Il y a, dans notre langue, un grand nombre de mots plus particulièrement affectés à la poésie. […] Combien y a-t-il de sortes de langage dans une même langue ? […] Le goût, en ce qui concerne la versification, est bien différent suivant les langues et les nations. Ce qui est très agréable dans une langue, est quelquefois insipide et de mauvais goût dans une autre. […] Cette suppression, en usage chez les Grecs et les Latins, s’est conservée dans la langue française.
Que les jeunes gens, qu’abuse si facilement tout ce qui a l’air de la grandeur ou de la vérité, apprennent et observent de bonne heure, que trois sortes de néologisme défigurent successivement les langues : celui d’abord qui introduit sans nécessité des mots nouveaux : celui qui donne aux mots anciens une acception qu’ils n’avaient pas ; et ici commence la dépravation du jugement et le désordre dans les idées : mais celui de tous qui est le plus dangereux, celui qu’il faut fuir avec le plus de soin, c’est celui, sans doute, qui familiarise insensiblement avec l’habitude de donner tout aux mots, et rien au sentiment ; de se faire un jargon aussi ridicule que barbare, où l’âme et le cœur ne sont et ne peuvent être pour rien, puisqu’il n’offre ni idées, ni sentiments, et que la langue seule en fait les frais. […] Dans quelque langue que ce soit, Homère, Virgile, Horace, le Tasse, Milton, etc., ne seraient pas supportables, littéralement traduits. […] si tu n’es pas toujours » Et nos premiers regrets et nos derniers amours, » Que nous restions sans voix ; que nos langues scellées » À nos palais brûlants demeurent attachées ! […] Ce qui rend ces regrets plus vifs encore, c’est qu’il est impossible de se dissimuler que Lebrun eût pu faire à notre poésie un honneur immortel ; c’est qu’il est pur, naturel, harmonieux sans effort, quand il a voulu l’être ; qu’il eût vraiment fait faire à la langue poétique un pas de plus, et qu’il a le premier essayé de plier au ton didactique sa dédaigneuse inflexibilité. […] C’est dans cette pieuse et belle élégie que se trouvent, au jugement de La Harpe, vingt des plus beaux vers de la langue française.
Comblés des bienfaits de ces souverains, ils enseignèrent publiquement les langues anciennes ; et un des Lascaris, de la famille des empereurs de Nicée, ne dédaigna pas d’ouvrir une école de grammaire latine et grecque. […] Une foule de poètes, d’orateurs, et d’historiens, firent revivre dans leurs belles productions la langue des anciens Romains. […] En France, Marot charmait les esprits par ses poésies pleines d’enjouement et de naïveté ; de Thou crayonnait dans la langue des Césars les malheurs de son siècle, lorsque parurent Pibrac, Montaigne 1 et Charron. Mais ces hommes de génie ne connurent point tous les agréments, dont notre langue était susceptible.
Cette qualité s’acquiert par la lecture des bons auteurs, et par l’étude approfondie de la langue. […] Si le néologisme est interdit, il ne peut être défendu de renouveler les mots, de rajeunir le style et d’enrichir la langue. […] Dans la langue parlée et dans la langue écrite La clarté du discours est le premier mérite. […] Que faut-il entendre par finesse d’une langue ? […] La nécessité d’une langue coûte peu à apprendre, dit Voltaire, ce sont les finesses et les délicatesses qui coûtent le plus.
De tous les exercices propres à les agrandir et à les fortifier, le plus efficace est cet ensemble d’études auquel on a donné le nom d’humanités et qui s’occupe surtout de la langue nationale et des langues anciennes. Il faut étudier ces langues dans leur vocabulaire et dans leur grammaire, méthodiquement et historiquement, c’est-à-dire dans le présent et le passé. […] L’obscurité vient généralement ou de l’ignorance de la langue, ou de l’embarras et de la longueur des phrases, ou d’une concision extrême ou enfin de l’affectation de l’esprit. […] La pureté consiste à n’employer que les termes et les constructions conformes aux lois de la raison et à celles de la langue. […] Après avoir distingué parmi les tropes, ceux d’usage ou de la langue qui entrent dans les habitudes communes du discours, et ceux d’invention ou de l’écrivain, qui appartiennent plus spécialement à celui qui les emploie, on peut rattacher à la métaphore : La métonymie, espèce de métaphore dans laquelle les expressions substituées au mot propre supposent une correspondance préalable entre les objets comparés, la cause pour l’effet, l’effet pour la cause, le contenant pour le contenu, le signe pour la chose signifiée, etc.
C’est par la langue maternelle que doivent commencer les études, dit M. […] Les enfants comprennent plus aisément les principes de la Grammaire, quand ils les voient appliqués à une langue qu’ils entendent déjà, et cette connaissance leur sert comme d’introduction aux langues anciennes qu’on veut leur enseigner.
