La poésie s’en accommode mieux que la prose, l’éloquence mieux que l’histoire ; le genre didactique ne la dédaigne pas, la sentence acquiert par elle plus de netteté et d’énergie : les Essayistes anglais l’ont souvent employée avec un bonheur extrême ; chez les poëtes et les orateurs, elle sera plus brillante et plus élastique ; chez les philosophes et les historiens, plus significative et plus rigoureuse. […] On a souvent cité les admirables comparaisons qui se rencontrent dans nos grands poëtes et nos grands orateurs. […] L’assassin emprunte au tigre son nom comme ses mœurs, Fénelon et Bossuet ne sont plus des orateurs harmonieux ou sublimes, ce sont des cygnes ou des aigles : Ces tigres à ces mots tombent à ses genoux… Le cygne de Cambrai, l’aigle brillant de Meaux… Tantôt le même échange a lieu entre les objet inanimés, physiques ou moraux : Je ne sens plus le poils ni les glaces de l’âge. […] C’est dans le Livre des Orateurs qu’on trouve que les orateurs pathétiques « doivent tenir l’assemblée dans un état de moiteur et de peau assouplie ; » que le style de M. de Kératry « n’est pas sans une sorte d’insufflation cahotée, mais échauffante, » etc., etc.
c’est que la religion est dans Massillon ce qu’elle devrait être partout, et ce qu’on la trouve en effet, quand on la considère dans le véritable esprit de ses maximes ; c’est qu’il n’est pas une classe de la société, pas une circonstance dans la vie, où l’on ne puisse faire ce que nous prescrit cette religion par la bouche de l’orateur : tous les devoirs qu’il nous impose, en son nom, se trouvent si essentiellement liés à notre félicité temporelle, que l’on court volontiers au-devant d’un joug qui n’a rien d’effrayant dans la perspective, rien de pénible dans la pratique. […] C’est avec un pareil langage que l’on touche, que l’on pénètre les cœurs les plus indifférents, et que l’on porte la persuasion dans les moins disposés à se laisser persuader ; parce qu’avec un léger retour sur soi-même, il est impossible qu’on ne trouve passa conscience d’accord avec l’orateur, et que l’on ne se rende pas à sa voix. […] Prenons pour exemple le beau discours sur la vérité d’un avenir, et suivons la marche de l’orateur dans l’ordre et le développement de ses preuves. […] Après avoir démontré la futilité de ces sortes de raisonnements, l’orateur en prouve le danger ; et c’est là qu’abandonnant, comme il le dit lui-même, les grandes raisons de doctrine, il ne s’adresse qu’à la conscience de l’incrédule, et s’en tient aux preuves de sentiment.
Sa parole écrite semble née sans effort sur les lèvres du causeur ou de l’orateur. […] Louis XIV, la première fois qu’il entendit Bossuet, jeune encore, fit écrire au père de l’éloquent apôtre, pour le féliciter d’avoir un tel fils ; il avait compris que l’orateur de son siècle1 était né. […] Dans les palais de Versailles, au milieu des fêtes triomphales de Louis XIV, ces accents de la muse hébraïque, ces graves enseignements de la religion retentissaient avec plus de terreur ; et lorsqu’une reine malheureuse, une princesse parée de jeunesse et de beauté, un héros longtemps vainqueur, un ministre vieilli dans l’égoïsme du pouvoir2, avaient cessé de vivre, ce mélange de splendeur et de néant, cette magnificence si triste, cette pompe si vaine consternaient les âmes avant même que l’orateur eût parlé. […] Bossuet, d’un génie plus vaste et plus hardi, confondait la mâle simplicité d’Homère, la sublime ardeur des prophètes hébreux, et l’imagination véhémente de ces orateurs chrétiens du quatrième siècle, dont la voix avait retenti au milieu de la chute des empires et dans le tumulte des sociétés mourantes.
L’honneur de passer pour un parfait orateur a des charmes pour moi. […] Je ne trouvais pas toutefois la différence qu’il y avait de celui-là aux autres assez sensible pour conclure que l’orateur commençait à baisser. […] Heureusement l’orateur lui-même me tira de cet embarras, en me demandant ce qu’on disait de lui dans le monde, et si l’on était satisfait de son dernier discours.
De tels sujets pouvaient ne pas ouvrir une carrière très vaste au génie du poète ou de l’orateur ; mais ils n’offraient pas du moins à leur imagination les écarts dangereux qui devaient bientôt outrager l’éloquence, la langue et la raison. L’influence salutaire de l’académie française ne tarda pas à se faire remarquer ; et les progrès du langage et de l’éloquence sont déjà très sensibles dans Pélisson, le premier orateur digne d’être cité que nous présentent les fastes académiques.
