Le chancelier de l’Hôpital (1503-1537) parlait ainsi aux juges : « Messieurs, prenez garde, quand vous viendrez en jugement, de n’y apporter point d’inimitié, de faveur, ni préjudice. […] Vous êtes juges du pré, du champ, non de la vie, non des mœurs, non de la religion ; si vous ne vous sentez pas assez forts et justes pour commander vos passions et aimer vos ennemis, selon que Dieu commande, abstenez-vous de l’office de juges. » 1.
Ce jugement est celui de tous les bons juges en littérature, et de M. de La Harpe entre autres, que nous nous faisons d’autant plus un mérite de suivre ici, qu’il serait difficile de penser plus juste et de s’exprimer mieux. « Un charme d’élocution continuel, dit-il, en parlant de Massillon, une harmonie enchanteresse, un choix de mots qui vont tous au cœur ou qui parlent à l’imagination ; un assemblage de force et de douceur, de dignité et de grâce, de sévérité et d’onction ; une intarissable fécondité de moyens se fortifiant tous les uns par les autres ; une surprenante richesse de développements ; un art de pénétrer dans les plus secrets replis du cœur humain ; de l’effrayer et de le consoler tour à tour ; de tonner dans les consciences et de les rassurer ; de tempérer ce que l’évangile a d’austère par tout ce que la pratique des vertus a de plus attrayant : c’est à ces traits que tous les juges éclairés ont reconnu dans Massillon un homme du très petit nombre de ceux que la nature fit éloquents ». […] Rien ne doit dédommager le chrétien dans le pardon des offenses, que la consolation d’imiter Jésus-Christ, et de lui obéir ; que les titres qui, dans un ennemi, lui découvrent un frère ; que l’espérance de retrouver devant le juge éternel la même indulgence dont il aura usé envers les hommes. […] Il sort de ses yeux mourans je ne sais quoi de sombre et de farouche qui exprime les fureurs de son âme ; il pousse, du fond de sa tristesse, des paroles entrecoupées de sanglots, qu’on n’entend qu’à demi, et qu’on ne sait si c’est le désespoir ou le repentir qui les a formées ; il jette sur un Dieu crucifié des regards affreux, et qui laissent douter si c’est la crainte ou l’espérance, la haine ou l’amour qu’ils expriment : il entre dans des saisissements ou l’on ignore si c’est le corps qui se dissout, ou l’âme qui sent l’approche de son juge : il soupire profondément, et l’on ne sait si c’est le souvenir de ses crimes qui lui arrache ces soupirs, ou le désespoir de quitter la vie.
« Si, pour les suites de ce procès, je dois être dénoncé au parlement comme ayant voulu corrompre un juge incorruptible, et calomnier un homme incalomniable, suprême Providence, ton serviteur est prosterné devant toi : je me soumets ; fais que mon dénonciateur soit un homme de peu de cervelle ; qu’il soit faux et faussaire ; et puisque ce procès criminel doit être de toute iniquité comme le procès civil qui y a donné lieu, fais, ô mon maître ! […] (Les juges se lèvent et opinent tout bas.) […] On avait dit à Beaumarchais, engagé dans un procès contre les héritiers de Paris Duverney, qu’il y avait moyen d’arriver jusqu’au cabinet de son juge le conseiller Goezman : c’était de faire un cadeau à sa femme ; cent sous d’or, une montre à répétition enrichie de diamants, quinze louis en argent blanc, destinés, disait-on, au secrétaire, furent en effet donnés pour acheter une audience du mari, avec promesse que tout serait rendu, si le procès se perdait. […] Rabelais appelle Bridoye un juge qui décidait les procès par un coup de dés.
Pour répondre à l’honneur que m’ont fait et mes juges et mes critiques, je crois devoir faire précéder cette édition nouvelle de quelques lignes d’explication. […] Car ce que vous croyez cacher à votre élève de dix-huit ans, il le sait déjà, ou le saura demain ; mais, comme vous ne serez plus là, il s’en fera juge, et là est le danger. […] Je m’en rapporte là-dessus avec pleine confiance aux juges impartiaux et de bonne foi, les seuls que j’accepte, les seuls qui ont droit de prononcer.
