L’accusation fut intentée quatre ans avant la mort de Philippe, et l’on ne procéda au jugement que la sixième année du règne d’Alexandre, lorsque ce prince était déjà maître de l’Asie. […] Je le dirai donc : quand même nous aurions tout prévu, quand toi-même, Eschine, toi qui n’osas pas alors ouvrir la bouche, devenu tout à coup prophète, tu nous aurais prédit l’avenir, il eût fallu faire encore ce que nous avons fait, pour peu que nous eussions eu sous les yeux la gloire de nos ancêtres et le jugement de la postérité.
« En ce jour, Sire, avant que Votre Majesté reçût cette onetion divine, avant qu’elle eût revêtu ce manteau royal qui ornait bien moins Votre Majesté qu’il n’était orné de Votre Majesté même, avant qu’elle eût pris de l’autel, c’est-à-dire de la propre main de Dieu, cette couronne, ce seeptre, cette main de justice, cet anneau qui faisait l’indissoluble mariage de Votre Majesté et de son royaume, cette épée nue et flamboyante, toute victorieuse sur les ennemis, toute-puissante sur les sujets, nous vîmes, nous entendîmes Votre Majesté, environnée des pairs et des premières dignités de l’Etat, au milieu des prières, entre les bénédictions et les cantiques, à la face des autels, devant le ciel et la terre, les hommes et les anges, proférer de sa bouche sacrée ces belles et magnifiques paroles, dignes d’être gravées sur le bronze, mais plus encore dans le cœur d’un si grand roi : Je jure et promets de garder et faire garder l’équité et miséricorde en tous jugements, afin que Dieu, clément et miséricordieux, répande sur moi et sur vous sa miséricorde. » Mais où l’orateur rencontre souvent les accents les plus pathétiques, c’est lorsqu’il se met lui-même en scène, et qu’il communique à l’auditoire cette énergie de la personnalité qui met, non plus les opinions et les sentiments, mais l’homme lui-même en contact avec l’homme. […] Cette profonde sympathie pour les misères physiques et morales de l’humanité, ce salutaire effroi des impénétrables jugements de Dieu, cette invincible fermeté contre les méchants, cette inépuisable charité qui doivent animer le prédicateur, lui permettent de multiplier les tableaux terribles ou touchants, énergiques ou tendres, de répandre l’onction la plus pénétrante, de faire un appel aux sentiments les plus affectueux.
Il faut se défier de ses portraits et de ses jugements ; car la passion l’aveugle, quand elle ne l’éclaire pas ; mais son génie de peintre et de moraliste l’égale à Molière, à Cervantes, à Shakespeare. […] Les plus fins d’entre eux, ou les plus considérables, s’inquiétaient déjà de la santé du roi ; ils se savaient bon gré de conserver tant de jugement parmi ce trouble, et n’en laissaient pas douter par la fréquence de leurs répétitions.
Le goût admet quelque latitude dans ses jugements, qui, quoique divers, peuvent encore être en harmonie avec la pureté ou la délicatesse de ce sentiment. […] C’est ainsi que nous disons un jugement profond, une idée claire, une conduite réglée, enflammé de colère, brûlant d’amour, etc. […] Dans les jugements que nous devons porter sur l’abondance et la concision, il faut toujours être dirigé par la nature de la composition. […] On exige que le jugement, en mûrissant, mette un frein à l’imagination, et rejette comme puérils les ornements superflus, inconvenants, et inutiles à la clarté. […] je n’ose regarder d’un œil fixe les abîmes de vos jugements et de votre justice ; peut-être ne s’en trouvera-t-il qu’un seul, et ce danger ne vous touche pas, mon cher auditeur ?
Nous avons de bonnes grammaires françaises, mais je doute que l’on puisse porter un jugement aussi favorable des abrégés qui ont été faits pour les commençants.
De toutes les obscurités qu’offre ce chapitre, des jugements que l’auteur y porte, et de la place qu’il occupe dans les développements relatifs à la tragédie, Ritter conclut qu’il n’est pas d’Aristote.
Sous ses idées fixes, sous ses paradoxes, sous ses jugements absolus, il y a du trait, du mordant, des vues hardies, neuves et profondes, l’accent d’une voix vibrante qui porte au loin, des airs de prophète qui lance la foudre. […] N’attendez pas qu’elles fassent aucun effort pour échapper à leur jugement ou pour l’abréger.
Longin disait : « Si nous visons au grand, au sublime, demandons-nous comment Homère ou Démosthène écouteraient notre œuvre, quel jugement ils feraient de nous. […] Ce n’est là rien de plus qu’un juste tribut payé à leur renommée ; en d’autres termes, c’est la modestie convenable à tout individu, de penser que son jugement inexpérimenté est sujet à se méprendre plutôt que la voix unanime du public.
