Par la force du génie, on se représentera toutes les idées générales et particulières sous leur véritable point de vue ; par une grande finesse de discernement, on distinguera les pensées stériles des idées fécondes ; par la sagacité que donnera l’habitude d’écrire, on sentira d’avance quel sera le produit de toutes ces opérations de l’esprit. Pour peu que le sujet soit vaste et compliqué, il est bien rare qu’on puisse l’embrasser d’un coup-d’œil, ou le pénétrer en entier d’un seul et premier effort du génie ; et il est rare encore qu’après bien des réflexions on en saisisse tous les rapports. […] L’imagination est cette faculté de l’esprit qui nous offre les objets ; c’est la messagère des idées. — La mémoire est le don de conserver le souvenir des objets. — Le discernement est la qualité qui aperçoit les différences des objets entre eux, — Le goût est la connaissance des meilleurs objets. — Le cœur est la source de nos affections, de nos sentiments. — Le sentiment est le mouvement du cœur qui décide de la convenance des objets, — L’esprit est la source de nos idées. — Le génie est le don exceptionnel qui produit les plus belles idées ; c’est la perfection de l’esprit […] Pour résumer en quelques lignes tous les phénomènes intellectuels au moyen desquels on parvient à bien penser, je dirai qu’ils se présentent dans l’ordre suivant : Le génie et l’esprit créent les objets, L’imagination les présente, L’idée les aperçoit, La mémoire les retient, La pensée les considère, Le goût les épure, Le cœur les éprouve, Le sentiment les approuve, Le jugement les adopte, Le discernement les classe.
C’est ce genre de beautés qui caractérise spécialement les grands génies de la Grèce et de Rome, et dont on trouve si fréquemment des exemples dans Horace. […] Cet endroit n’est pas le seul où le génie du Tasse ait lutté avec succès contre celui d’Homère et de Virgile, et ait donné à la langue italienne ce degré de force et d’harmonie imitative que nous admirons dans les langues grecque et latine. […] Maniée avec art, elle s’élève aux plus grandes beautés en ce genre ; et il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir les ouvrages de Pope, et surtout sa belle traduction d’Homère, la seule qui puisse, jusqu’ici, donner aux modernes une idée juste du plus grand génie qui ait jamais écrit dans la langue du monde la plus riche et la plus harmonieuse.
Mais ses écrits ne nous offrent qu’une image affaiblie d’elle-même ; car elle brillait surtout par le génie de la conversation, et son style, parfois vague ou abstrait, n’a pas retenu toute la flamme de sa parole. […] « Sans emportement ou plutôt sans ravissement d’esprit, pas de génie. » 4. […] Il faut croire à l’admiration, à la gloire, à l’immortalité pour éprouver l’inspiration du génie.
Cette règle n’est-elle pas fondée sur la pratique des plus grands génies ? […] Fénelon semble avoir emprunté à ces temps de génie les formes séduisantes de son langage. […] Qu’il nous suffise de dire sur ce point que pour bien traduire une langue, ce n’est pas assez de la savoir, mais qu’il faut encore manier habilement la sienne ; et que si une bonne traduction demande la précision, la clarté, la pureté et l’élégance, son vrai mérite consiste surtout dans la fidélité, qui fait qu’on n’altère en rien ni la pensée de l’écrivain, ni le génie de la langue.
Aussi quelle élévation dans le génie, quelle vivacité dans l’imagination, quelle justesse dans le discernement ne lui faut-il pas, pour produire les grands effets qu’il se propose ! […] Une lecture réfléchie des livres saints, en le pénétrant de la grandeur et de la sainteté de notre religion, élèvera son âme et son génie, donnera à ses pensées et à son style la noblesse et la majesté convenables. […] Il demande beaucoup d’élévation dans le génie, et, dans l’expression, une grandeur majestueuse qui tient un peu de la poésie. […] Son génie abondant et impétueux crée presque à chaque instant des tableaux pleins de vie et de feu, enfante des idées de la plus grande élévation, et anime tout ce qu’il produit de la chaleur et de la vivacité du sentiment. […] La véritable éloquence suppose l’exercice du génie et la culture de l’esprit.
