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2. (1875) Poétique

Car la tragédie est l’imitation non des hommes, mais de leurs actions, de leur vie, de ce qui fait leur bonheur ou leur malheur. […] En un mot, elle aura l’étendue qui lui sera nécessaire pour que les incidents, naissant les uns des autres, nécessairement ou vraisemblablement, amènent la révolution du bonheur au malheur ou du malheur au bonheur. […] Le malheur du méchant n’a donc rien de pitoyable, ni de terrible pour nous. […] C’est à tort qu’on blâme Euripide de ce que la plupart de ses pièces se terminent au malheur : il est dans les principes. […] C’est pour cela qu’ils se sont attachés aux familles où sont arrivés les malheurs qui conviennent à leur genre.

3. (1875) Les auteurs grecs expliqués… Aristote, Poétique « Commentaire sur la Poétique d’Artistote. — Chapitre XIII. » pp. 104-105

Qu’un homme très-méchant tombe du bonheur dans le malheur.] […] D’après la même théorie, toutes les pièces où le personnage intéressant fait son malheur lui-même avec connaissance de cause seraient bannies du théâtre  et l’on n’aurait jamais pensé à y faire voir l’homme victime de ses passions. […] Toutefois Corneille observe que « les rois sont hommes comme les auditeurs et tombent dans ces malheurs par l’emportement des passions dont les auditeurs sont capables  »; et Dacier, que « le poëte n’a pas en vue d’imiter les actions des rois, mais les actions des hommes, et que c’est nous qu’il représente. […] « Aristote appelle ici fable simple celle qui n’explique que les malheurs d’un seul personnage  et il appelle double celle qui a une double catastrophe, qui est heureuse pour les bons et funeste pour les méchants, comme dans l’Électre de Sophocle, où Oreste et Électre sont enfin heureux, et où Égisthe et Clytemnestre périssent. » (Dacier.

4. (1881) Cours complet de littérature. Poétique (3e éd.) « Poétique — Deuxième partie. De la poésie en particulier ou des différents genres de poésie — Seconde section. Des grands genres de poésie — Chapitre IV. Du genre dramatique. » pp. 252-332

La terreur est un trouble de l’âme craignant qu’il n’arrive quelque malheur. […] La pitié est le sentiment d’une âme qui s’attendrit sur les malheurs d’autrui. […] C’est là le lieu où elles doivent se montrer avec tous les malheurs, toutes les misères qui en sont les suites funestes. […] Une calamité, un malheur domestique, un accident funeste qui vient d’une cause étrangère, ne .prouve rien, n’instruit rien et n’avertit de rien. […] Pourquoi traîner plus loin ma vie et mes malheurs ?

5. (1853) Éléments de la grammaire française « Éléments de lagrammaire française. — Analyse grammaticale » p. 61

qu’il est heureux le mortel qui, pénétré de tes vérités sublimes, trouve sans cesse dans ton sein un asile contre le vice et un refuge contre le malheur !  […] Art. m. sing., se rapportant à malheur. malheur.

6. (1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre IV. Genre dramatique. »

Le but de la tragédie est d’émouvoir par le tableau des passions et du malheur ; elle emploie pour cela deux moyens, la terreur et la pitié : ce sont les bases de l’intérêt tragique. […] D’un attrait naturel de l’homme pour les émotions fortes, et en même temps de la satisfaction intime qu’il éprouve de se sentir à l’abri des malheurs dont on lui représente le tableau. […] Cette école de l’adversité nous fortifie par une épreuve anticipée du malheur, en même temps qu’elle nous rend moins confiants dans la prospérité, et qu’elle nous apprend à compatir aux maux d’autrui : le malheur est comme ces pluies d’orage qui purifient l’air et hâtent la maturité des fruits. […] Œdipe, Agamemnon, Oreste, sont poursuivis par la fatalité ; leur malheur est inévitable ; ils luttent, mais ils doivent succomber : le dénouement est prévu. […] Dans le théâtre moderne, l’homme a recouvré son libre arbitre et sa dignité : il peut choisir entre le bien et le mal ; son bonheur et son malheur dépendent de lui, de sa volonté ; par conséquent, il doit répondre de ses actes et s’attendre à une < récompense ou à un châtiment, selon le parti qu’il embrassera.

7. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre cinquième. De l’Éloquence des Livres saints. — Chapitre premier. Beautés de détail. »

On a pu relever, sans doute, quelques défauts dans ce bel ouvrage : pour nous, qui l’avons lu comme il a été composé, avec l’âme seulement,et qui n’avons pas le malheur de chercher à raisonner ce qui ne doit être que senti, nous y avons trouvé une imagination brillante, et plutôt au-delà qu’au-dessous de son sujet, une intarissable fécondité de sentiments tendres ou sublimes, de réflexions pieuses ou touchantes ; et quelques taches nous ont facilement échappé, perdues au milieu de tant de beautés d’un ordre si nouveau et d’un rang si supérieur. […] La Judée, par exemple, dont il est question ici, ne présente partout qu’un sol aride, coupé de ravins, hérissé de rochers : pendant les chaleurs de l’été, la terre était impitoyablement dévorée de l’ardeur du soleil ; la privation d’eau y était donc le plus grand malheur que l’on eût à redouter, et la découverte d’une source ou d’un peut ruisseau changeait pour un moment la face entière de la nature, et ramenait aux idées douces de plaisir et de bonheur. De là ces allusions si fréquentes, dans les livres saints, à une terre aride et brûlante, où il n’y a point d’eau, pour peindre l’excès du malheur : de là ces métaphores empruntées d’une rosée qui tombe du ciel, d’une source imprévue qui s’échappe du sein d’un rocher, pour décrire le passage du malheur à la prospérité, etc.

8. (1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Morceaux choisis des classiques français à l’usage de la classe de troisième. Chefs-d’œuvre de prose. — Montesquieu. (1689-1755.) » pp. 130-139

Les Troglodites périrent tous ; de tant de familles il n’en resta que deux qui échappèrent aux malheurs de la nation. […] Ils leur représentaient sans cesse les malheurs de leurs compatriotes, et leur mettaient devant les yeux cet exemple si triste. […] Le soir, lorsque les troupeaux quittaient les prairies et que les bœufs fatigués avaient ramené la charrue, ils s’assemblaient, et, dans un repas frugal, ils chantaient les injustices des premiers Troglodites et leurs malheurs, la vertu renaissante avec un nouveau peuple et sa félicité ; ils célébraient la grandeur des dieux, leurs faveurs toujours présentes aux hommes qui les implorent, et leur colère inévitable à ceux qui ne les craignent pas ; ils décrivaient ensuite les délices de la vie champêtre et le bonheur d’une condition toujours parée de l’innocence. […] Dans l’état où vous êtes, n’ayant point de chef, il faut que vous soyez vertueux malgré vous ; sans cela vous ne sauriez subsister, et vous tomberiez dans le malheur de vos premiers pères. […] Il les rendit célèbres par son repentir : de sorte qu’on oublia ses actions criminelles, pour se souvenir de son respect pour la vertu ; de sorte qu’elles furent considérées plutôt comme des malheurs que comme des choses qui lui fussent propres ; de sorte que la postérité trouva la beauté de son âme presque à côté de ses emportements et de ses faiblesses ; de sorte qu’il fallut le plaindre, et qu’il n’était plus possible de le haïr.

9. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Voltaire, 1694-1778 » pp. 253-281

Ses grandes qualités, dont une seule eût pu immortaliser un autre prince, ont fait le malheur de son pays. […] Le goût peut se gâter chez une nation ; ce malheur arrive d’ordinaire après les siècles de perfection1. […] Avouez, en effet, monsieur, que ce sont là de ces petits malheurs particuliers, dont à peine la société s’aperçoit. […] Si vous avez le malheur d’être médiocre (ce que je ne crois pas), voilà des remords pour la vie ; si vous réussissez, voilà des ennemis : vous marchez sur le bord d’un abîme, entre le mépris et la haine. […] Tout cela a causé des malheurs qui ne devaient pas naître d’une si légère cause.

10. (1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Chefs-d’œuvre de poésie. — Voltaire. (1694-1778.) » pp. 277-290

Les captifs, en tremblant, conduits en sa présence, Attendaient leur arrêt dans un profond silence : Le mortel désespoir, la honte, la terreur, Dans leurs yeux égarés avaient peint leur malheur. […] Mais à revoir Paris je ne dois plus prétendre : Vous voyez qu’au tombeau je suis prêt à descendre ; Je vais au Roi des rois demander aujourd’hui Le prix de tous les maux que j’ai soufferts pour lui Vous, généreux témoins de mon heure dernière, Tandis qu’il en est temps, écoutez ma prière : Nérestan, Châtillon, et vous… de qui les pleurs Dans ces moments si chers honorent mes malheurs, Madame, ayez pitié du plus malheureux père Qui jamais ait du ciel éprouvé la colère, Qui répand devant vous des larmes que le temps Ne peut encor tarir dans mes yeux expirants. […] De vos malheurs encor vous me voyez frémir. […] Votre plus jeune fils, à qui les destinées Avaient à peine encore accordé quatre années, Trop capable déjà de sentir son malheur, Fut dans Jérusalem conduit avec sa sœur. […] Tallemant des Réaux nous apprend que « Malherbe ne voulait pas qu’on rimât sur bonheur ni sur malheur, parce que les Parisiens n’en prononçaient que l’u, comme s’il y avait bonhur et malhur. » De là venait que l’e entrait dans beaucoup de mots où nous n’avons laissé que l’u : j’ai beu, leu, cheute, etc.

11. (1872) Recueil de compositions françaises pour préparer au discours latin les candidats au baccalauréat ès-lettres. Première série

Si vous vous montrez tels qu’il le désire, tels que je vous conseille d’être, moi qui comprends bien son esprit, jamais vous ne serez dans le malheur, que dis-je ? […] Quelle pitié témoignera-t-on à ceux qui n’ont pas mérité leurs malheurs ! […] Sers-toi de mon malheur plutôt pour mettre en évidence ta vertu que pour assouvir ta vengeance. […] En effet, celui qui vivrait, comme moi, au milieu de nombreux malheurs, ne jugerait-il pas que la mort est un bienfait pour lui ? […] De mes cendres naîtront vos malheurs et la punition de vos crimes.

12. (1813) Principes généraux des belles-lettres. Tome III (3e éd.) « Principes généraux des belles-lettres. » pp. 1-374

Pourroit-on être touché de pitié, s’attendrir sur un malheur qui ne seroit que la juste punition de ses forfaits ? […] Ces deux personnages, plus malheureux que coupables, n’ont pas mérité leur malheur ; voilà pourquoi nous les plaignons. […] Telles sont les principales espèces, les principaux degrés de malheurs que la tragédie doit choisir de préférence à tous les autres. […] C’est-là le lieu où elles doivent se montrer avec tous les malheurs, toutes les misères qui en sont les suites funestes. […] La tragédie doit exciter la terreur et la pitié par l’image des dangers et des malheurs que les passions entraînent après elles.

