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99. (1843) Nouvelle rhétorique, extraite des meilleurs auteurs anciens et modernes (7e éd.)

Il ne faut pas faire à l’art de bien dire le tort de croire qu’il ne soit qu’un art frivole dont un déclamateur se sert pour imposer à la faible imagination de la multitude ; et pour trafiquer de la parole. […] Si on ne les anime pas, si l’imagination n’essaye pas de rendre la vie et le mouvement à ces beautés oratoires dont elles offrent à peine l’ombre, elles remplissent la mémoire sans être d’aucun secours pour l’esprit. […] L’expression est l’âme de tous les ouvrages qui sont faits pour plaire à l’imagination. […] La prose a ses peintures, quoique plus modérées ; sans ces peintures, on ne peut échauffer l’imagination de l’auditeur, ni exciter ses passions. […] Elle est l’effet d’une imagination vivement frappée, à qui les expressions ordinaires paraissent trop faibles.

100. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre premier. Éléments généraux du Goût et du Style. — Chapitre VIII. Des Figures en général. »

Les figures de pensées, dit Cicéron, dépendent uniquement du tour de l’imagination ; elles ne consistent que dans la manière particulière de penser ou de sentir, en sorte que la figure reste toujours la même, quoique l’on change les mots qui l’expriment27. […] Mais si je dis simplement : Ce ministre est la colonne de l’état, voilà une métaphore qui n’est, comme on voit, qu’une comparaison abrégée qu’achève l’imagination. […] Voilà Louis XIII pris métaphoriquement pour Jupiter ; et l’imagination s’attend à voir cette figure soutenue. […] Virgile sans doute n’a prétendu le fait ni arrivé, ni possible ; mais, l’imagination fortement préoccupée de la légèreté de Camille, il a employé, pour la peindre, les tours et les expressions qu’il a jugées les plus propres à nous en donner l’idée qu’il en avait lui-même. […] Le célèbre Young, dont l’imagination avait plus de force que de grâce et de correction, nous étonne quelquefois par la hardiesse de ses métaphores et de ses images ; mais il se maintient rarement à ce point de hauteur, et sa chute est quelquefois aussi rapide que son vol a été prompt et sublime.

101. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Voltaire, 1694-1778 » pp. 253-281

L’imagination religieuse y fait défaut ; mais des portraits, des caractères, des sentences politiques, des vers heureux nous y dissimulent les faiblesses d’une invention trop assujettie à la routine des procédés classiques. […] Mon imagination s’appesantit dans des études qui sont à la poésie ce que des garde-meubles sombres et poudreux sont à une salle de bal bien éclairée. […] Vous ne trouvez point Boileau assez fort ; il n’a rien de sublime, son imagination n’est point brillante, j’en conviens avec vous ; aussi il me semble qu’il ne passe point pour un poëte sublime, mais il a bien fait ce qu’il pouvait et ce qu’il voulait faire. […] Les lettres nourrissent l’âme, la rectifient, la consolent ; elles vous servent, monsieur, dans le temps que vous écrivez contre elles ; vous êtes comme Achille, qui s’emporte contre la gloire, et comme le père Malebranche, dont l’imagination brillante écrivait contre l’imagination.

102. (1866) Cours élémentaire de rhétorique et d’éloquence (5e éd.)

Ce sont les trois facultés que les rhéteurs appellent sensibilité, imagination et discernement. […] De l’imagination. […] L’imagination est une faculté très importante dans celui qui veut agir sur les passions. […] Si elles n’étaient pas réglées par le discernement, la sensibilité et l’imagination seraient des guides infidèles. […] Nécessité de l’imagination et de la sensibilité.

103. (1867) Morceaux choisis des classiques français, à l’usage des classes supérieures : chefs d’œuvre des prosateurs et des poètes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouvelle édition). Classe de rhétorique

Les habiles par imagination se plaisent tout autrement à eux-mêmes que les prudents ne se peuvent raisonnablement plaire. […] Enfin c’est le plus grand caractère sensible de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée. […] Mais ici notre imagination nous abuse encore. […] S’étonnera-t-on qu’après une fécondité si prodigieuse, la vieillesse ait été prématurée pour l’imagination de Corneille ? […] Imaginations !

104. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section cinquième. La Tribune académique. — Chapitre III. Discours académiques de Racine, de Voltaire et de Buffon. »

Leurs tours naturels et hardis deviennent familiers ; les hommes, qui sont tous nés imitateurs, prennent insensiblement la manière de s’exprimer et même de penser des premiers dont l’imagination a subjugué celle des autres ». […] La véritable éloquence suppose l’exercice et la culture de l’esprit ; elle est bien différente de cette facilité naturelle de parler, qui n’est qu’un talent, une qualité accordée à tous ceux dont les passions sont fortes, les organes souples et l’imagination prompte.

105. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — André de Chénier 1762-1794 » pp. 480-487

Mais ces grands hommes, en imitant, sont demeurés originaux, parce qu’ils avaient à peu près le même génie que ceux qu’ils prenaient pour modèles ; de sorte qu’ils cultivaient leur propre caractère, sous ces maîtres qu’ils consultaient et qu’ils surpassaient quelquefois ; au lieu que ceux qui n’ont que de l’esprit sont toujours de faibles copistes des meilleurs modèles, et n’atteignent jamais leur art : preuve incontestable qu’il faut du génie pour bien imiter, et même un génie étendu pour prendre divers caractères ; tant s’en faut que l’imagination donne l’exclusion au génie. » 1. […] Un frais souffle venu de la Grèce traversa les imaginations, l’on respira avec délices ces fleurs au parfum enivrant qui auraient trompé les abeilles de l’Hymette.

106. (1872) Cours élémentaire de rhétorique

Mais il faut que la nature nous ait donné une sensibilité exquise jointe à une vive imagination. […] Mais, dira-t-on, on n’acquiert pas plus l’imagination qu’on n’acquiert une autre faculté. […] Enfin, dans ceux qui appartiennent à l’imagination, l’écrivain veut plaire : son style sera fin, gracieux, élégant, varié. […] Du Styx la rive désolée n’offre pas à l’imagination cette plage hideuse, infecte, qu’abominent même les dieux. […] Ceux qui sont pourvus d’une imagination vive, se laissent d’ordinaire entraîner à l’hyperbole.

107. (1853) Petit traité de rhétorique et de littérature « Chapitre XI. Grands poèmes. »

Elle s’est montrée, sans doute, dès qu’un homme doué de quelque imagination et instruit par l’expérience a communiqué ce qu’il savait aux jeunes gens qui l’entouraient. […] À cet égard, personne n’a poussé plus loin le dérèglement de l’imagination que Camoëns dans ses Lusiades. […] Tel est le sujet du poème ; telle est l’action que le poète a chantée, et dans laquelle il a déployé autant d’imagination, autant de talent poétique qu’il peut y en avoir dans les plus beaux poèmes épiques. […] Malgré ces défauts la fécondité, la force et la beauté d’imagination qui règnent dans tout cet ouvrage, font marcher l’auteur bien près d’Homère, de Virgile et de Tasse.

108. (1881) Morceaux choisis des classiques français des xvie , xviie , xviiie et xixe siècles, à l’usage des classes de troisième, seconde et rhétorique. Poètes

Ainsi s’échappait l’imagination affolée : Tum data libertas animis, resolutaque legum Frenis Musa ruit… […] Du Bellay, en la mettant à la remorque des langues anciennes ; les emprunts multipliés aux patois provinciaux qu’ils qualifiaient de dialectes, aux vocabulaires techniques des arts et des métiers ; toutes ces innovations indiscrètement pratiquées dans des compositions multiples qui ne savaient s’arrêter que quand, par bonheur, le moule métrique lui en imposait la loi, avaient fait de son style une bigarrure étrange d’érudition, d’emphase, de trivialité, de prolixité ; et sous une végétation parasite et emmêlée de langage, restaient trop souvent étouffées la délicatesse du sentiment, la grâce de l’imagination, la richesse de l’invention poétique, la force de la pensée, « la verve et l’enthousiasme » de l’inspiration que lui reconnaît La Bruyère (Caractères, I), et même l’éloquence mâle et nerveuse qui dans maint beau passage, surtout de ses Élégies et de ses Discours, se développent librement. […] Son imagination vive et ardente puisa à plus d’une source. […] Son style se sent, il le reconnaît lui-même, du « naturel ramage » ; c’est un mélange d’audace fanfaronna dans l’étrangeté, d’imagination brillante et de grandeur, parfois tendue et guindée. […] Sa douceur, sa délicatesse, sont gâtées par l’afféterie, ce que Malherbe appelle « drôlerie italienne », et, brutalement, « imagination prise de l’italien et sotte partout ».

109. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre cinquième. De l’Éloquence des Livres saints. — Chapitre III. Beautés de sentiment. »

Les règles, dans tous les arts de l’imagination, sont le résultat de l’étude raisonnée des grands modèles : c’est l’Iliade et l’Odyssée sous les yeux ; c’est l’Œdipe et l’Électre à la main, qu’Aristote donnait les règles du poème épique et de la tragédie ; aussi rien de plus judicieux que ces règles tracées par la nature elle-même, pour diriger le génie de Sophocle et d’Homère. […] L’auteur du Poème des Jardins ; celui de la Chartreuse et de la Fête des Morts 166 prêtèrent à notre poésie ce charme rêveur, cette teinte de mélancolie douce, mais profonde, premier caractère de l’élégie sacrée, qui nourrie tour à tour de sentiments tendres et de pensées sublimes, doit s’adresser alternativement au cœur et à l’imagination, frapper et émouvoir tour à tour. […] Treneuil me semble avoir contracté cette élévation habituelle de style et de pensée ; et comme Bossuet, dit-on, lisait Homère pour échauffer son imagination, il est probable aussi que M. 

110. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie —  Vauvenargues, 1715-1747 » pp. 336-343

Trop indulgent pour nos passions, il les regarda comme des forces qu’on peut tourner à la vertu, et crut trop à la bonté originelle de notre nature ; mais ne lui reprochons pas l’idée généreuse de concilier cette grandeur et cette misère qui avaient effrayé l’imagination de Pascal. […] Il n’est guère sympathique aux Ménalques ; voulez-vous voir son idéal secret, lisez cette page : « Quand je trouve dans un ouvrage une grande imagination avec une grande sagesse, un jugement net et profond, des passions très-hautes mais vraies, nul effort pour paraître grand, une extrême sincérité, beaucoup d’éloquence, et point d’art que celui qui vient du génie, alors je respecte l’auteur, je l’estime autant que les sages ou que les héros qu’il a peints.

111. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Saint-Marc Girardin. Né en 1801. » pp. 534-541

Tout ce qui vit est médiocre, et l’homme veut, par son imagination au moins, échapper à cette médiocrité qui le presse de tous côtés, qui est le sort de la vie terrestre, il le sait, mais qui n’est pas la vocation de son âme. […] Autrefois l’imagination faisait des saints pour les légendes ; aujourd’hui elle fait des démons pour les romans.

112. (1886) Recueil des sujets de composition française donnés à la Sorbonne aux examens du baccalauréat ès lettres (première partie), de 1881 à 1885

. — De là sont nés tous les genres littéraires, que l’imagination vive de la Grèce a créés, ne l’oublions pas. […] Nous avons, dans ce vers de Virgile, la raison de l’infériorité des Romains dans les choses de l’esprit, avouée par ceux même qui ont le plus fait pour élever au plus haut point la gloire littéraire de Rome : c’est un peuple guerrier, qui n’a pas le temps de donner l’essor à son imagination ; son imagination artistique et littéraire est presque toute d’emprunt. […] On conçoit donc comment le merveilleux, qui est l’âme même de la poésie épique, et qui était si familier aux imaginations de ces peuples antiques, a été une source féconde d’où sont sorties tant d’épopées perdues ou restées inconnues. […] À mesure que la raison s’est développée aux dépens de l’imagination, ou a vu, même dans l’antiquité païenne, si bien faite pour l’épopée, le genre épique baisser dans l’estime publique. […] Et pourtant tous ces grands écrivains portent le nom de poètes, parce qu’ils ont senti vivement, qu’ils ont fait œuvre d’imagination et se sont exprimés dans une langue originale, pittoresque et émue.

113. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Bossuet 1627-1704 » pp. 65-83

Familiarité hardie, pathétique ingénu, poésie de l’expression, brusques saillies d’imagination, élans impétueux, je ne sais quoi de vif et de soudain ; tel est le caractère de ses premiers sermons : ils ont le feu de la jeunesse, et une grâce de nouveauté qui ravit. […] Mais la jeunesse téméraire et malavisée, qui présume toujours beaucoup, à cause qu’elle a peu expérimenté, ne voyant point de difficulté dans les choses, c’est là8 que l’espérance est la plus véhémente et la plus hardie ; si bien que les jeunes gens, enivrés de leurs espérances, croient tenir tout ce qu’ils poursuivent : toutes leurs imaginations leur paraissent des réalités. […] Ici tout effort d’imagination serait superflu.

114. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Chateaubriand, 1768-1848 » pp. 409-427

Ce livre, qui ramenait les âmes à la foi par l’imagination et la sensibilité, rendait enfin l’idéal perdu : il réhabilitait tout ce qu’avaient flétri des sarcasmes impies ; il protestait contre les persécuteurs qui avaient fermé les Églises, brisé les autels, proscrit les prêtres. […] Tour à tour classique et romantique, il a moins de goût que d’imagination et de sensibilité. […] En vain, dans nos champs cultivés, l’imagination cherche à s’étendre ; elle rencontre de toutes parts les habitations des hommes : mais, dans ces régions sauvages, l’âme se plaît à s’enfoncer dans un océan de forêts, à planer sur le gouffre des cataractes, à méditer au bord des lacs et des fleuves, et, pour ainsi dire, à se trouver seule devant Dieu2.

115. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre premier. Éléments généraux du Goût et du Style. — Chapitre VII. De l’Harmonie imitative. »

Chez eux, tout est grand, tout élève l’imagination, au lieu de la rapetisser ; et les détails les plus minutieux empruntent de leur pinceau une grâce qui les relève, une majesté qui les ennoblit. […] Virgile, toujours sage, au milieu même de ses écarts, ne donne à l’oreille que ce qu’exige la vérité, et l’harmonie est toujours chez lui l’accord juste du tact le plus exquis avec l’imagination la plus brillante.

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