Il ne contribua pas peu par son délicat enjouement à polir, à épurer notre langue et à lui donner plus de facilité et de finesse, tandis que Balzac la rendait plus forte, plus généreuse et plus sonore. […] Mademoiselle, Car étant d’une si grande considération dans notre langue, j’approuve extrêmement le ressentiment que vous avez du tort qu’on lui veut faire ; et je ne puis bien espérer de l’Académie dont vous me parlez, voyant qu’elle se veut établir par une si grande violence. […] Dans cette lettre, Voiture prend avec beaucoup de raison la défense de l’utile particule car, que beaucoup voulaient alors bannir de notre langue, et qu’il n’a pas peu contribué à sauver, au profit de la clarté du style. […] S’il n’eût trouvé, ajoutait-il, de la protection parmi les gens polis, n’était-il pas banni honteusement d’une langue à qui il a rendu de si longs services, sans qu’on sût quel mot lui substituer ?
, appelez ces idiotismes explétions, je ne m’y oppose point ; mais ce sont, dans le fait, de vrais pléonasmes que l’on peut analyser, ou des espèces d’interjections, communes à toutes les langues. […] Le premier hémistiche est complet, mais, dans le second, le mot où manque de son compagnon, là ; « sans songer où, dans quel endroit, je vais, je me sauve là où je puis. » Mais, en vérité, toutes ces formes sont-elles autre chose que des idiotismes que l’on rencontre à chaque ligne et qui relèvent uniquement du génie de la langue ? […] Dès que j’ai parlé d’hellénisme, ou construction imitée du grec, ou conçoit que chaque langue peut avoir ainsi des constructions singulières empruntées à une autre langue ; que le français est susceptible d’hellénismes, de latinismes, de germanismes, etc. […] Si l’on y tient cependant, on peut leur donner à toutes un seul nom, celui d’imiation, par exemple, et y joindre les constructions hors de l’usage commun, mais empruntées pourtant à une époque ou à un écrivain de la langue elle-même, comme en frauçais le Marotisme. […] Le goût, l’intelligence du génie de la langue et le tou de l’ouvrage sont les seuls guides à suivre dans ces infractions aux lois ordinaires.
L’obscurité du style naît le plus souvent de la confusion ou du vague des rapports entre eux ; et c’est de tous les vices du style le plus inexcusable et le plus choquant dans toutes les langues, et dans la nôtre en particulier. […] La pureté du langage consiste, par exemple, à n’employer que les termes et les constructions qui appartiennent à l’idiome que l’on parle, de préférence à ceux qu’il emprunte des autres langues, ou qui ont vieilli, ou qui sont trop nouveaux encore et employés sans autorité. […] Surtout qu’en vos écrits la langue révérée, Dans vos plus grands excès, vous soit toujours sacrée. […] Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin Est toujours, quoi qu’il fasse, un mauvais écrivain. […] Le barbarisme est une locution étrangère, mal à propos introduite dans le discours ; et le solécisme est une faute contre la syntaxe de sa propre langue.
Aussi, la postérité n’a-t-elle pas partagé l’engouement de ses contemporains ; toutefois, il fut pour la langue française un excellent professeur de rhétorique1. […] Le lieu où les feux étaient allumés et les bêtes déchaînées s’appelait, en la langue de la primitive Église, la place où l’on donne des couronnes. […] Cependant, le talent de Balzac a disparu dans la perfection même de la langue. L’heureuse combinaison des tours et la noblesse des termes sont entrés dans le trésor de la prose oratoire : l’exagération emphatique, le faux goût, la recherche, sont demeurés sur le compte de Balzac, et l’on n’a plus compris la gloire de cet écrivain, parce que les fautes seules lui restaient, tandis que ses qualités heureuses étaient devenues la propriété commune de la langue qu’il avait embellie. » 3.
Il fit pour la langue française ce que son maître Henri IV avait fait pour la France1 En lisant ses prédécesseurs, on comprend le soupir d’aise qui échappe à Boileau dans ce vers : Enfin, Malherbe vint… S’il eut peu de sensibilité, d’imagination et d’invention, s’il ne craignit pas d’être appelé le tyran des mots et des syllabes, il façonna l’instrument et le moule de la poésie. […] Rappelons ces vers de Boileau : il faut les savoir par cœur : Enfin, Malherbe vint ; et le premier, en France, Fit sentir dans les vers une juste cadence, D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, Et réduisit la muse aux règles du devoir, Par ce sage écrivain la langue réparée, N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée ; Les stances avec grâce apprirent à tomber, Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber. […] Né avec de l’oreille et du goût, il connut les effets du rhythme, et créa une foule de constructions poétiques adaptées au génie de notre langue. […] « Quelques strophes de ce ton suffisent pour réparer une langue, et monter une lyre. » (Sainte-Beuve.)