Parfois la lettre familière peut monter jusqu’à l’éloquence, et l’orateur chrétien descendre jusqu’à converser familièrement avec son auditoire. […] Plusieurs pages de Démosthène dans les Philippiques et le Pro Corona, de Cicéron dans les Catilinaires et les Verrines, de nos grands orateurs parlementaires dans les hautes questions politiques et surtout personnelles, les trois dernières scènes de l’Andromaque de Racine, quelques-unes des imprécations qui terminent nos tragédies classiques, sont d’excellents modèles de véhémence. Le premier point à remarquer dans tous ces morceaux, c’est que la véhémence était dans le fond avant d’être dans la forme : rien de plus ridicule que de s’échauffer à froid ; le second, c’est la forme elle-même, les brusques mouvements de phrase, les constructions brisées, les accumulations, les suspensions, les interruptions fréquentes, fidèle image du désordre de l’orateur ou du personnage mis en scène. Quand le discours est improvisé, point de règles, bien entendu ; l’orateur obéit à une impulsion spontanée, la nature agit presque en dépit de lui-même ; seulement, qu’on ne perde pas de vue ce que j’ai dit au chapitre des Passions, sur la nécessité de savoir se maîtriser, même en ces occasions.
C’est le genre de certains auteurs précieux et maniérés et auxquels nous ne pouvons adresser d’autre conseil que celui de Maynard ou celui de Boileau, c’est-à-dire un sage silence ou une mûre réflexion, voici un exemple de ce défaut ; un de nos écrivains s’efforce d’exprimer ce que c’est que la Naïveté : « On est naïvement héros, naïvement scélérat, naïvement dévot, naïvement beau, naïvement orateur, naïvement philosophe ; sans naïveté, point de beauté : on est un arbre, une fleur, une plante, un animal naïvement ; je dirai presque que de l’eau est naïvement de l’eau, sans quoi elle visera à de l’acier poli et au cristal. […] C’est le défaut que l’on remarque dans la phrase suivante de Victor Hugo : « L’éloquence d’un orateur médiocre, près de celle d’un orateur habile, est un grand chemin qui côtoie un torrent. » Si l’obscurité est ordinairement un défaut, elle est quelquefois permise, en faveur de certaines pensées qui, exprimées clairement, manqueraient de délicatesse. […] Nos bons orateurs du siècle dernier tenaient beaucoup cette qualité précieuse du style : on la voit enrichir les chefs-d’œuvre des Bossuet, des Fléchier, des Bourdaloue et des Massillon. […] En lisant cette période poussant avec un courage invincible les ennemis qu’il avait réduits à une fuite honteuse, il nous semble que nous voyons Macchabée, chassant devant lui, par la puissance de ses armes, les ennemis d’Israël ; reçoit le coup mortel ; phrase courte, finissant par une brève et qui peint bien qu’il vient d’être frappé sans retour ; et demeure comme enseveli dans son triomphe, enseveli est une expression qui fait image et l’orateur termine à dessein par les mots dans son triomphe composés de syllabes sourdes qui retentissent lugubrement, et qui annoncent la chute d’un homme puissant et glorieux.
Cette éloquence de montre et de vanité a eu cours dans la servitude de la Grèce, lorsque la paix et la guerre n’étaient plus en sa disposition, et que, n’ayant plus d’affaires à s’occuper, elle cherchait de quoi divertir son oisiveté… Ces discours étaient remplis de tout ce que l’orateur possédait et de tout ce qu’il avait emprunté. […] Un orateur est quelque autre chose qu’un danseur de corde et qu’un baladin. […] Il reconnaissait que Démosthène pouvait plus que lui, et avait coutume de dire que les harangues de cet orateur renversaient les entreprises des rois, et que sa rhétorique était l’arsenal et le magasin d’Athènes.
Cette conspiration fut découverte par le célébré orateur Cicéron, alors consul. […] L’orateur terminera son discours par une péroraison convenable. […] L’orateur soutient que lorsque la patrie est en danger, la première loi est de la sauver, et que tout autre devoir s’efface devant celui-là. […] L’orateur laisse éclater l’indignation qu’il éprouve. […] L’orateur développe ce que cette action aurait d’horrible, surtout dans de telles circonstances.
