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76. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Chapitre XV. de l’élocution  » pp. 203-216

Si les ouvrages qui les contiennent sont écrits sans goût, sans noblesse et sans génie, ils périront, parce que les connaissances, les faits et les découvertes s’enlèvent aisément, se transportent, et gagnent même à être mis en œuvre par des mains plus habiles ; ces choses sont hors de l’homme, le style est l’homme même. » Cette dernière idée mérite explication. […] Etudiez les prosateurs français qui ont le mieux connu le génie de la langue : au xvie  siècle, Amyot, Montaigne, du Bellay ; au xviie , Pascal, Bossuet, Fléchier, la Bruyère, madame de Sévigné ; malgré les reproches que la critique a pu adresser aux trois derniers, je les recommande pour l’excellence de leur forme ; au xviiie , les quatre maîtres, Voltaire, Rousseau, Buffon et Montesquieu ; j’ajouterais volontiers le duc de Saint-Simon lu avec prudence. […] Mais le ton de l’orateur et du poëte, dès que le sujet est grand, doit toujours être sublime, parce qu’ils sont les maîtres de joindre à la grandeur de leur sujet autant de couleur, autant de mouvement, autant d’illusion qu’il leur plaît, et que devant toujours peindre et toujours agrandir les objets, ils doivent aussi partout employer toute la force et déployer toute l’étendue de leur génie. » Maintenant, il nous reste à étudier les qualités essentielles de l’élocution, c’est-à-dire celles qui conviennent à tous les tons ; les qualités accidentelles, c’est-à-dire celles qui ne conviennent que dans tel ou tel ton ; et enfin les ornements dont l’élocution est susceptible, et que l’on comprend sous le nom général de figures. […] Un des génies les plus sagaces de l’Italie contemporaine, le comte Giacomo Leopardi, dans ton dialogue intitulé : Il Parmi ou De la Gloire, a dit, dans le même sens : « Ora la lingua è tanta parte dello stile, anzi ha tal congiunzione seco, che difficilmente si può considerare l’una di queste due cose disgiunta dall’altra ; a ogni poco confondono insieme ambedue, non solamente nelle parole degli uomini, ma eziaudio nell’ intelletto ; e mille loro qualità e mille pregi o mancamenti, appena, e forse in niun modo, colla più sottile e accurata speculazione, si può distinguere e assegnare a quale delle due cose appartengano, per essere quasi communi e indivise tra l’una e l’altra. » 64.

77. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Chateaubriand 1768-1848 » pp. 222-233

En suivant cette comparaison, j’ajouetrai que le Génie du christianisme (1802) fut l’arc-en-ciel, le signe brillant d’alliance et de réconciliation entre la religion et la société française. […] Les Martyrs (1809), épopée en prose, fidèle aux formes consacrées, nous montrent l’application souvent artificielle, mais parfois heureuse, de la poétique développée dans le Génie du christianisme. […] (Génie du christianisme, 1re partie, 5e livre.) […] Écrit au coup de minuit à Londres, le dernier jour du dix-huitième siècle. — Dernière page du Génie du Christianisme.

78. (1867) Rhétorique nouvelle « Introduction » pp. 2-33

Je pense avec Cicéron qu’elles sont les auxiliaires utiles du génie, qu’elles l’éclairent, qu’elles guident sa marche, qu’elles lui montrent le but auquel il doit tendre, qu’elles l’empêchent de s’égarer ; mais je pense aussi comme lui qu’elles n’ont jamais formé un orateur. […] Le génie, à cet âge, est une plante jeune et vigoureuse ; ses racines plongent dans un sol vierge ; la séve gonfle ses veines et éclate partout en bourgeons : toutes les fleurs de l’art et de la poésie éclosent à la fois sur ses branches. […] Voyez dans quelles circonstances leur génie s’est développé : l’étude du passé vous donnera de grandes lumières pour connaître le présent : je ne sais pas de travail plus profitable que la comparaison des mœurs antiques avec celles des temps modernes. […] Eussiez-vous un génie de premier ordre, tout cet apprentissage ne fera pas de vous un grand orateur si les occasions vous manquent et si vous n’avez à plaider que des questions de mur mitoyen ; mais, quand vous aurez acquis un talent éprouvé, les occasions ne vous manqueront pas.

79. (1883) Morceaux choisis des classiques français (prose et vers). Classe de troisième (nouvelle édition) p. 

Au milieu de la barbarie universelle, il n’appartenait qu’au plus noble génie de concevoir ainsi la royauté hors de l’égoïsme, et de considérer la société, non comme la proie de la force, mais comme le but du pouvoir. […] Tant la main du génie et celle du malheur Ont imprimé sur toi le sceau de la douleur ! […] Il n’a eu dans ses premières années qu’à remplir des talents qui étaient naturels, et qu’à se livrer à son génie. […] Mais lorsque, passant de solitude en solitude l’espace s’étend sans bornes devant vous, peu à peu l’ennui se dissipe ; le voyageur éprouve une terreur secrète qui, loin d’abaisser l’âme, donne du courage et élève le génie. […] votre esprit prévenu, Dans ce héros, ma mère, aurait-il méconnu Et ce vaste génie et ce grand caractère Qui dans Jule annonçaient le maître de la terre.

80. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section quatrième. Genre Démonstratif. Les Panéryriques. — Chapitre IX. Parallèle des Oraisons funèbres de Condé, par Bossuet et de Turenne, par Fléchier et Mascaron. »

Nous ne pouvons rien, faibles orateurs, etc. » Il s’en faut de beaucoup que cet exorde vaille celui de Fléchier : la différence même est trop sensible pour n’être pas aisément remarquée ; mais ce qui peut-être ne le serait pas de même, c’est que cette supériorité momentanée de Fléchier sur Bossuet est précisément ce qui distingue essentiellement ici l’esprit du génie. Un exorde, en général, est un morceau d’apparat, un morceau étudié ; et tout ce qui suppose et exige de l’art, de l’étude et du travail, répugne à la marche libre et indépendante du génie, qui s’élève ou tombe, selon que son sujet monte ou descend. Voilà pourquoi l’homme d’esprit se tire à merveille d’une foule de morceaux de détails, de petites circonstances qu’il a le talent d’embellir, et où l’homme qui n’a que du génie échoue assez ordinairement.

81. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Corneille, 1606-1684 » pp. 26-31

Toutefois, dans Médée (1634), son génie s’était déjà révélé par des notes superbes et des tirades hautaines, quand parut le Cid, en 1636. […] Aux peintures généreuses du cœur humain, il sut allier le sens historique, l’intuition qui devine le génie des temps et des lieux. […] Allusion au passage suivant intitulé : Jugement sur Sénèque, Plutarque et Pétrone, où Saint-Évremond dit à propos du poëte latin : « Je ne sache aucun de ces grands génies qui ait pu faire parler d’amour Massinisse et Sophonisbe, César et Cléopâtre, aussi galamment que nous les avons ouïs parler en notre langue. » Saint-Évremond fut avec Madame de Sévigné un de ceux qui restèrent fidèles à la gloire de Corneille : Les lauriers d’Andromaque et de Britannicus leur semblèrent dérobés à la couronne qu’ils avaient posée sur le front de leur poëte.

82. (1870) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices par Gustave Merlet,... à l'usage de tous les établissements d'instruction. Cours moyens, grammaire et enseignement spécial. Première partie : prose

Toutefois, dans Médée (1134) son génie s’était déjà révélé par des notes superbes et des tirades hautaines, quand parut le Cid, en 1636. […] La mort de Richelieu, et l’anarchie d’une régence ouvrirent carrière à son génie turbulent, qui, dans un moment de faveur, réussit à surprendre le chapeau de cardinal. […] Dans le noviciat de cette vie nomade, où il fit provision d’expérience, il essaya sa verve par des esquisses déjà puissantes, où s’annonce comme en germe la merveilleuse fécondité d’un génie créateur. […] Le carême du Louvre inaugura ces trente années, pendant lesquelles il se soutint dans la perfection par des coups d’éclat où son génie se renouvela sans cesse. […] Ce n’est ni la force du génie, ni le travail assidu, ni la véhémente contention 547 qui la font descendre.

83. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Pascal, 1623-1662 » pp. 56-71

Pascal 1623-1662 [Notice] Né à Clermont-Ferrand dans une famille où l’intelligence s’alliait à la vertu, élevé librement par un père qui fut un homme supérieur, Blaise Pascal manifesta dès l’enfance des dons merveilleux, le génie des sciences mathématiques, et une sensibilité passionnée pour le bien, avide d’un bonheur noble et infini. […] Les mêmes degrés se rencontrent entre les génies qu’entre les conditions, et le pouvoir des rois sur leurs sujets n’est, ce me semble, qu’une image du pouvoir des esprits supérieurs sur les intelligences qu’ils dominent par la persuasion. […] Régnez donc, incomparable princesse, d’une manière toute nouvelle ; que votre génie vous assujettisse tout ce qui n’est pas soumis à vos armes ; régnez par le droit de la naissance durant une longue suite d’années, sur tant de triomphantes provinces ; mais régnez toujours par la force de votre mérite sur toute l’étendue de la terre. […] Cet effrayant génie se nommait Blaise Pascal. » 2. […] Le trait distinctif de sa prose est un mélange exquis de naïveté et d’élévation. » La lettre à la reine Christine ne dément pas cet éloge ; si l’on y trouve des hyperboles que Balzac eût admises et qui nous font sourire, l’ampleur du ton, la hauteur des pensées et une secrète fierté y révèlent la marque du génie.

84. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre premier. Éléments généraux du Goût et du Style. — Chapitre VI. De l’Harmonie du Style. »

C’est au poète, à l’historien, à l’orateur, de bien étudier les ressources et le génie de sa langue, et d’en tirer le meilleur parti possible. […] Nous croyons bien moins encore que le grave, l’austère Bossuet, soit descendu de la sublimité de son génie à cette puérile recherche de longues et de brèves, et qu’il s’y soit asservi dans le magnifique tableau qui termine l’oraison funèbre du Grand Condé. […] Ce dont nous sommes fortement persuadés, c’est que Bossuet, Fléchier, et tous les grands écrivains avaient de leur langue une connaissance approfondie et raisonnée ; c’est qu’ils n’écrivaient que dans l’inspiration du génie, et que les morceaux qu’on admire le plus, sont ceux quelquefois qui ont dû leur coûter le moins, et qui ne supposent nullement le calcul minutieux des brèves et des longues.

85. (1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre XVI. Genre du roman. »

Il est certain que Daphnis et Chloé a servi de modèle à Paul et Virginie de Bernardin de Saint Pierre ; mais combien l’auteur français l’emporte sur l’auteur grec par la pureté morale, par le naturel et la vérité, par la simplicité naïve et touchante qui fait de son livre une œuvre de génie ! […] Le roman de Renard est peut-être le premier type de ces récits où se trouve l’empreinte de l’analyse individuelle propre au génie septentrional. […] Chaucer emprunte aux Italiens la matière de ses récits, mais il y déploie le génie original et analytique qui caractérise sa nation ; il commence cette série d’observateurs, de peintres, d’humoristes, dont la gloire, non éclipsée de nos jours, se transmettra jusqu’à Walter Scott et Dickens, en passant par Shakspeare, Sterne, Swift, de Foë, Richardson, Fielding, Smollet, etc.

86. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Montesquieu, 1689-1755 » pp. 235-252

Il avait déjà publié sous le voile de l’anonyme les Lettres Persanes (1721) où il se jouait autour d’importantes questions, et le Temple de Gnide (1725), erreur d’un génie qui se trompait de voie. […] Le génie de Rome y revit, idéalisé. […] Les peuples d’Italie étant devenus ses citoyens, chaque ville y apporta son génie, ses intérêts particuliers, et sa dépendance de quelque grand protecteur3. […] L’un a saisi quelques traits primitifs avec une force qui lui donne la gloire de l’invention ; l’autre, en réunissant tous les détails, a découvert des causes invisibles jusqu’à lui ; il a rassemblé, comparé, opposé les faits avec cette sagacité laborieuse moins admirable qu’une première vue de génie, mais qui donne des résultats plus certains et plus justes. […] Je suis un peu partisan de la méthode, et je tiens que sans elle aucun grand ouvrage ne passe à la postérité. » Il se corrige ailleurs en ajoutant : « J’avoue que Montesquieu manque souvent d’ordre, malgré ses divisions en livres et en chapitres ; que quelquefois il donne une épigramme pour une définition, et une antithèse pour une pensée nouvelle ; qu’il n’est pas toujours exact dans ses citations ; mais ce sera à jamais un génie heureux et profond, qui pense et fait penser.

87. (1867) Rhétorique nouvelle « Deuxième partie. L’éloquence du barreau » pp. 146-

Ces maîtres de la parole ont montré qu’ils excellaient dans l’art de remuer les passions, comme dans tous les autres arts où s’est exercé leur merveilleux génie. […] Lisez les premières légendes de Rome, à leur couleur dramatique, vous reconnaîtrez déjà le génie de la race latine. […] Grâce à la perspective qui relève sa physionomie et sa taille, il peut, sans craindre le ridicule, s’abandonner à tous les transports de la passion, à toutes les inspirations du génie. […] IV Cicéron Il naquit dans des circonstances malheureuses pour la République, heureuses pour son génie. […] Démosthène n’avait pas plus de génie que lui, et à coup sûr moins de désintéressement.

88. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section troisième. La Tribune sacrée. — Chapitre II. Études du Prédicateur. »

Où l’orateur sacré doit-il, en effet, allumer son génie si ce n’est au flambeau du génie des prophètes ?

89. (1876) Traité de versification latine, à l'usage des classes supérieures (3e éd.) « PRÉAMBULE. » pp. -

A l’étude des règles grammaticales, il faut donc ajouter une autre étude plus sérieuse et plus attrayante, celle du génie de la langue que l’on veut apprendre. […] De cette manière, ils auraient sous les yeux, et mieux encore dans leurs souvenirs, un texte modèle où ils puiseraient, pour faire leurs thèmes, des expressions justes, des tournures élégantes, des inversions conformes au génie de la langue latine.

90. (1892) La composition française aux examens du baccalauréat de l’enseignement secondaire moderne, d’après les programmes de 1891, aux examens de l’enseignement secondaire des jeunes filles et aux concours d’admission aux écoles spéciales pp. -503

Les hommes de génie, les grands inventeurs, tous ceux qui ont étonné le monde, ont eu d’abord affaire aux railleurs. […] Vous savez, Sire, ce que le génie d’un seul homme a fait dans l’Inde. […] Le peuple, les grands, les rois, prenaient des leçons de ces hommes parfaits qu’évoquait le génie. […] Ses personnages ont toujours le caractère qui leur est propre, caractère qu’un grand génie pouvait seul deviner. […] Il appartenait au contemplateur, au grand Molière de deviner le génie de La Fontaine et de pressentir sa gloire future.

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