoire dont je rougirais ; et que mes prières puissent sur mon fils ce qu’elles ont pu aujourd’hui sur d’autres en sa faveur » ! […] Vous eussiez choisi un chef qui, sans doute, aurait laissé ma mort impunie, mais qui aurait vengé du moins celle de Varus et de ses trois légions.
Mais qu’un orateur public, qu’un homme d’état, qu’un citoyen enfin, qui fait partie de l’assemblée devant laquelle il parle, et dont les intérêts lui sont par conséquent communs, ne soit et ne paraisse pas intimement convaincu que ce qu’il conseille est en effet ce qu’il y a de mieux à faire pour le moment, son but est manqué, et il laisse sur sa probité et sur son patriotisme des soupçons que le temps n’efface jamais complètement. […] Il ne suffirait cependant pas de s’abandonner inconsidérément à cette chaleur qui entraîne tout, et ne laisse aucune place à la réflexion. […] Il vaut mieux placer sa pensée sous un jour frappant, et l’y laisser, que de la retourner, de la représenter de vingt manières différentes, et d’entasser une vaine profusion de mots au hasard, de fatiguer et d’épuiser enfin l’attention de ceux qui nous écoutent, et qui ont un intérêt réel à nous entendre.
Pour cela même, l’historien est quelquefois obligé de se laisser aller à des digressions plus ou moins étendues. […] Il parle des desseins de Dieu avec dignité, de ses ministres avec circonspection ; il blâme et loue par les actions ; partout il laisse voir un bon esprit, une piété éclairée, un cœur droit53. […] Réduit à se contenter des superbes monuments qu’il laissa sur les bords de l’Araspe, il ramena son armée par une autre route que celle qu’il avait tenue, et dompta tous les pays qu’il trouva sur son passage. […] Mais ce qu’il y avait de plus funeste pour sa maison et pour son empire, est qu’il laissait des capitaines à qui il avait appris à ne respirer que l’ambition et la guerre. […] S’il fut demeuré paisible dans la Macédoine, la grandeur de son empire n’aurait pas tenté ses capitaines, et il eût pu laisser à ses enfants le royaume de ses pères ; mais, parce qu’il avait été trop puissant, il fut cause de la perte de tous les siens.
La veille d’une capitulation Après que l’assiegeant eust perdu toute son escrime7 et toutes ses ruses, il nous laissa en paix, ne s’attendant nous avoir qu’au dernier morceau de pain. […] Or n’avions-nous autres herbes au long des murailles de la ville ; car tout estoit mangé, et encores n’en pouvions avoir sans sortir à l’escaramouche6 ; et alors tous les enfans et femmes de la ville sortoient au long des murailles ; mais je vis que j’y perdois force gens, et ne volsis7 plus laisser sortir personne…… En cest estat nous traisnasmes jusques au huictiesme d’avril8, que nous eusmes perdu toute esperance. Alors la Seigneurie9 me pria ne trouver mauvais s’ilz commensoient à penser à leur sauvation10 ; et voyant que ny avoit plus remede, si ce n’est de nous manger nous-mesmes, je ne leur y peux nyer, chargeant de maledictions ceux qui engagent les gens de bien, et puis les laissent là1. […] Sur ceste oppinion, ilz la levarent et commensarent à crier tous d’une voix : « Laissés-nous aller, car nous n’arresterons jamais3 que nous ne soyons aux espees. » Et baisarent la terre.
Ce coup ne laissa debout que sa foi. […] Laissons livres et plumes ; je sais quelque chose de mieux. […] Non, c’est trop tard, la nuit est faite pour dormir, à moins qu’on ne soit Philomèle ; et puis, quand je commencerais quelque chose, demain peut-être je le laisserais aux rats. […] Je rencontre cet autre passage : « Le 9. — Une journée passée à étendre une lessive laisse peu à dire.
Son épée laissée entre les mains de la reine, sera un témoin qui déposera contre lui. […] Ariste lui demande en vain de les laisser aller se promener. […] Je laisse, poursuit-il en parlant de Léonor, je laisse à son choix liberté tout entière. […] Sganarelle lui fait diverses reparties très-brusques, et le laisse. […] Il laisse à Andromaque le triste choix de l’épouser, ou de voir périr son fils.
Enfin, me voilà vieille ; il me laisse en un coin Sans herbe : s’il voulait encor me laisser paître ! […] Dans Bossuet, amplification, pour se laisser moins voir, et pour être plus variée dans la forme, n’en est pas moins féconde et puissante. […] Elle consiste à ne laisser aucun doute, aucune hésitation sur le sens de la pensée, à la faire entendre tout de suite, sans équivoque et sans embarras. […] Les autres figures que nous laissons de côté se rattachent à celles que nous avons passées en revue. […] Écoutez ce grand bruit du monde, ce tumulte, ce trouble éternel ; voyez ce mouvement, cette agitation, ces flots vainement émus, qui crèvent tout à coup, et ne laissent que de l’écume.
