D’Aguesseau veut prouver que la science étend et enrichit l’esprit : il rapproche, par un dénombrement vif et animé, les différentes sources d’agrandissement qu’elle lui ouvre : Par elle, l’homme ose franchir les bornes étroites dans lesquelles il semble que la nature l’ait renfermé. […] On n’y voit que les malheureux que les tempêtes y ont jetés, et on n’y peut espérer de société que par les naufrages ; encore même, ceux qui venaient en ce lieu n’osaient me prendre pour me ramener ; ils craignaient la colère des dieux et celle des Grecs. […] L’époux et l’épouse ne sont plus qu’une même cendre ; et tandis que leurs âmes, teintes du sang de Jésus-Christ, reposent dans le sein de la paix, j’ose le présumer ainsi de son infinie miséricorde, leurs ossements, humiliés dans la poussière du sépulcre, selon le langage de l’Écriture, se réjouissent dans l’espérance de leur entière réunion et de leur résurrection éternelle. […] L’épouse de Jésus-Christ ne s’était jamais vue couverte de plus de taches et de rides que dans ces temps de ténèbres et de dissolutions, où la Providence avait marqué dans ses conseils éternels la naissance de ce grand homme : la foi éteinte parmi les fidèles, le culte défiguré et inondé de superstitions, les clercs et les princes des prêtres plongés dans l’ignorance et dans le vice, la vigueur de la discipline monastique affaiblie, et les élus eux-mêmes, si j’ose le dire, sur le point de céder au torrent, et de se laisser entraîner par l’erreur commune. […] Il allait s’embarquer à Messine ; et, se croyant hors de tout danger, il avait osé faire entendre des menaces, disant que, dès qu’il serait arrivé à Rome, Verrès entendrait parler de lui, et rendrait bientôt compte de sa conduite, pour avoir mis dans les fers un citoyen romain.
Iphigénie cherche à ébranler Agamemnon dans la résolution qu’il a prise de la sacrifier : Si pourtant ce respect, si cette obéissance Paraît digne à vos yeux d’une autre récompense ; Si d’une mère en pleurs vous plaignez les ennuis, J’ose vous dire ici qu’en l’état où je suis, Peut-être assez d’honneurs environnaient ma vie, Pour ne pas souhaiter qu’elle me fût ravie, Ni qu’en me l’arrachant un sévère destin Si près de ma naissance en eût marqué la fin. […] Deux fois il ose l’aborder, deux fois l’incendie qui s’allume dans le vaisseau ennemi l’oblige de s’écarter. […] Et l’impie sera-t-il assez désespéré pour attribuer à ce qui n’est pas, toute-puissance qu’il ose refuser à celui qui est essentiellement, et par qui tout a été fait ? […] Mais oses-tu penser que les Serviliens, Les Cosses, les Métels, les Pauls, les Fabiens, Et tant d’autres, enfin, de qui les grands courages Des héros de leur sang sont les vives images. […] Ces choses ne paraîtraient pas vraisemblables, si l’on ne savait pas qu’un despote dans le délire est fait pour tout oser, et qu’un peuple esclave est fait pour tout souffrir.
Les Sicambres, tous frappés par-devant et couchés sur le dos, conservaient dans la mort un air si farouche, que le plus intrépide osait à peine les regarder. […] Un seul fait suffit à la gloire de ce peuple : quand Néron visita la Grèce, il n’osa entrer dans Lacédémone. […] Jésus est le seul qui l’ait osé. […] Si, comme l’orateur romain, il célèbre les guerriers de la légion de Mars tombés au champ de bataille, il donne à leurs âmes cette immortalité que Cicéron n’osait promettre qu’à leur souvenir150 ; il charge Dieu lui-même d’acquitter la reconnaissance de la patrie. […] Thiers, par l’Histoire de la Révolution française, se plaçait au premier rang de nos historiens modernes Fidèlement attaché à la monarchie constitutionnelle de 1830, il la servît avec dévouement, et, ce qui vaut mieux encore, avec cette fermeté indépendante qui ose déplaire pour prévenir les fautes.