Les plans d’études les plus récents de l’enseignement secondaire ont établi qu’il serait fait usage, dans toutes les classes des lycées et des colléges, pour que la connaissance de notre langue et de notre littérature y fût plus répandue et plus approfondie, de recueils de morceaux choisis, empruntés à nos meilleurs écrivains, prosateurs et poëtes, à ceux que nous pouvons appeler nos classiques. […] Pour les enfants des classes élémentaires, convaincu qu’il fallait avant tout les former à l’usage de la langue de nos jours, nous avons, sans acception de temps, choisi chez ceux qui l’ont le mieux écrite, même chez les auteurs contemporains, ce qui nous a paru en rapport avec leur jeune intelligence. […] Nous nous estimerons heureux si nous paraissons à nos collègues n’être pas demeuré trop loin du but que nous avions à cœur d’atteindre, et si ces recueils en particulier, rédigés pour les classes supérieures, sont considérés comme un manuel de composition et de style, où les jeunes gens puissent apprendre, non par d’arides théories, mais par la pratique des chefs-d’œuvre de notre langue, à penser et à écrire.
Lors de la première formation des langues, les hommes commencèrent par donner des noms aux objets qui frappaient le plus fréquemment leur vue ; et cette nomenclature fut sans doute longtemps bornée. […] Or il était, et il est peut-être impossible encore qu’une langue fournisse des termes différents pour toutes les idées et tous les objets. […] Il est facile de voir pourquoi le langage a été plus figuré dans les premiers temps de la formation des langues, et pourquoi il se retrouve si communément dans la bouche de ceux que leur condition ou leur naissance a placés le plus loin de toutes les sources de l’instruction. […] À mesure que les langues se sont perfectionnées, les esprits observateurs ont remarqué quel avantage on pouvait tirer du langage figuré, si commun dans les premiers temps. […] 6º Enfin, les tropes enrichissent une langue, en multipliant l’emploi et la signification d’un même terme, soit en l’unissant avec d’autres mots, auxquels il ne peut se joindre dans le sens propre ; soit en lui donnant une extension ou une ressemblance qui supplée aux termes qui manquent dans la langue.
N’oublions pas que la langue de l’éloquence est la langue des affaires, et que, s’adressant au peuple, elle doit être avant tout simple, précise, pratique. […] La catachrèse supplée à l’insuffisance de la langue, en empruntant des noms à des choses qui en ont, pour les donner à celles qui n’en ont pas. […] Leur mémoire trouve soudain le mot qui leur manque et leur langue n’est jamais en défaut. […] Ces euphémismes abondent dans la langue des Athéniens : ils sont très-fréquents aussi dans la nôtre, parce que nous sommes comme eux un peuple sociable.
Sa langue est devenue la langue de l’Europe ; tout y a contribué : les grands auteurs du siècle de Louis XIV ; ceux qui les ont suivis ; les pasteurs calvinistes réfugiés, qui ont porté l’éloquence, la méthode, dans les pays étrangers ; un Bayle surtout, qui, écrivant en Hollande, s’est fait lire de toutes les nations ; un Rapin de Thoyras, qui a donné en français la seule bonne histoire d’Angleterre ; un Saint-Évremond, dont toute la cour de Londres recherchait le commerce ; la duchesse de Mazarin, à qui l’on ambitionnait de plaire ; Madame d’Olbreuse, devenue duchesse de Zell, qui porta en Allemagne toutes les grâces de sa patrie. […] La langue française est de toutes les langues celle qui exprime avec le plus de facilité, de netteté et de délicatesse, tous les objets de la conversation des honnêtes gens ; et par là elle contribue dans toute l’Europe à un des plus grands agréments de la vie. » 1.
… Du moins ne permets pas… » La Mollesse oppressée Dans sa bouche, à ce mot, sent sa langue glacée, Et, lasse de parler, succombant sous l’effort, Soupire, étend les bras, ferme l’œil et s’endort3. […] Et l’on ne peut nier que Chapelain n’eût pour son temps beaucoup de littérature et de mérite : mais il fut un de ces poëtes attardés qui avaient le malheur de parler une tout autre langue que Boileau et ses amis. […] C’est ici qu’il faut se rappeler ce que dit si justement Rivarol dans son discours sur l’universalité de notre langue : « Tout ce qui n’est pas clair n’est pas français. » 2. […] Très-rarement toutes les ressources de la langue poétique ont été déployées avec autant de facilité et d’éclat. […] Ici on signalera, pour parler la langue de notre poëte, le pouvoir d’un mot mis en sa place.
. — On imite encore en appliquant avec habileté à d’autres sujets des traits empruntés à une autre langue, comme l’a fait Voltaire pour le Te, dulcis conjux… — Enfin, une autre manière, appelée méthode de reproduction, consiste à lire plusieurs fois avec attention un morceau intéressant, à le reproduire librement et à le comparer avec le modèle. […] Une autre sorte d’imitation, conseillée par Cicéron, Pline le Jeune et tous les littérateurs modernes, c’est la traduction, qui consiste à transporter une pensée, un ouvrage d’une langue dans une autre. […] Qu’il nous suffise de dire sur ce point que pour bien traduire une langue, ce n’est pas assez de la savoir, mais qu’il faut encore manier habilement la sienne ; et que si une bonne traduction demande la précision, la clarté, la pureté et l’élégance, son vrai mérite consiste surtout dans la fidélité, qui fait qu’on n’altère en rien ni la pensée de l’écrivain, ni le génie de la langue.