13. (1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Chefs-d’œuvre de poésie. — J. Racine. (1639-1699.) » pp. 226-241

Ta foi dans mon malheur s’est montrée à mes yeux ; Mais j’ai cru qu’à mon tour tu me connaissais mieux. […] Qui t’amène en des lieux où l’on fuit ta présence ; Voilà de ton amour le détestable fruit : Tu m’apportais, cruel, le malheur qui te suit. C’est toi dont l’ambassade, à tous les deux fatale, L’a fait pour son malheur pencher vers ma rivale. […] Grâce aux dieux, mon malheur passe mon espérance ! Oui, je te loue, ô ciel, de ta persévérance : Appliqué sans relâche au soin de me punir, Au comble des douleurs tu m’as fait parvenir : Ta haine a pris plaisir à former ma misère ; J’étais né pour servir d’exemple à ta colère, Pour être du malheur un modèle accompli : Hé bien !

14. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Mirabeau, 1749-1791 » pp. 368-376

Gardez-vous de demander du temps, le malheur n’en accorde pas. […] Malheur, mon cher, malheur à qui tenterait de faire une révolution et ne serait pas calomnié ! […] Et, qu’il me soit permis de le dire, à vous qui m’appréciez avec trop de bonté, elles auront peut être la honte et le malheur de réussir.

15. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Madame de Maintenon 1635-1719 » pp. 94-99

Songez, mon cher frère, au voyage d’Amérique, aux malheurs de notre père, aux malheurs de notre enfance, à ceux de notre jeunesse, et vous bénirez la Providence au lieu de murmurer contre la fortune. […] Sur les malheurs de la guerre À M. le duc de Noailles.

16. (1853) Exercices de composition et de style ou sujets de descriptions, de narrations de dialogues et de discours

» Et il raconte au négociant son malheur. […] Il leur raconte qu’un grand malheur est arrivé. […] Il a le malheur de tomber entre leurs mains. […] Il faisait périr dans les supplices ceux de ses soldats qui avaient eu le malheur d’être vaincus. […] Connu pour un bon citoyen, pourrait-il avoir souhaité le malheur de son pays ?

17. (1881) Cours complet de littérature. Poétique (3e éd.) « Poétique — Deuxième partie. De la poésie en particulier ou des différents genres de poésie — Seconde section. Des grands genres de poésie — Chapitre premier. Du genre lyrique » pp. 114-160

Chez les Hébreux, le cantique était employé à célébrer des événements heureux et mémorables, ou à déplorer des malheurs ; le plus souvent il était consacré à l’action de grâces. […] Ici, l’âme du poète doit être toute remplie de son objet, toute pénétrée des malheurs qu’elle veut déplorer, et se montrer tout entière. […] En cet état, l’homme repasse dans son imagination les causes de ses malheurs. […] On peut citer en ce genre les admirables Lamentations de Jérémie sur la ruine de Jérusalem et sur les malheurs des Juifs, le psaume Super flumina Babylonis, et les Messéniennes de Casimir Delavigne. Lorsque l’élégie déplore une perte domestique, un malheur privé, elle est individuelle.

18. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Beaumarchais, 1732-1799 » pp. 344-356

« Si mes malheurs doivent commencer par l’attaque imprévue d’un légataire avide sur une créance légitime, sur un acte appuyé de l’estime réciproque et de l’équité des deux contractants, accordez-moi pour adversaire un homme avare, injuste, et reconnu pour tel ; de sorte que les honnêtes gens puissent s’indigner que celui qui, sans droit naturel, vient d’hériter de quinze cent mille francs, m’intente un horrible procès, et veuille me dépouiller de cinquante mille écus, pour éviter de me payer quinze mille francs au nom et sur la foi de l’engagement de son bienfaiteur. […] dans mon malheur, tout ce que j’aurais ardemment désiré, ne l’ai-je pas obtenu ? […] Le désespoir m’allait saisir : on pense à moi pour une place ; mais, par malheur, j’y étais propre : il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint1. […] Si par malheur j’en avais un, je m’efforcerais de l’oublier quand je fais une comédie, ne connaissant rien d’insipide au théâtre comme ces fades camaïeux1 où tout est bleu, où tout est rose, où tout est l’auteur, quel qu’il soit.

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