Intelligence sympathique aux nobles idées, imagination ardente, romanesque, et vivement éprise de la gloire, madame de Staël a eu le mérite de nous découvrir de nouveaux horizons. […] Vous me dites que vous ne me suivez pas dans le ciel ni dans les tombeaux ; il me semble qu’un esprit aussi supérieur que le votre, et qui est déjà détaché de tout ce qui est matériel par la nature même de ses recherches, doit un jour se plaire dans les idées religieuses ; elles complètent tout ce qui est grand, elles apaisent tout ce qui est sensible, et sans cet espoir, il me prendrait je ne sais quelle invincible terreur de la vie comme de la mort ; mon imagination en serait bouleversée.
Quelque brillantes que soient les couleurs qu’il emploie, quelques beautés qu’il sème dans les détails, comme l’ensemble choquera, ou ne se fera pas assez sentir, l’ouvrage ne sera point construit… C’est par cette raison que ceux qui écrivent comme ils parlent, quoiqu’ils parlent bien, écrivent mal ; que ceux qui s’abandonnent au premier feu de leur imagination prennent un ton qu’ils ne peuvent soutenir ; que ceux qui craignent de perdre des pensées isolées, fugitives, et qui écrivent en différents temps des morceaux détachés, ne les réunissent jamais sans transitions forcées ; qu’en un mot il y a tant d’ouvrages faits de pièces de rapport, et si peu qui soient fondus d’un seul jet. » Les interruptions, les repos, les sections peuvent être utiles au lecteur, elles le délassent et lui indiquent les temps d’arrêt, mais il ne doit pas y en avoir dans l’esprit de l’auteur. […] On pourrait encore analyser en ce sens quelques morceaux de poésie, réputés classiques, parce que les détails en sont réellement admirables, mais qui ne résistent pas à l’examen de quiconque s’attache à la liaison des idées, et veut voir un ensemble, une suite, une certaine logique, même dans les transports les plus capricieux de l’imagination. […] Jusqu’ici, comme vous voyez, à l’exception de la strophe 5 et peut-être de la strophe 7, la marche de l’ode se poursuit à la fois régulièrement et poétiquement, et comme certains développements sont magnifiques d’imagination et d’expression, le poëte a su concilier la logique avec ce beau désordre qui doit être un effet de l’art. […] Il semble avoir prévu daus les vers suivants toutes les folles imaginations de notre siècle — « Inventer, dit-il, Ce n’est pas entasser sans dessein et sans forme, Des membres ennemis en un colosse énorme… Delires insensés !
Ce qui dérive de la faiblesse et de l’irritabilité des organes : la finesse de perception, la délicatesse de sentiment, la mobilité des idées, la docilité de l’imagination, les caprices de la volonté, la crédulité superstitieuse, les craintes vaines, les fantaisies et tous les vices des enfants ; ce qui dérive du besoin naturel d’apprivoiser un être sauvage, fier et fort, par lequel on est dominé : la modestie, la candeur, la simple et timide innocence, ou, à leur place, la dissimulation, l’adresse, l’artifice, la souplesse, la complaisance, tous les raffinements de l’art de séduire et d’intéresser ; enfin, ce qui dérive d’un état de dépendance et de contrainte, quand la passion se révolte et rompt les liens qui l’enchaînent : la violence, l’emportement, et l’audace du désespoir : voilà le fond des mœurs du côté du sexe le plus faible, et par là le plus susceptible de mouvements passionnés. […] Voyez quel caractère d’originalité elle a donné à l’histoire, sous la plume de Montesquieu, de Niebuhr, de Thierry ; et si parfois l’imagination a entraîné l’un ou l’autre de ces écrivains au delà de la vérité historique, l’excès ou le défaut dans l’application n’altère point la valeur du précepte que Boileau a formulé dans l’art poétique : Des siècles, des pays étudiez les mœurs, Les climats font souvent les diverses humeurs. […] Cousin, qui joignait a l’esprit le plus positif ces grandes vues où le vulgaire des penseurs ne voit qu’une imagination ardente, et qui ne sont pas moins que le regard rapide et perçant du génie, le vainqueur d’Arcole et de Marengo, rendant compte à la postérité de ses desseins vrais ou simulés sur cette Italie qui devait lui être chère à plus d’un titre, commence par une description du territoire italien, dont il tire toute l’histoire passée de l’Italie et le seul plan raisonnable qui ait jamais été tracé pour sa grandeur et sa prospérité.