Combien n’avons-nous pas vu de jeunes élèves se servir des mots goût, imagination, talent, génie, beau, sublime ; parler de la poésie lyrique, de l’élégie, de l’épopée, etc. ; et quand on leur demandait une explication précise de chacun de ces objets, rester court, ou balbutier des non-sens ! […] Nous y parlons de la poésie, non pas seulement comme forme littéraire, mais aussi comme expression suprême de la création divine et des créations humaines dans tous les arts ; nous la montrons partout, comme l’auréole de l’inspiration et de l’imagination dans le génie et le talent.
C’est en observant les hommes de génie, qui les premiers produisirent des chefs-d’œuvre, que les hommes de sens devinèrent l’art, et c’est en analysant les écrits des premiers que les seconds formèrent un recueil de préceptes. […] Il n’est permis qu’au génie d’inventer, de créer dans une langue un nouveau genre de composition.
Il trouva de génie la harangue brève, grave, familière, monumentale, et ces mots faits pour électriser la valeur française. […] Ce génie tutélaire, une nation le renferme toujours dans son sein, mais quelquefois il tarde à paraître.
substituer, pour le commun bonheur, Les lois de la morale aux lois d’un faux honneur, La raison éclairée au sombre fanatisme, Le devoir au calcul, l’amour à l’égoïsme, Développer l’essor des instincts généreux, Ne pas souffrir qu’en France il soit un malheureux, Fonder l’égalité, ce beau rêve du juste, En faisant respecter ce qui doit être auguste, Ce n’est pas là, Danton, l’effet d’un coup de main : C’est un travail immense et le chef-d’œuvre humain, Et la probité seule, alliée au génie, Peut des mœurs et des lois créer cette harmonie1. […] Non ; je n’ai pas ce génie. […] Elle nous transporte au foyer même de la maison romaine, alors que planait sur elle le rude génie des premiers âges. […] A eux deux, Junius et Lucrèce, ils mènent l’action jusqu’à son terme, jusqu’à l’heure où la femme outragée lave l’involontaire souillure dans son propre sang, et où le futur consul, poussant un cri de révolte contre les rois, apparaît comme le génie libérateur de Rome !
Sans doute, c’est la nature qui fait les orateurs, comme l’on a dit qu’elle faisait les poètes, nascuntur poetæ ; c’est-à-dire que c’est elle qui donne aux uns et aux autres ce génie actif qui s’élance hors de la sphère commune ; cette âme de feu qui sent et qui s’exprime avec une vigueur qui étonne, et une chaleur qui entraîne l’auditeur. […] Qui doute qu’un Shakespeare (le plus frappant exemple de ce que peut la nature toute seule) ait fait des pièces plus régulières, moins défigurées par le mélange continuel du bas et du trivial, avec ce que le génie peut concevoir de plus grand, s’il eût connu Aristote comme notre Corneille, et imité les anciens comme Racine !
Au reste, la grande et peut-être l’unique règle de l’éloquence populaire, est de s’accommoder au naturel, au génie, au goût du peuple à qui l’on parle : c’est ce que Démosthène et Cicéron avaient parfaitement senti, et ce qu’ils ont scrupuleusement observé. […] Lors même que la véhémence est justifiée par le sujet, et secondée par le génie de l’orateur ; lorsqu’elle est sentie et non pas feinte, il faut prendre garde encore qu’elle ne nous emporte trop loin, et ne nous fasse franchir les bornes de la prudence et la limite délicate des bienséances.
N’est-ce pas d’ailleurs grâce à cette culture non interrompue que la France a occupé un si haut rang parmi les États2, a entraîné les autres nations à la suite de ses idées ou de ses entreprises, a produit sans relâche comme sans fatigue tant de brillants génies qui, après lui avoir donné la gloire élevée des lettres et les beaux plaisirs des arts, lui ont encore procuré le solide avantage des lois ? […] Lorsque ce siècle aura réglé sa curiosité et tempéré sa fougue, personne ne peut prévoir sa grandeur, comme rien ne peut arrêter son génie.