L’imagination Ne diriez-vous pas que ce magistrat, dont la vieillesse vénérable impose le respect à tout un peuple, se gouverne par une raison pure et sublime, et qu’il juge des choses par leur nature, sans s’arrêter à ces vaines circonstances qui ne blessent que l’imagination des faibles ? […] Pascal dit ailleurs : « L’esprit de ce souverain juge du monde n’est pas si indépendant, qu’il ne soit sujet à être troublé par le premier tintamarre qui se fait autour de lui. […] Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude et d’erreur, gloire et rebut de l’univers ; s’il se vante, je l’abaisse ; s’il s’abaisse, je le vante, et le contredis toujours jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible. » 1.
Mais là (dans le genre délibératif), les juges observent assez bien cette règle. […] Il arrive nécessairement que l’auditeur est ou un simple assistant (θεωρός), ou un juge ; que, s’il est juge, il l’est de faits accomplis ou futurs. […] C’est encore lorsqu’on est l’ami des personnes préjudiciées ou des juges. […] Un juge, pour être seul, ne l’en est pas moins, attendu que celui qu’il s’agit de persuader est, absolument parlant, un juge ; et il en est ainsi, soit qu’il y ait une question à débattre, ou un sujet à développer. […] En effet, les assistants devant lesquels un (tel) discours est adressé sont assimilés à des juges.
Cessez à présent d’être leurs mères pour devenir leurs juges. […] Le rapport d’un procès est l’exposé d’une cause, rédigé par un juge, dans le but d’instruire les autres juges d’une affaire dont on lui a remis l’examen. […] Les formes sont plus simples et les juges moins nombreux. […] Par ce simple raisonnement, l’orateur a terrassé son adversaire, et en même temps il a flatté ses concitoyens et ses juges. […] Quinze mois après, le hasard lui donne des juges, et l’on imagine de le poursuivre comme ayant pu voler et trahir la France.
Cependant cet estimable imprimeur voulut avoir l’assentiment d’un juge plus éclairé, et il envoya le livre à Samuel Johnson ; celui-ci n’hésita pas à déclarer qu’il avait lu les sermons de M. […] Ce n’est pas à l’impression des saveurs fortes que se juge un palais exquis, mais à la distinction qu’il sait établir entre les saveurs différentes d’un mélange d’aliments divers. […] Les déclamations contre la critique viennent souvent de ce que l’on suppose que c’est d’après la règle, et non d’après le sentiment, que l’on juge ; et cette opinion est bien fausse, ou du moins ceux qui jugent de cette manière sont des pédants qui ne méritent pas le nom de critiques. […] D’après les principes que nous avons adoptés dans notre précédente Lecture, le public est le juge suprême auquel on doit en appeler dans les ouvrages de goût, parce que le goût est fondé sur des sentiments naturels communs à tous les hommes. […] Lucain juge à propos de développer et d’orner cette pensée.
La jurisprudence criminelle en France induit souvent le juge en erreur, et il serait à souhaiter que le cri universel forçât à des changements. […] Les juges sont offensés d’être accusés d’avoir condamné injustement ; mais les malheureux, je l’espère, seront sauvés, et c’est tout ce que souhaite l’honnête homme qui s’est exposé pour eux. […] Si la tendance de cette opinion est vers l’enthousiasme, il s’élève de toutes parts des grands hommes ; si l’on proclame le découragement, il ne reste plus rien en littérature que des juges du temps passé. » « L’on voit des jeunes gens, ambitieux de paraître détrompés de tout enthousiasme, affecter un mépris réfléchi pour les sentiments exaltés.
Ce fleuve traversé, le glaive est notre juge. […] À son retour d’une expédition, dont l’idée seule annonçait un homme supérieur, il voit, juge et peint l’état de la France.
Augustin Thierry juge l’œuvre historique de M. […] C’est de lui que date l’ère de la science proprement dite. » — La profondeur et la gravité des maximes, l’éloquence des vues supérieures, l’art magistral de classer les idées, de les faire manœuvrer avec puissance et précision, l’autorité qui domine un sujet, et juge de haut toutes les questions : tels sont les mérites éminents de ce grand esprit qui aborda l’histoire en homme d’État, prédestiné aux luttes et aux triomphes de la parole.