Ainsi notre âme aime à connaître et à voir, à se ressouvenir de ce qu’elle a vu et à en conclure par l’imagination ce qu’elle verra ; le désordre et la confusion laissent en elle un sentiment de fatigue et d’inanité, et c’est d’après cette constitution de notre intelligence que nous venons de demander l’unité de l’ensemble et l’enchaînement rationnel des idées. […] Il est des auteurs qui, emportés par une première fougue, ou s’abandonnant par intervalles aux écarts de leur imagination, laissent prendre soit aux idées qui s’offrent d’abord, soit à celles qui leur sourient davantage, un développement auquel le reste ne correspond pas. […] Défendre à l’écrivain cette liberté d’allure, ces écarts d’imagination qui vont si bien à certaines natures d’élite, c’est afficher un rigorisme nuisible au talent.
Généralement parlant, il faut au contraire que dans toute expression figurée, l’imagination aperçoive un rapport clair et peu éloigné avec l’expression propre. […] Rien n’est plus naturel, et l’imagination voit avant tout dans ces tropes la perfection de la créature et le malheur de l’homme déchu. […] L’apostrophe doit être le mouvement d’une imagination fortement ébranlée, ou d’une âme puissamment affectée. […] On attend une description tragique ; le cœur s’émeut d’avance, et l’imagination est au comble de l’anxiété. […] Dans les ouvrages d’imagination, elle est comme une Reine le jour de son couronnement.
Les esprits vifs, pleins de feu, et qu’une vaste imagination emporte hors des règles et de la justesse, ne peuvent s’assouvir de l’hyperbole. […] De là vient qu’un peintre et un poète ont tant de rapport : l’un peint pour les yeux, l’autre pour les oreilles : l’un et l’autre doivent porter les objets dans l’imagination des hommes. […] La prose a ses peintures, quoique plus modérées ; sans ces peintures, on ne peut échauffer l’imagination de l’auditeur, ni exciter ses passions. […] Par exemple, celui qui commence ainsi : Le Dieu des dieux, le Seigneur a parlé, et il a appelé la terre, surpasse toute imagination humaine. […] On croit voir cette armée, on croit entendre le bruit des armes et des chariots : tout est dépeint d’une manière vive qui saisit l’imagination.
C’est là qu’elle paraît dans toute sa pompe, dans toute sa dignité, qu’elle déploie toute sa force et toutes ses grâces pour étonner l’imagination, pour intéresser le sentiment. […] Aussi quelle élévation dans le génie, quelle vivacité dans l’imagination, quelle justesse dans le discernement ne lui faut-il pas, pour produire les grands effets qu’il se propose ! […] Si l’on exige que l’imagination de l’orateur soit vive, brillante et fleurie, on exige aussi qu’elle soit sage, bien réglée et toujours dirigée par le bon goût. […] Aucun orateur n’a possédé au même degré que lui cette éloquence noble, nerveuse et rapide, qui étonne l’imagination et arrache en quelque sorte l’âme à elle-même. […] Elle est bien différente de cette facilité naturelle de parler, qui n’est qu’un talent, une qualité accordée à tous ceux dont les passions sont fortes, les organes souples et l’imagination prompte.
Cette poésie antique était la plus vraie et la plus complète ; c’était un cri d’amour et de reconnaissance envers Dieu, un transport d’admiration pour des vertus héroïques ou des actions sublimes ; elle fut le plus ancien de tous les arts, le produit de l’imagination et de l’inspiration réunies. […] De nos jours ce genre est peu en usage : il sert à exprimer les mouvements les plus impétueux de l’imagination et du cœur.
Les pauvres augustins2 réformés et déchaussés, que l’on appelle capucins noirs, qui étaient nos diables d’imagination, voyant venir à eux deux hommes qui avaient l’épée à la main, eurent grand’peur, et l’un d’eux, se détachant de la troupe, nous cria : « Messieurs, nous sommes de pauvres religieux, qui ne faisons de mal à personne, et qui venons nous rafraîchir un peu dans la rivière pour notre santé. » Nous retournâmes en carrosse, M. de Turenne et moi, avec des éclats de rire, que vous pouvez vous imaginer3. […] Elle n’a pu venir en lui de la fécondité de son imagination, qui n’est rien moins que vive ; je ne la puis donner à la stérilité de son jugement ; car, quoiqu’il ne l’ait pas exquis dans l’action, il a un bon fonds de raison.
Réunissant une imagination plus hardie, un enthousiasme plus élevé, une fécondité plus originale, une vocation plus haute, tu sembles ajouter l’éclat de ton génie à la majesté du culte public, et consacrer encore la religion elle-même1. […] Comme le sentiment de nos propres forces influe toujours sur nos opinions, le critique sans chaleur et sans imagination sentira faiblement des qualités qui lui sont trop étrangères.