Mais le génie lui-même a ses défaillances ; en tout cas il n’est qu’une exception et ne produit que des éclairs passagers. […] La logique naturelle et le génie expliquent-ils tout Démosthène ? […] Tout cela peut sans doute se faire médiocrement ; mais cela, fait avec génie, est sublime. […] C’est un moyen d’action qui ne convient plus aussi bien au génie moderne en cela plus sérieux et plus sévère. […] Fénelon, qui avait le génie oratoire, plaide la cause du génie ; mais le génie est une exception très-rare ; il échappe à toutes les règles il les domine, il les fait, il les impose, ce n’est pas pour lui que sont écrits nos modestes traités.
Il avait un génie aisé et fécond, un caractère doux et simple ; il sentait l’harmonie poétique et trouvait facilement cette douceur dans les mots et le style qui conviennent aux images champêtres. […] Il semble qu’il n’y ait pas de genre de poésie qui soit plus dans le caractère et le génie de notre nation. […] La sensibilité de l’âme doit être aidée d’un génie facile qui donne une certaine délicatesse à ce poème. […] Avant lui, nos lyriques faisaient paraître assez de génie et de feu ; mais, la tête remplie des plus belles expressions des poètes anciens, ils faisaient un galimatias pompeux de latinismes et d’hellénismes, qu’ils lardaient de pointes, de jeux de mots et de rodomontades. […] Tel éclate un libre génie, Quand il lance aux tyrans les foudres de sa voix ; Telle, à flots indomptés, sa brûlante harmonie Entraîne les sceptres des rois.
Un autre service rendu par Louis Racine aux lettres françaises a été de les initier à un commerce plus étroit avec les littératures étrangères : par là il n’a pas peu contribué à raviver les sources épuisées du génie national. […] Descartes, qui souvent m’y ravis avec toi ; Pascal, que sur la terre à peine j’aperçoi ; Vous qui nous remplissez de vos douces manies2, Poëtes enchanteurs, adorables génies ; Virgile, qui d’Homère appris à nous charmer ; Boileau, Corneille, et toi que je n’ose nommer3, Vos esprits n’étaient-ils qu’étincelles légères, Que rapides clartés et vapeurs passagères ? […] « Jamais l’éducation des oiseaux, dit La Harpe, n’a été mieux traitée en poésie. » — Sur les nids des oiseaux, on peut lire un charmant passage dans le Génie du Christianisme de Châteaubriand, Ier part., liv.
Son histoire nous offre le douloureux spectacle d’un génie puissant qui lutte en vain contre la défiance des partis, se débat sous de noires calomnies auxquelles son passé donne prétexte, se sent isolé jusque dans ses triomphes, et meurt sur la brèche sans avoir pleinement conquis cette autorité morale qui est le plus efficace auxiliaire de la persuasion. […] Les circonstances étaient-elles difficiles, les esprits fatigués d’une longue discussion, on intimidés par le danger, un cri, un mot décisif s’échappait de sa bouche, sa tête se montrait effrayante de laideur et de génie, et l’assemblée éclairée ou raffermie rendait des lois, on prenait des résolutions magnanimes. […] Seul ainsi avec son génie, il attaquait le despotisme qu’il avait juré de détruire.
Génie optimiste et épris de l’idéal, il est un de ceux dont les chants impérissables traversent les siècles. […] La foudre en mes veines circule : Étonné du feu qui me brûle, Je l’irrite en le combattant, Et la lave de mon génie Déborde en torrents d’harmonie, Et me consume en s’échappant1. […] O Tacite, tout ton génie Raille moins fort l’orgueil humain ! […] Mais il y eut en effet le bruit d’une délivrance dans son glas funèbre ; celle du génie échappant aux injustices, aux calomnies, aux ingratitudes du présent, pour entrer rayonnant et calme dans sa glorieuse immortalité.
C’est surtout dans la prose que s’est donné carrière le génie du xvie siècle. […] Mais les hommes de génie, ses amis ou ses contemporains, n’avaient pas attendu les lois qu’il édicta, pour donner, de leur côté, des modèles. […] Mais il fit beaucoup pour la dignité des lettres, qui le lui rendaient, ne disons pas en flatteries (il vaut mieux n’en pas parler), disons en chefs-d’œuvre nés du génie qui se sent libre. […] Génie précoce, universel, « effrayant », dit Chateaubriand, les travaux et les découvertes que, dès ses jeunes années, il fit dans les sciences mathématiques et physiques eussent suffi à l’immortaliser. […] La controverse fut sa passion et son génie.