Ce sont là, si je l’ose dire, les mœurs de la nature. […] Racine, qui a si admirablement, j’ai presque dit si audacieusement, conservé la couleur locale dans l’Athalie, par exemple, parce que la pensée et le langage bibliques étaient familiers à son parterre, n’a pas osé agir de même avec l’antiquité grecque.
Tel prend le parti des armes, et suit une route d’où mille raisons de tempérament, de goût, de conscience, d’intérêt même, l’éloignent, parce que, né avec un nom, il n’oserait se borner aux soins domestiques, et que le monde regarderait ce repos comme une indigne lâcheté. […] Si l’on est maître de son sort, c’est la crainte du monde et de ses jugements qui en décide ; en un âge tendre, on regarde comme une loi la volonté de ceux de qui l’on tient la vie ; on n’ose produire des désirs qui contrediraient leurs desseins : on étouffe des répugnances qui deviendraient bientôt des crimes.
— On n’ose démentir des dieux les saincts oracles, Ni l’arrest des procès. — Les dieux font des miracles : Les procès, que font-ils ? […] Qui mon procès jugé tire encore et retire507, Et depuis seize mois m’a tant villonizé508 Que je le tiens déjà pour immortalizé…… — On n’ose offrir aux Dieux que victimes de choix : Les escus des procès doivent estre de poids.
Les voici : De la trompette sanguinaire, Il ose mépriser la voix : De la fortune mercenaire, Il ignore les dures lois. […] Mais Louis d’un regard sait bientôt la fixer : Le destin à ses yeux n’oserait balancer. […] Panb, dans le creux de ce rocher, Foule les présents de l’Automne : À ses yeux la jeune Érigonec Folâtre, et n’ose s’approcher.
De fades lieux communs, de longues périphrases, d’obscures allusions, des circonlocutions et des épithètes souvent aussi creuses que sonores, — quand sonorité il y a, — remplacent le mot propre qu’ils n’osent aborder. […] Et ma joie à vos yeux n’ose-t-elle éclater ? […] Je prévois la rigueur d’un long éloignement : N’osez-vous, sans rougir, être père un moment ? […] Osez-vous le penser ? […] Voyons si vous l’osez.
Boileau a fort bien caractérisé les satiriques latins dans les vers suivants : Lucile, le premier, osa la faire voir ; Aux vices des Romains présenta le miroir, Vengea l’humble vertu de la richesse altière, Et l’honnête homme à pied du faquin en litière.
Ainsi, il est impossible d’appeler le Télémaque un roman ; on n’ose pas lui donner le nom de poëme, et cependant, ce livre a été écrit avec l’âme d’un poëte. […] Boileau a consacré cette proscription ; Les stances avec grâce apprirent à tomber, Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber. […] Je me donne à ce prix : osez me mériter, Et voyez qui de vous daignera m’accepter. […] » — « Ces paroles étonnèrent tous ces vieux conseillers ; ils se regardèrent sans oser répondre. […] « Oserais-je, dans ce discours où la franchise et la candeur font le sujet de nos éloges, employer la fiction et le mensonge ?
Il jouit de toute la liberté, de toute la dignité d’une nation entière, en parlant devant elle et pour elle ; les principes éternels de toute justice sont là dans toute leur puissance naturelle, invoqués devant la puissance qui a le droit de les appliquer ; ils sont là pour servir l’homme de bien qui saura en faire un digne usage, pour faire rougir le méchant qui oserait les démentir ou les repousser. […] J’ose dire à l’orateur de la patrie : Si tous ses représentants sont réunis pour t’entendre, s’ils délibèrent après t’avoir entendu, c’est pour assurer ton triomphe et le sien. […] Mais en huit jours il sut triompher de tous les obstacles, et l’ennemi forcé de fuir abandonna ses bagages, et n’osa reparaître devant le vainqueur, qui resta maître des bords du Rhin. […] Tant qu’un travail utile à mas bras fut permis Jamais on n’eût osé me dire, Renonce aux baisers de ton fils. […] Tant que mon lait put te suffire » / Tant qu’un travail utile / à mes bras fut permis, — Heureuse et délassée — en te voyant sourire, — Jamais — on n’eût osé me dire : / Renonce aux baisers de ton fils.