On supprime encore l’article avant les noms communs, pris dans une partie indéterminée de leur signification, lorsque ces noms sont précédés de leur adjectif, ou d’un adverbe qui renferme une idée de quantité : = Quand on a des connaissances étendues, de grands sentiments, et beaucoup de jugement, on peut se consoler d’avoir peu de fortune. Les noms substantifs, connaissances, sentiments, jugement, fortune, sont pris ici dans un sens partitif et indéterminé, puisqu’on prétend désigner, non toutes les connaissances, tous les sentiments, tous le jugement, toute la fortune imaginables ; mais seulement quelques connaissances, quelques sentiments, quelque portion de jugement et de fortune, sans vouloir cependant les spécifier. […] Je le supprime aussi avant jugement et fortune, parce que ces noms sont précédés des adverbes de quantité, peu, beaucoup. […] C’est sur ce même principe, que l’Académie, dans son jugement sur la tragédie du Cid, condamna cette phrase que Corneille corrigea depuis : quand je lui fis l’affront, etc.
« Aristote, dont les jugements sont des lois, dit positivement que l’épopée peut être écrite en prose ou en vers : et ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’il donne au vers homérique ou vers simple un nom qui le rapproche de la prose, ψɩλομɛτρία, comme il dit de la prose poétique, ψɩλοί λόγοɩ. » (Chateaubriand, Préface des Martyrs.
., livre cité, et Jugement sur les philosophes : Οὐδὲ παραλɛίπουσι τὴν σαφὴνɛɩαν, ἀλλὰ ϰɛϰραμένῃ τῇ δɩαλέϰτῳ χρώμɛνοɩ.
Si l’écrivain a l’intelligence très vive, son style sera nécessairement rapide et concis ; si l’imagination prédomine, ses expressions seront toujours brillantes et figurées ; si le jugement fait défaut, les pensées ne se joindront qu’à la faveur des mots, et le style sera diffus et traînant.
« Que cet homme, dominé naturellement par un tempérament vif, emporté par l’excès de son zèle, aigri par les contradictions sans cesse renaissantes, poussé par l’indignation que devaient exciter tant de crimes réunis, se soit laissé aller à des plaintes amères et à des reproches violents ; qu’il ait fait entendre, qu’il ait fait tonner dans toute sa force la voix de cette vérité toujours si effrayante pour les coupables ; qu’il les ait accablés de menaces dont malheureusement il n’a jamais exécuté aucune ; que parmi ces coupables, quelques-uns l’nient été moins, en effet, qu’ils ne lui ont paru l’être ; qu’accoutumé à se voir trompé de toutes parts, à rencontrer partout l’hypocrisie et la scélératesse, il en était presque venu au point de ne pas croire à la vertu dans ces affreux climats ; qu’il ait confondu le citoyen indolent et incapable avec le citoyen perfide et dangereux ; qu’il n’ait pas toujours eu assez de patience avec l’un, assez de dissimulation avec l’autre : qu’il ait été ou trop prompt ou trop franc dans quelques-uns de ses jugements, ou trop indiscret ou trop dur dans quelques-unes de ses expressions ; que dans ces instants de trouble et d’amertume où tout conspirait à le plonger, il lui ait échappé quelque démarche imprudente dont il n’est jamais résulté de préjudice public, quelque résolution désespérée qui n’a jamais eu d’effet ; qu’enfin, il faille dire de lui, si l’on veut, ce que Tite-Live disait du grand Camille : Que les génies les plus supérieurs, que les plus grands hommes savent mieux vaincre que gouverner, était-ce donc là de quoi le condamner à perdre la tête sur un échafaud ? […] mais jamais un jugement inique n’ordonnera cette cruelle séparation : je me suis adressé à des cœurs sensibles, les chiens gagneront leur cause.
Ses jugements littéraires furent du moins d’infaillibles arrêts : en quelques lignes, il en dit plus que d’ambitieux traités de rhétorique. […] Quiconque en discerne la beauté d’une veue ferme et rassise3, il ne la veoid pas, non plus que la splendeur d’un esclair : elle ne practique4 poinct nostre jugement ; elle le ravit et ravage.
Appliquée à l’histoire des beaux-arts et au jugement des chefs-d’œuvre de la peinture2, elle a, dans des pages d’une justesse et d’une finesse exquises, tracé l’histoire des grandes écoles et appelé sur l’œuvre du plus doux et du plus expressif de nos peintres, Eustache Lesueur, un retour de célébrité auquel est associé désormais son historien. […] Et comme, par la définition du point, de la ligne, de la surface, et par d’autres principes très-familiers, nous parvenons à des connaissances qui mesurent enfin le ciel et la terre ; de même aussi, par les raisonnements et les conséquences que l’on peut tirer de ces fables, on se forme le jugement et les mœurs, ou se rend capable de grandes choses. » (La Fontaine, Préface de ses fables.)
Les vues générales risquent toujours d’être trop absolues, et l’étude du détail, sans démentir le jugement d’ensemble, y apporterait des réserves et des nuances. […] Il ne peut nous convenir de formuler des jugements dont le ton, par la nécessité d’être court, risquerait trop d’être tranchant et absolu. […] La raison qui explique la sévérité de leurs jugements, c’est que l’éloquence de la chaire subissait, en effet, une transformation, et leur foi, comme leur goût, s’en inquiétait. […] qui pourra sonder les jugements de Dieu, et qui osera ne pas s’anéantir en leur présence ? […] Mais, on le comprend, sur l’œuvre de Voltaire, comme sur le siècle dont elle exprime les plus divers aspects, l’unité de jugement est impossible.
Patru, par exemple, était consulté par Vaugelas comme l’oracle de la langue française : Racine et Boileau s’empressaient de lui lire leurs ouvrages, et son jugement déterminait le leur.