L’hyperbole ment, mais elle ne ment pas pour tromper ; elle surfait à des gens qui savent ce qu’il en faut rabattre ; ou bien elle ment sans le vouloir, parce que l’imagination ou la passion voient et sentent comme elle exprime. […] De telles circonstances sont heureusement fort rares ; aussi, et quel que soit l’entraînement de l’imagination ou de la passion, en général, si vous passez la croyance, ne passez pas la mesure, et ne pouvant être dans la vérité, restez du moins dans la vraisemblance : quamvis est omnis hyperbole ultra fidem, non tamen debet esse ultra modum. […] Les esprits vifs, pleins de feu et qu’une vaste imagination emporte hors des règles de la justesse, ne peuvent s’assouvir de l’hyperbole. » Elle est le vice dominant des écrivains de l’Orient, de l’Afrique, de l’Espagne et de l’Italie.
Parmi les Françaises illustres dont la postérité se souvient, nulle ne lui est supérieure par l’imagination, la sensibilité, la verve d’une gaieté qui coule de source, la franchise d’un naturel parfait, enfin par les qualités brillantes qui sont l’ornement d’une raison solide. […] L’imagination, la sensibilité et l’esprit y sont dans une mesure exquise. […] Madame de Sévigné, qui pourtant n’a pas vu cette scène, la peint au vif par la clairvoyance d’une imagination divinatrice.
Comme le sentiment de nos propres forces influe toujours sur nos opinions, le critique sans chaleur et sans imagination sentira faiblement des qualités qui lui sont trop étrangères. […] Élevés au milieu d’une civilisation qui s’épurait et s’ennoblissait chaque jour, ils ne se réfugiaient plus tout entiers dans les souvenirs et dans l’idiome des Romains, comme avaient fait autrefois quelques hommes supérieurs lassés de la barbarie de leurs contemporains : ils étaient, au contraire, tous modernes par la pensée, tous animés des opinions1, des idées de leur temps ; seulement leur imagination s’était enrichie des couleurs d’une autre époque, d’une civilisation, d’un culte, d’une vie différente des temps modernes. […] Bossuet, d’un génie plus vaste et plus hardi, confondait la mâle simplicité d’Homère, la sublime ardeur des prophètes hébreux, et l’imagination véhémente de ces orateurs chrétiens du quatrième siècle, dont la voix avait retenti au milieu de la chute des empires et dans le tumulte des sociétés mourantes.
S’il s’abandonne à la fougue de son imagination, il deviendra diffus, et par là même, froid et languissant. […] Lorsqu’on s’engage dans une digression, on doit se mettre en garde contre la vivacité de son imagination, et ne consulter que son jugement : c’est le moyen de ne pas s’éloigner de son but. […] L’objet de l’historien n’est point de se rendre maître des cœurs, ou de flatter seulement l’imagination. […] On admire dans Tite-Live la plus belle imagination, la noblesse des pensées et des sentiments, la variété du style qui se soutient toujours également, et surtout le grand art d’attacher et d’intéresser le lecteur : c’est le prince des historiens latins. […] d’Orléans, jésuite, dans son Histoire des révolutions d’Angleterre, où brille l’imagination la plus vive, la plus noble, la plus élevée, mais en même temps la plus sage et la mieux réglée.
Tout cela est grand, sans doute ; mais qui ne reconnaît, à ces traits, le dieu sorti de l’imagination du poète, qui, rassemblant en un seul et même être toutes les idées partielles de la grandeur et de la puissance, en a formé ce que la pensée de l’homme peut concevoir de plus sublime et de plus au-dessus des idées ordinaires. […] On a pu relever, sans doute, quelques défauts dans ce bel ouvrage : pour nous, qui l’avons lu comme il a été composé, avec l’âme seulement,et qui n’avons pas le malheur de chercher à raisonner ce qui ne doit être que senti, nous y avons trouvé une imagination brillante, et plutôt au-delà qu’au-dessous de son sujet, une intarissable fécondité de sentiments tendres ou sublimes, de réflexions pieuses ou touchantes ; et quelques taches nous ont facilement échappé, perdues au milieu de tant de beautés d’un ordre si nouveau et d’un rang si supérieur.
Plongé, en quelque façon, dans l’extase, mais emporté tout à coup par une imagination vive et ardente, il se représenta sous une forme visible les attributs du souverain créateur : il prêta un corps et une âme aux différents êtres sortis de ses mains, et les traça de même dans un langage plus agréable, plus riche, et, bien plus élevé que le langage ordinaire. […] Par la nature, on entend tous les objets qui existent, et tous ceux qui peuvent exister, c’est-à-dire, auxquels notre imagination peut donner une existence réelle.