Mais, dans la distribution primitive, on laisse des intervalles vides d’action ; ce sont ces vides qu’on veut remplir, et de là les excursions et les lenteurs du dialogue. » Mais où ces défauts sont plus impardonnables, c’est dans les péripéties importantes, dans les crises de passion ou d’intrigue : « Un personnage qui, dans une situation intéressante, s’arrête à dire de belles choses qui ne vont point au fait, ressemble à une mère qui, cherchant sa fille dans les campagnes, s’amuserait à cueillir des fleurs. » Sans doute la replique directe n’est pas toujours exigée, le personnage en scène peut faire dériver le dialogue, répondre à sa pensée ou à celle de son interlocuteur, plutôt qu’aux paroles prononcées, mais au milieu de tous ces écarts l’auditeur ne doit pas perdre de vue le point culminant. […] Laissez alors vos adversaires soutenir eux-mêmes leur cause ; mais comme c’est vous qui les faites parler, n’allez pas tronquer l’attaque ; ni la défense donnez à leurs développements toute l’étendue qu’ils leur donneraient eux-mêmes ; gardez-vous surtout de leur prêter ces arguments évidemment faux ou vides qui ne sembleraient placés là que pour faciliter votre victoire ; on ne voit que trop de ces discussions où l’interlocuteur joue le rôle de compère, et donne complaisamment la replique à l’auteur. […] C’est d’ailleurs un de ceux dont on a le plus souvent donné la théorie, bien qu’il soit le plus indépendant des règles, le plus varié, le plus capricieux dans son allure, le seul qui permette à l’écrivain de laisser courir sa plume la bride sur le cou, comme disait madame de Sévigné. […] L’ébullition violente peut seule vous donner la vapeur dans toute son énergie ; laissez-la s’accumuler, quand vous voulez qu’elle entraîne rapidement, et n’ouvrez vos soupapes que si vous craignez que la chaudière n’éclate. […] Quand un auteur, avant même de s’être tracé un plan, et n’ayant parfois que quelques idées premières, s’est engagé à remplir chaque jour, du 1er janvier au 31 décembre, dix colonnes d’un roman-feuilleton, faut-il bien encore que, pour donner à chaque numero la mesure exigée, il profite de tout et ne laisse rien echapper, sauf, la dernière quinzaine venue, à tronquer et à mutiler le dénoûment.
Madame de Sévigné 1626-1696 [Notice] Née à Paris, orpheline à six ans, élevée par son oncle, l’abbé de Livry, instruite par Chapelain et Ménage qui lui enseignèrent le latin, l’espagnol et l’italien, Marie de Rabutin-Chantal épousa le marquis de Sévigné qui, tué en duel, la laissa veuve à vingt-cinq ans. Réparer les brèches d’une fortune compromise, établir son fils, adorer sa fille, madame de Grignan, se lamenter sur son éloignement, voir et revoir la chère absente, lui raconter ses tendresses et les nouvelles du jour dans toute leur primeur, les commenter avec une verve étincelante, depuis le procès de Fouquet jusqu’à la disgrâce de M. de Pomponne, depuis la mort de Turenne jusqu’à celle de Vatel, sans oublier la pluie et le beau temps, en un mot laisser causer son esprit et son cœur : voilà sa vie. […] Le soir, je reçus votre lettre qui me remit dans les premiers transports, et, ce soir, j’achèverai celle-ci chez M. de Coulanges, où j’apprendrai des nouvelles ; car, pour moi, voilà ce que je sais, avec les douleurs de tous ceux que vous avez laissés ici ; toute ma lettre serait pleine de compliments, si je voulais6. […] Il monta à cheval le samedi à deux heures, après avoir mangé ; et, comme il avait bien des gens avec lui, il les laissa tous à trente pas de la hauteur où il voulait aller, et dit au petit d’Elbeuf : « Mon neveu, demeurez là : vous ne faites que tourner autour de moi, vous me feriez reconnaître. » M. d’Hamilton, qui se trouva près de l’endroit où il allait, lui dit : « Monsieur, venez par ici ; on tire du côté où vous allez. — Monsieur, lui dit-il, vous avez raison ; je ne veux point du tout être tué aujourd’hui, cela sera le mieux du monde. » Il eut à peine tourné son cheval qu’il aperçut Saint-Hilaire, le chapeau à la main, qui lui dit : « Monsieur, jetez les yeux sur cette batterie que je viens de faire placer là2. » M. de Turenne revint, et dans l’instant, sans être arrêté, il eut le bras et le corps fracassés du même coup qui emporta le bras et la main qui tenaient le chapeau de Saint-Hilaire. Ce gentilhomme, qui le regardait toujours, ne le voit pas tomber ; le cheval l’emporte où il avait laissé le petit d’Elbeuf ; il n’était point encore tombé, mais il était penché le nez sur l’arçon.