Mais pour le faire dignement, il faut que cet orateur pense qu’il a pour juges Dieu et les hommes : Dieu, dont il ne doit ni trahir la cause, ni négliger les intérêts par de frivoles égards, ou par de lâches complaisances ; les hommes, en qui il ne doit voir que, des frères égarés, que l’indulgence ramènera, et que trop de sévérité aigrirait peut-être pour toujours. […] Ses juges sont non seulement des hommes, mais des hommes prévenus d’opinions, de sentiments et de maximes absolument opposées aux sienues ; mais des parties intéressées, qu’il faut réduire à prononcer contre les affections les plus intimes de leur âme, contre leurs penchants les plus chers.
de Fontanes ; comme exemple de délibératif, l’Appel au camp de Vergniaud, et comme exemple de judiciaire, le Discours de Socrate à ses juges, par Barthélemy. […] II, nº 148. — 3° Socrate à ses Juges.
Le meilleur moyen de se faire écouter des juges, c’est d’intéresser à sa cause la raison et l’humanité. […] Maison de notre propre juge. […] L’orateur qui parle avec concision et ne s’élève jamais, peut donc instruire les juges, mais il ne peut émouvoir leur âme, et c’est là toute l’éloquence. […] ne vous dirait-elle pas : Qu’attendez-vous encore, juges, quand on vous a démontré... […] Cessez à présent d’être leurs mères pour devenir leurs juges ; leur vie et leur mort sont entre vos mains.
« Et moi, je juge que ce n’est ni l’un ni l’autre. […] « Point du tout, c’est toi qu’il épargne ; et nous trouverons d’autres juges. » Molière. […] Veut-on que tout un public s’abuse sur ces sortes de choses, et que chacun n’y soit pas juge du plaisir qu’il y prend ?
Mirabeau, accusé de trahison par ses ennemis, se défend en ces termes : « — Celui qui a la conscience d’avoir bien mérité de son pays, et surtout de lui être encore utile ; celui que ne rassasie pas une vaine popularité, et qui dédaigne les succès d’un jour pour la véritable gloire ; celui qui veut dire la vérité, qui veut faire le bien public, indépendamment des mobiles mouvements de l’opinion populaire ; cet homme porte avec lui la récompense de ses services, le charme de ses peines et le prix de ses dangers ; il ne doit attendre sa moisson, sa destinée, la seule qui l’intéresse, la destinée de son nom, que du temps, ce juge incorruptible, qui fait justice à tous. » — (Du droit de paix et de guerre. 2e Discours.) […] Les contraires. — Accusez-vous un juge prévaricateur, vous faites l’éloge du magistrat intègre.
Le serment, cet acte sacré, à plus ou moins de poids dans la balance du juge, selon que la renommée des témoins est irréprochable ou entachée. Mais l'orateur puise peu dans ces sources, il tire du fond même de son sujet les argument propres à porter la persuasion dans le cœur des juges. […] Les passions oratoires sont les impressions que font sur les juges les arguments de l'orateur. […] La proposition peut être renfermée dans l'exorde, ou terminer la narration ; elle indique aux juges l'objet de la discussion, et sur quoi ils doivent prononcer. […] Le serment de tous les témoins a-t-il le même poids dans la balance du juge ?
Il se met en défiance contre ce qu’il dit ; il devient un juge peu accommodant, un censeur intraitable qui ne condescend à rien de ce qui le révolte. […] Ajax, intrépide guerrier, mais mauvais orateur, parle le premier et dit tout juste ce qu’il faut pour indisposer les juges. […] , II, 76), un trop grand nombre de raisons frivoles et banales, c’est témoigner qu’on n’en a point de bonnes, de frappantes. » Il faut donc que 1’orateur, écartant toutes les preuves qu’il juge superflues, se borne à n’user que de celles qui lui semblent les plus solides, les plus convenables, les plus appropriées au sujet et aux dispositions des juges ou des auditeurs. […] Si je la perds, je ne vous dois rien en vertu de notre conven tion ; si je la gagne, je ne vous dois rien encore, en vertu de la sentence des juges. […] Par elle l’orateur semble délibérer, avec ses auditeurs, souvent même avec son adversaire, soit en les prenant pour juges de ses pensées ou confidents de ses actions.