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74. (1811) Cours complet de rhétorique « Notes. »

L’un est aussi sage, aussi méthodique, que l’autre est fougueux et déréglé dans sa marche ; le premier est aussi impétueux, entraînant dans sa diction inégale, mais souvent sublime, que l’autre est froid, sec et compassé dans la monotone médiocrité de sa version. […] Non, sans doute, on n’imite point le génie des choses ; mais il n’est que trop facile de singer celui de l’expression : il n’est que trop facile, et surtout trop commun, de se croire sublime, parce qu’on prodigue de grands mots ; et profond, parce qu’on s’enveloppe à dessein de ténèbres épaisses. […] C’est lui surtout qu’il prend pour modèle ; c’est sur ses ailes qu’il s’élève à la majesté d’un style qui égale quelquefois le sublime de la pensée. […] Mais plus je relis moi-même l’auteur des Martyrs, plus je me croirais fondé à penser que ces lectures ont été faites dans un âge où l’on sent trop vivement pour méditer beaucoup ; où le désir de réparer des années perdues fait courir rapidement, et par toutes les routes à la fois, vers le but qu’on se propose d’atteindre, ce qui n’est pas toujours le plus court moyen d’y arriver ; étonné, ébloui de tant de richesses littéraires, que de nouvelles lectures, augmentent encore tous les jours, l’imagination échauffée tour à tour, quelquefois en même temps, par les beautés sublimes des Prophètes, d’Homère, de Virgile, de Milton, du Dante, etc., etc., comment se faire un emploi sage et judicieux de ces nombreux trésors qui se pressent et s’accumulent sous vos mains ?

75. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Buffon, 1707-1788 » pp. 282-302

L’esprit humain ne peut rien créer : il ne produira qu’après avoir été fécondé par l’expérience et la méditation ; ses connaissances sont les germes de ses productions ; mais, s’il imite la nature dans sa marche et dans son travail, s’il s’élève par la contemplation aux vérités les plus sublimes, s’il les réunit, s’il les enchaîne, s’il en forme un tout, un système par la réflexion, il établira sur des fondements inébranlables des monuments immortels1. […] Citons encore Condorcet : « En peignant la nature sublime ou terrible, douce ou riante ; en décrivant la fureur du tigre, la majesté du cheval, la fierté et la rapidité de l’aigle, les couleurs brillantes du colibri, la légèreté de l’oiseau-mouche, son style prend le caractère des objets : mais il conserve sa dignité imposante : c’est toujours la nature qu’il peint, et il sait que même dans les petits objets elle a manifesté toute sa puissance. » 2. […] Rappelons ces beaux vers de M. de Lamartine sur le chant du cygne : Les poëtes ont dit qu’avant sa dernière heure En sons harmonieux le doux cygne se pleure ; Amis, n’en croyez rien ; l’oiseau mélodieux D’un plus sublime instinct fut doué par les dieux Du riant Eurotas près de quitter la rive, L’âme, de ce beau corps à demi fugitive. […] Il n’y a rien d’exagéré dans toutes ces têtes sublimes, et le caractère humain est empreint dans celle de Buffon. » Cuvier disait : « Buffon a rendu à son pays le plus grand des services : celui d’avoir popularisé la science, d’y avoir intéressé les grands comme les humbles, et produit ainsi des effets incalculables pour l’avenir.

76. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Victor Hugo Né à Besançon en 1802 » pp. 540-556

Ouvrez à deux battants la porte à tous les sujets ; que l’art soit votre seul maître, mais que ce maître règne en despote… Sa poésie est un musée où la barbarie est représentée comme la civilisation, où le magot de la Chine grimace à côté de l’Apollon, où le sublime et le hideux figurent au même titre, comme deux formes de l’extraordinaire. » 2. […] Ce trait est simplement sublime, et les vers du poëte sont aussi beaux que la magnanimité de son père. […] Lamartine a dit aussi : L’airain, retentissant dans sa haute demeure, Sous le marteau sacré tour à tour chante et pleure, Pour célébrer l’hymen, la naissance ou la mort : J’étais comme ce bronze épuré par la flamme,   Et chaque passion, en frappant sur mon âme, En tirait un sublime accord.

77. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Chapitre VII. des passions  » pp. 89-97

Sans doute la nature individuelle a d’admirables révélations, des inspirations sublimes ; mais pour être sûr de saisir et de conserver cette sublimité, il faut, en quelque sorte, l’arrêter au passage par la réflexion, la généraliser par l’abstraction, s’élancer au-delà des bornes étroites de l’individu, contempler un modèle plus grand et plus haut placé, pressentir enfin d’imagination et de génie la nature universelle, et la rendre par la combinaison de l’enthousiasme idéal et du sang-froid personnel. […] Que l’orateur soit circonspect dans l’usage de la passion ; c’est ici surtout que du sublime au ridicule il n’y a qu’un pas.

78. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre premier. Éléments généraux du Goût et du Style. — Chapitre VIII. Des Figures en général. »

Pindare est, comme l’on voit, moraliste aussi profond qu’il se montre constamment poète sublime. […] Quoi de plus touchant, de plus sublime et de plus moral, que cette belle allégorie des Prières personnifiées, dans le neuvième chant de l’Iliade ? […] Ξ, v. 214) La Motte, qui mutile, étrangle et défigure si indécemment Homère, dans sa prétendue traduction de l’Iliade ; La Motte qui croyait avoir rendu la sublime allégorie des Prières par ces deux vers presque ridicules : On offense les dieux ; mais par des sacrifices De ces dieux irrités on fait des dieux propices ; a cependant bien réussi dans ce morceau qui n’exigeait que de la grâce, de l’esprit et de la galanterie moderne : Vénus lui donne alors sa divine ceinture, Ce chef-d’œuvre sorti des mains de la nature, Ce tissu, le symbole et la cause à la fois Du pouvoir de l’amour, du charme de ses lois. […] L’antithèse n’est donc pas toujours une vaine affectation, un jeu de mots aussi froid que puéril ; et quelles dissertations, quels raisonnements nous auraient donné de la nature et de l’état de l’homme une idée aussi juste, que ce rapprochement sublime des idées les plus grandes opposées aux idées du néant et de l’abjection la plus complète ; et tout cela est vrai, parce que l’homme est tel, en effet, qu’Young vient de le peindre. […] Le célèbre Young, dont l’imagination avait plus de force que de grâce et de correction, nous étonne quelquefois par la hardiesse de ses métaphores et de ses images ; mais il se maintient rarement à ce point de hauteur, et sa chute est quelquefois aussi rapide que son vol a été prompt et sublime.

79. (1850) Rhétorique appliquée ou recueil d’exercices littéraires. Préceptes « Deuxième partie. Préceptes des genres. — Chapitre second. De la narration. »

L’Epopée elle-même a des accents moins fiers, allusion aux passage où l’auteur dépeint s’élève au sublime. […] Cette personnification sublime, ce mélange d’êtres moraux et matériels, donnent un admirable mouvement à ces préparatifs d’un drame solennel. […] Dans le dialogue philosophique et littéraire, le ton et le style s’abaissent ou s’élèvent suivant la nature des sujets ; le langage y est tantôt simple, naïf, léger, badin, plaisant ; tantôt grave, noble, éloquent même, et sublime toutes les fois que le sujet et la question s’y prêtent. […] Tour à tour gracieux, badin, touchant, sublime même, sans cesser d’être naïf, il sera pour tous les siècles le fablier ; après ni, on n’a plus vu que des fabulistes. […] Réflexion sublime qu’on aime à rencontrer en finissant.