Je lui consacrerai tous les jours qu’il me laisse, après ces jours d’amertume. […] Il ne restait au poète Gray qu’un pas à faire, pour nous laisser le modèle accompli de l’élégie sacrée et héroïque ; et les tombes royales de Westminster étaient dignes d’inspirer celui qui avait dit aux humbles sépultures de l’homme champêtre les chants de paix et de consolation. […] Noémi, sans époux, sans enfants, veut retourner mourir dans sa patrie, et presse ses filles Ruth et Orpha de la laisser suivre son projet. […] laissez-moi vous suivre. […] 173» De laisser Ruth heureuse, en lui disant adieu ».
Ses comédies ne font rire qu’à ses dépens, mais il reste sans rival dans la poésie légère, badine et philosophique Historien, il a laissé des monuments : Charles XII, récit achevé qui allie l’art de conter simplement à la sûreté d’une critique consciencieuse, et le Siècle de Louis XIV, qui nous montre l’ami des arts, du luxe et de la civilisation, l’écrivain inimitable qui aurait produit un chef-d’œuvre, si le plan de son livre n’était défectueux. […] Voltaire se jugeait peut-être lui-même en disant : « Je suis comme les petits ruisseaux : ils sont transparents, parce qu’ils sont peu profonds. » L’esprit 1 Ce qu’on appelle esprit est tantôt une comparaison nouvelle, tantôt une allusion fine : ici, l’abus d’un mot qu’on présente dans un sens et qu’on laisse entendre dans un autre ; là, un rapport délicat entre deux idées peu communes : c’est une métaphore singulière ; c’est une recherche de ce qu’un objet ne présente pas d’abord, mais de ce qui est en effet dans lui ; c’est l’art, ou de réunir deux choses éloignées, ou de diviser deux choses qui paraissent se joindre, ou de les opposer l’une à l’autre ; c’est celui de ne dire qu’à moitié sa pensée, pour la laisser deviner ; enfin, je vous parlerais de toutes les différentes façons de montrer de l’esprit, si j’en avais davantage. […] Si cela ne vous excite pas à secouer l’engourdissement dans lequel vous laissez votre âme, rien ne vous guérira. […] Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j’en ai perdu l’habitude, je sens malheureusement qu’il m’est impossible de la reprendre, et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi. […] S’il en montrait moins, il me laisserait respirer et me ferait plus de plaisir : il me tient trop tendu, la lecture de ses vers me devient une étude ; tant d’éclairs m’éblouissent ; je cherche une lumière douce qui soulage mes faibles yeux. » (Lettre à l’Académie, V.)
L’homme dont le goût est correct ne se laisse jamais abuser par de fausses beautés. […] Il faut laisser une carrière au génie, puisque chacun reçoit de la nature un penchant pour exprimer ses idées d’une certaine manière. […] L’orateur, en pensant au salut de la république, ne s’oublie pas, et ne se laisse pas oublier. […] Il faut pourtant avouer que les mémoires qu’il nous a laissés ne justifient pas entièrement cette grande réputation. […] J’en laisserai le choix aux prédicateurs, suivant leur génie.
Esprit étrange et puissant, M. de Lamennais nous laisse indécis entre l’admiration et la pitié. […] L’impression dominante qu’il nous laisse est pénible et triste : c’est une âme fébrile dans un corps malade. […] Dans une autre lettre à madame de Senfft, je lis encore : « Je prends un plaisir extrême à voir cette vie passer comme l’oiseau qu’on entrevoit à peine, et qui ne laisse point de trace dans les airs ; et quand après cela j’arrête mes regards sur cette immense éternité, fixe, immobile, vaste comme mon cœur, inépuisable comme ses désirs, je voudrais m’élancer dans ses profondeurs.
L’homme de bien se fait sentir dans ses écrits ; on le suit avec plaisir, on l’aime, on se laisse doucement persuader par sa parole. […] Qu’ils se laissent aller dans leurs compositions à ces élans de l’âme ; qu’ils ne prennent des passions humaines que ce qu’elles ont de pur et d’élevé ; ils perfectionneront ainsi leur sensibilité et leur imagination ; ils s’affermiront dans la voie du bien. […] Ainsi il dira : Gardons-nous de nous laisser aller au mensonge ; c’est un vice odieux qui dégrade notre âme, qui nous avilit à nos propres yeux et aux yeux de nos semblables, etc. […] Un général faisait ce dilemme à une sentinelle qui avait laissé surprendre son camp : Ou tu étais à ton poste, ou tu n’y étais pas : Si tu étais à ton poste, tu nous as trahis ; Si tu n’y étais pas, tu as enfreint la discipline ; Donc, dans l’un ou l’autre cas, tu mérites la mort.