La théorie n’est rien sans la pratique, nous le savons ; les poétiques et les rhétoriques ne suffiront jamais, seules, pour former un poète ou un orateur. […] Mais l’enseignement littéraire n’a pas pour but de ne former que des orateurs.
La Concession est une figure, par laquelle l’orateur ne craint point d’accorder une chose, qui paraît lui être contraire, mais dont il ne manque pas de tirer avantage. […] La Communication est une figure, par laquelle l’Orateur communique familièrement ses raisons à ses auditeurs, quelquefois à ses adversaires mêmes, s’en rapportant à leur propre décision. […] Elle raconte un fait particulier, un événement, une tempête, une bataille, un incendie, etc. ; mais avec tant de feu, avec des couleurs si vives et si animées, qu’on croit voir sous ses yeux l’objet même que décrit le Poète ou l’Orateur. […] Son caractère est noble et facile, inspire le respect et la confiance, et fait que les princes nous paraissent grands et très grands, sans nous faire sentir que nous sommes petits. » Cette figure est familière au Poète, à l’Orateur, et surtout à l’Historien. […] On le vit faire montre de son adresse à manier un cheval, se faire le rival des poètes et des écrivains de son temps, disputer avec eux du bel esprit, décrier leurs ouvrages, et se faire honneur de ceux d’autrui. » L’orateur et le poète emploient dans l’éthopée des couleurs plus brillantes, des tours plus nombreux que ceux de l’historien.
Je vous l’ai déjà dit : tout l’art des bons orateurs ne consiste qu’à observer ce que la nature fait quand elle n’est point retenue. Ne faites point comme ces mauvais orateurs, qui veulent toujours déclamer et ne jamais parler à leurs auditeurs ; il faut au contraire que chacun de vos auditeurs s’imagine que vous parlez à lui en particulier. […] Mais à dire le vrai, il en est des orateurs comme des poëtes qui font des élégies ou d’autres vers passionnés. […] Ainsi vous serez toujours un orateur très-imparfait, si vous n’êtes pénétré des sentiments que vous voulez peindre et inspirer aux autres ; et ce n’est pas par spiritualité que je dis ceci, je ne parle qu’en orateur. » 1.
Dans sa turbulence, il eut souvent des instincts de poëte et d’orateur, du feu, de l’entrain, des accès d’enthousiasme, mais rien de soutenu, de suivi, de réglé. […] J’avais un grand front, des yeux très-vifs, d’assez grands traits, la tête tout à fait du caractère d’un ancien orateur, une bonhomie qui touchait de bien près à la bêtise, à la rusticité des anciens temps. […] Philippe Stanhope, comte de Chesterfield, diplomate, orateur, écrivain anglais, mort en 1773.
La vertu seule lui manqua pour être l’orateur accompli1 Discours sur la contribution du quart 1 Au milieu de tant de débats tumultueux, ne pourrai-je donc vous ramener à la délibération du jour par un petit nombre de questions bien simples ? […] « Non, l’on ne délibéra plus, dit la Harpe ; des cris d’enthousiasme attestèrent la victoire de l’orateur. » (Mercure de France.) […] Couvert des armes de la dialectique, il sonne la charge, fond sur ses adversaires, les saisit, les frappe au visage et ne les lâche pas qu’il ne les ait forcés, le genou sur la gorge, à s’avouer vaincus ; s’ils tournent le talon, il les poursuit, il les bat par devant et par derrière, il les presse, il les pousse, et il les ramène invinciblement dans le cercle impérieux qu’il leur a tracé, comme ces marins qui, sur le pont d’un étroit navire, pris à l’abordage, placent un ennemi sans espérance entre leur glaive et l’Océan… « J’ai dit que ce qui a élevé Mirabeau, sans aucune comparaison, au-dessus des autres orateurs, c’est la profondeur et l’étendue de ses pensées, la solidité de sa dialectique, la véhémence de ses improvisations ; mais c’est surtout la fortune inouïe de ses reparties… Jamais Mirabeau ne reculait devant aucune objection ni devant aucun adversaire.
Quoi de plus utile, en effet, après l’étude de la religion et des langues anciennes, surtout de la langue latine qui devra toujours être parmi nous la base des hautes études, quoi de plus avantageux que la connaissance des règles littéraires, depuis les notions élémentaires concernant le style jusqu’aux lois qui régissent les compositions les plus élevées du poète et de l’orateur ? […] Combien d’écrivains, combien de poètes surtout, ont aimé à s’inspirer de ces paroles de l’illustre orateur pour louer l’étude, et pour rendre hommage aux lettres et aux beaux-arts !