80. (1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Morceaux choisis des classiques français à l’usage de la classe de troisième. Chefs-d’œuvre de prose. — Bossuet. (1627-1704.) » pp. 54-68

Elle a renversé les idoles, établi la croix de Jésus, persuadé à un million d’hommes de mourir pour en défendre la gloire ; enfin, dans ses admirables Epîtres, elle a expliqué de si grands secrets, qu’on a vu les plus sublimes esprits, après s’être exercés longtemps dans les plus hautes spéculations où pouvait aller la philosophie, descendre de cette vaine hauteur, où ils se croyaient élevés, pour apprendre à bégayer humblement dans l’école de Jésus-Christ, sous la discipline de Paul. […] Villemain, parla sur un ton à la fois sublime et populaire qui n’appartient qu’à lui. » 1. […] Vinet dans sa Chrestomathie française, n’est pas seulement un orateur sublime et un magnifique historien : il est le premier dans l’éloquence didactique, où les Français sont les premiers.

81. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Chapitre XXII. des figures. — figures par rapprochement d’idées semblables  » pp. 301-322

L’assassin emprunte au tigre son nom comme ses mœurs, Fénelon et Bossuet ne sont plus des orateurs harmonieux ou sublimes, ce sont des cygnes ou des aigles : Ces tigres à ces mots tombent à ses genoux… Le cygne de Cambrai, l’aigle brillant de Meaux… Tantôt le même échange a lieu entre les objet inanimés, physiques ou moraux : Je ne sens plus le poils ni les glaces de l’âge. […] « On voit peu d’esprits entièrement stupides ; l’on en voit encore moins qui soient sublimes et transcendants. […] Mais le sublime, le nec plus ultra du genre, c’est un des critiques de notre siècle dont les excentricités métaphoriques rempliraient des volumes.

82. (1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre lII. »

Le poème épique n’est borné ni par le temps, ni par le lieu, ni par l’espace ; c’est la plus vaste des compositions humaines : il n’est aucun genre où le génie du poète puisse prendre un plus sublime essor. […] Les grandes images, les figures hardies y sont à leur place ; une harmonie constante doit enchanter l’oreille et l’imagination ; enfin, la simplicité, jointe à la majesté sublime, doit faire de cet ouvrage le chef-d’œuvre de l’esprit humain13.

83. (1867) Morceaux choisis des classiques français, à l’usage des classes supérieures : chefs d’œuvre des prosateurs et des poètes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouvelle édition). Classe de rhétorique

Nés pour la médiocrité, nous sommes accablés par les esprits sublimes. […] Le sublime convient surtout au poète et à l’orateur. […] Le style ne peut donc ni s’enlever, ni se transporter, ni s’altérer : s’il est élevé, noble, sublime, l’auteur sera également admiré dans tous les temps ; car il n’y a que la vérité qui soit durable, et même éternelle. […] Le sublime ne peut se trouver que dans les grands sujets381. […] Le ton du philosophe pourra devenir sublime toutes les fois qu’il parlera des lois de la nature, des êtres en général, de l’espace, de la matière, du mouvement et du temps, de l’âme, de l’esprit humain, des sentiments, des passions ; dans le reste, il suffira qu’il soit noble et élevé.

84. (1882) Morceaux choisis des prosateurs et poètes français des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Cours supérieur. Poètes (2e éd.)

Il y prend l’essor vers le sublime tragique et y atteint presque. […] Cette grande et tragique catastrophe est un des plus sublimes dénouements qui aient jamais été imaginés. […] Quelques scènes, cependant, atteignent une grandeur sublime et rappellent Cinna. […] C’est là le vrai sublime, ajouterons-nous avec Voltaire. […] Jamais plus grands sentiments ne furent rendus dans une langue plus magnifique et plus sublime.

85. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Fénelon, 1651-1715 » pp. 178-204

Je veux un sublime si familier, si doux et si simple, que chacun soit d’abord tenté de croire qu’il l’aurait trouvé sans peine, quoique peu d’hommes soient capables de le trouver. […] Mais rien n’est plus utile que de tâcher d’atteindre à ce qu’ils ont fait de plus sublime et de plus touchant, sans tomber dans une imitation servile pour les endroits qui peuvent être moins parfaits ou trop éloignés de nos mœurs. […] Jullien, p. 116) ; et chez les anciens, par Quintilien, Institutiones Oratoriœ, x, I, 106, et par Longin, Traité du Sublime, section xii ; chap.  […] La véritable éloquence n’a rien d’enflé ni d’ambitieux ; elle se modère et se proportionne aux sujets qu’elle traite et aux gens qu’elle instruit ; elle n’est grande et sublime que quand il faut l’être.

86. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Chapitre VIII. de la disposition. — unité, enchainement des idées  » pp. 98-117

C’est que Buffon, sans avoir jamais écrit un vers, fut, dans son immense ouvrage, un poëte sublime et varié ; c’est qu’Horace, en se laissant emporter au vol de Pindare, fut en même temps le génie le plus sensé de l’antiquité ; c’est qu’enfin tous deux se rencontraient ici sur leur terrain commun, la vérité et la raison. […] Comme Protée résiste aux prières des mortels, strophe 1, et le prêtre de Delphes au Dieu qui l’agite, strophe 2, ainsi, quand l’enthousiasme poétique veut s’emparer de moi, je lutte longtemps pour échapper à sa puissance, strophe 3, mais une fois vainqueur, il m’enlève jusqu’au sublime ; Ce n’est plus un mortel, c’est Apollon lui-même Qui parle par ma voix. […] Comment se fait-il que les doctes sœurs ouvrent tous leurs trésors à certains esprits faciles, qui n’éprouvèrent jamais de transports, puisque, d’une autre part, Apollon ne vend à ceux qui suivent sa cour, c’est-à-dire au poëte quel qu’il soit, les traits réellement sublimes qu’au prix des veilles et des travaux ?

87. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section quatrième. Genre Démonstratif. Les Panéryriques. — Chapitre VIII. De l’Oraison funèbre. »

Quel sujet en effet, et quelles sources il ouvrait à l’éloquence des choses et au sublime de la pensée ! […] Que cette dernière idée est sublime !

88. (1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre XIII. Genre oratoire, ou éloquence. »

Le passé, l’avenir, l’homme placé comme un point entre deux éternités , selon la belle expression de Pascal ; tous les mystères de la vie et de la mort, dont la religion nous soulève le voile ; le perpétuel combat du bien et du mal, dans lequel la foi chrétienne vient interposer sa morale divine et son autorité : voilà les grandes et sublimes questions sur lesquelles s’exerce l’éloquence sacrée. […] Le nom de Bossuet est inséparable de l’oraison funèbre : il a donné à ce genre un caractère de grandeur et de perfection sublime qui ne sera sans doute jamais surpassé.

89. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — [Notice] Maurice de Guérin, 1810-1839. » pp. 598-606

J’ai vu l’Océan agité ; mais ce désordre, quelque sublime qu’il soit, est loin de valoir, à mon gré, le spectacle de la mer sereine et bleue. […] c’était quelque chose d’étrange et d’admirable, un de ces moments d’agitation sublime et de rêverie profonde tout ensemble, où l’âme et la nature se dressent de toute leur hauteur l’une en face de l’autre.

90. (1885) Morceaux choisis des classiques français, prose et vers, … pour la classe de rhétorique

Ce sujet peut être sérieux ou léger, triste ou enjoué, sublime ou simple, spirituel ou naïf. […] Tout désaccord, toute dissonance est désagréable et ridicule ; évitons l’emphase dans les sujets sublimes, la bouffonnerie dans les sujets plaisants. […] Ici commencent l’égoïsme et le rêve : pendant quelque temps et sur la foi de ce qu’il a déjà fait, on suit le grand homme dans cette nouvelle carrière : on croit en lui, on lui obéit ; on se prête pour ainsi dire à ses fantaisies, que ses flatteurs et ses dupes admirent même, et vantent comme ses plus sublimes conceptions. […] Dans la paix la plus profonde, sur le cercueil du citoyen le plus obscur, elle trouvera ses mouvements les plus sublimes ; elle saura intéresser pour une vertu ignorée ; elle fera couler des larmes pour un homme dont on n’a jamais entendu parler. […] Montrez-nous, guerriers magnanimes, Votre vertu dans tout son jour : Voyons comment vos cœurs sublimes Du sort soutiendront le retour.

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