Qui eût osé se flatter qu’une guerre si invétérée, si honteuse pour nous, pût être terminée ou en une seule année par plusieurs généraux, ou par un seul général, en une longue suite d’années ? […] Ayez donc devant les yeux ces juges sévères qui prononceront un jour sur vous, et dont le jugement, si j’ose le dire, aura plus de poids que la nôtre, parce qu’ils seront sans intérêt, sans haine et sans envie ».
Romains, oserai-je louer la philosophie dans Rome, où tant de fois les philosophes ont été calomniés, d’où ils ont été bannis tant de fois ? […] La Harpe n’approuve pas cette répétition : « J’apporte à la cendre de Marc-Aurèle, etc. » J’ose être ici d’un avis moins sévère que ce grand critique ; et je trouve, au contraire, que cette formule répétée, qui confond tous les vœux, tous les cœurs, tous les sentiments, en un seul et même sentiment, qui n’a et ne doit plus avoir qu’un langage, est peut-être ce qu’il y a de plus heureusement imaginé dans cette scène, d’ailleurs si intéressante.
Il n’ose, il est vrai, défendre ni les cornes menaçantes, ni les écailles jaunissantes ; soit, et j’accorde que Racine ail oublié, dans ce récit, sa sobriété habituelle ; mais, d’une autre part, se borner à l’assertion laconique de Fénelon, c’eût été, en quelque sorte, désappointer le lecteur, qui, comme Thésée, demande des détails, c’est-à-dire l’amplification. Théramène dit précisément ce que Fénelon désire, et il le dit en moins de mots encore : « Hippolyte n’est plus. » Le père s’écrie ; Théramène ne reprend ses sens que pour dire : « J’ai vu des mortels périr le plus aimable. » Et il ajoute ce vers si nécessaire, si touchant, si désespérant pour Thésée : Et j’ose dire encor, seigneur, le moins coupable.
A la vue de Catilina, qui avait osé venir s’asseoir au milieu des sénateurs qu’il voulait assassiner, Cicéron s’écrie dans le transport de son indignation : « Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ? […] ta reine, à peine sortie d’une tourmente si épouvantable, pressée du désir de revoir le roi et de le secourir, ose encore se commettre à la furie de l’Océan et à la rigueur de l’hiver. […] Son regard est inquiet et mobile ; il n’ose fixer le mur de la salle du festin, dans la crainte d’y voir des caractères funestes. » Ces derniers mots font allusion à un passage bien connu de l’Ancien-Testament. […] Cette figure, dont La Harpe n’osait prononcer le nom, dans la crainte d’effrayer son auditoire, s’appelle litote, d’un mot grec qui veut dire diminution. […] « Il te sied bien d’oser parler de mourir, tandis que tu dois l’usage de ta vie a les semblables !
. — Les poëtes, dira-t-on, n’ont-ils pas toujours eu, comme les peintres, le privilège de tout oser ? […] Il n’est pas un seul genre que n’aient abordé nos poëtes ; et ce n’est pas sans gloire que, renonçant à l’imitation des Grecs, ils osèrent traiter sur la scène, dans la tragédie comme dans le genre comique, des sujets tout nationaux. […] Jouteur inhabile, vous n’allez pas vous escrimer dans le Champ-de-Mars : novice à la paume, au palet, au cerceau, vous laissez ces jeux à d’autres, pour ne pas faire rire toute la galerie à vos dépens ; et, sans rien connaître à la poésie, vous osez faire des vers ! […] 354Si tu confies à la scène 355quelque-sujet non-encore-traité, 356et si tu oses créer 357un personnage nouveau : 358qu’il soit maintenu 359jusqu’en bas (jusqu’à la fin) 360tel qu’il se sera avancé (montré) 361dès le commencement, 362et qu’il soit-fidèle à lui-même. […] Voici la paraphrase pleine de justesse que Du Marsais a faite de ce passage : « Si vous osez mettre sur la scène un sujet nouveau, un caractère qui n’ait pas encore été traité, si quid inexpertum, etc., et que, pour peindre ce caractère, vous inventiez un personnage jusqu’alors inconnu au théâtre, personam novam : que ce personnage conserve toujours son caractère ; qu’il ne se démente point, et que, jusqu’à la fin de la pièce, il soit tel qu’il aura paru au commencement.