L’épopée, qui est un tableau héroïque des sentiments humains, laisse dans l’âme du lecteur une impression vive ; c’est cette impression qui doit être morale et vertueuse : le poème qui n’atteindrait pas ce but pécherait par la base, Mais si l’épopée doit avoir un caractère moral, il ne faut pas pour cela que le poète s’érige en moraliste et en philosophe. […] La foi religieuse, en animant ses récits, leur donne une consécration solennelle, et leur communique ce caractère mystérieux qui laisse dans les âmes une impression vive et durable. […] Si l’on doit faire quelques reproches au Tasse, à Milton et à Camoëns, ce n’est pas d’avoir emprunté des personnages à la religion chrétienne, c’est d’avoir laissé à côté d’eux quelques souvenirs de l’Olympe païen. […] Le dénouement du poème épique est ordinairement heureux et laisse une impression agréable : ce n’est pourtant pas une loi absolue.
Son maître ayant été enlevé par un tourbillon de feu, lui laissa son manteau et son esprit prophétique. […] Jéhu, nouveau roi d’Israël, la fit jeter du haut d’une fenêtre, l’an 884 avant Jésus-Christ ; et les chiens dévorant son corps, ne laissèrent que le crâne, les pieds et les extrémités des mains. […] À peine ce saint homme fut mort, que Joas se laissa séduire par des flatteurs corrompus. […] Lorsque ses frères eurent jeté Joseph dans une citerne, à dessein de l’y laisser mourir de faim, il leur persuada, pour lui sauver la vie, de le vendre à des marchands madianites, qui allaient en Égypte. […] Il se déborde régulièrement tous les ans vers le mois d’août, et laisse dans les terres un limon, qui, en les engraissant, les met en état d’être labourées et ensemencées, et leur fait produire la plus abondante récolte.
À cette vue, Jephté est saisi de douleur et laisse éclater son désespoir. […] Le brave porteur d’eau ne se laisse pas décourager par cet aveu. […] Le style doit y être grave et sérieux, il faut laisser parler son cœur, et mêler ses regrets à ceux de la personne affligée. […] Vous me faites sentir vos bontés de la manière la plus bienfaisante ; vous semblez, ne me laisser de sentiments que ceux de la reconnaissance ; et il faut avec cela que je vous importune encore. […] Je suis un petit vieillard indiscret qui me suis laissé toucher par les prières d’un de vos sujets nommé Rose, Livonien de nation, marchand de profession, qui est venu apprendre la langue française à Ferney ; peut-être n’a-t-il pu mériter vos bontés que j’osais réclamer pour lui.
La force de son caractère, l’amour de la gloire et le dévouement à une idée l’élevèrent au-dessus des querelles de son temps ; au lieu de se dépenser au jour le jour, il économisa si bien ses facultés qu’il ne se laissa pas distraire un instant du sujet grandiose auquel il avait voué son existence. […] Si on les enchaîne5 étroitement, si on les serre, le style devient ferme, nerveux et concis ; si on les laisse se succéder lentement, et ne se joindre qu’à la faveur des mots, quelque élégants qu’ils soient, le style sera diffus, lâche et traînant. […] Rien ne s’oppose plus à la chaleur que le désir de mettre partout des traits saillants ; rien n’est plus contraire à la lumière qui doit faire un corps et se répandre uniformément dans un écrit, que ces étincelles qu’on ne tire que par force en choquant les mots les uns contre les autres, et qui ne nous éblouissent pendant quelques instants, que pour nous laisser ensuite dans les ténèbres. […] D’ailleurs elle ne nous a transmis que les gestes de quelques nations, c’est-à-dire les actes d’une très-petite partie du genre humain : tout le reste des hommes est demeuré nul pour nous, nul pour la postérité ; ils ne sont sortis de leur néant que pour passer comme des ombres qui ne laissent point de traces ; et plût au ciel que le nom de tous ces prétendus héros, dont on a célébré les crimes ou la gloire sanguinaire, fût également enseveli dans la nuit de l’oubli ! […] À peine aperçoit-on leurs pieds, tant ils sont courts et menus : ils en font peu d’usage ; ils ne se posent que pour passer la nuit, et se laissent, pendant le jour, emporter dans les airs ; leur vol est continu, bourdonnant et rapide.