C’est le plaisir du juste, et le plus digne usage Des fragiles trésors qu’il reçut en partage.
L’élévation dont la naissance les met en possession les empêche toute seule de s’en rendre dignes : héritiers d’un grand nom, il leur paraît inutile de s’en faire un à eux-mêmes ; ils goûtent les fruits d’une gloire dont ils n’ont pas goûté l’amertume ; le sang et les travaux de leurs ancêtres deviennent le titre de leur mollesse et de leur oisiveté ; la nature a tout fait pour eux, elle ne laisse plus rien à faire au mérite ; et souvent l’époque glorieuse de l’élévation d’une race devient, un moment après, elle-même, sous un indigne héritier, le signal de sa décadence et de son opprobre ; les exemples là-dessus sont de toutes les nations et de tous les siècles.
Le génie du poète sait bien souvent les rendre dignes de la haute poésie.
Ce matois et intrépide capitaine de routiers sera le digne héros de ce patriote bourgeois, dont les vers ne sont qu’un regain d’arrière-saison.
N’y épargnez rien, grande reine : employez-y l’or et tout l’art des plus excellents ouvriers ; que les Phidias et les Zeuxis de votre siècle déploient tout leur science sur vos plafonds et sur vos lambris ; tracez-y de vastes et de délicieux jardins, dont l’enchantement soit tel qu’ils ne paraissent pas faits de la main des hommes ; épuisez vos trésors et votre industrie sur cet ouvrage incomparable ; et après que vous y aurez mis, Zénobie, la dernière main, quelqu’un de ces pâtres qui habitent les sables voisins de Palmyre, devenu riche par les péages de vos rivières, achètera un jour à deniers comptants cette royale maison pour l’embellir, et la rendre plus digne de lui et de sa fortune1.
En un mot, le citoyen est digne de l’écrivain.
La comédie en se servant du ridicule, doit se garder de jamais abuser de cette arme terrible pour attaquer les personnes ou les choses dignes de respect, et encore moins pour les représenter sous une couleur fausse ; la malignité publique aime à se repaître-du mal et à tout critiquer, même le bien ; l’auteur qui flatte ce penchant est coupable.
On remarquera dans la période suivante que tous les membres, et les incises même, sont terminés par des mots pleins et sonores : Soit qu’il élève les trônes, | soit qu’il les abaisse ; (1er membre) : Soit qu’il communique sa puissance aux princes, | soit qu’il la relire à lui-même, | et ne leur laisse que leur propre faiblesse ; (2e membre) ; Il leur apprend leurs devoirs d’une manière souveraine et digne de lui ; (3e membre) ; Car, en leur donnant la puissance, il leur commande d’en user, comme il le fait lui-même pour le bien du monde ; (4e membre) ; Et il leur fait voir, en la retirant, que toute leur majesté est empruntée, | et que, pour être assis sur le trône, ils n’en sont pas moins sous sa main et sous son autorité suprême. (5e membre.)
Bientôt avec Grammonta courent Marsb et Bellonec : Le Rhin à leur aspect d’épouvante frissonne ; Quand pour nouvelle alarme à ses esprits glacés, Un bruit s’épand qu’Enguiend et Condé sont passés Condé, dont le nom seul fait tomber les murailles Force les escadrons et gagne les batailles ; Enguien de son hymen le seul et digne fruit, Par lui dès son enfance à la victoire instruit.
Voici comment Bossuet a réussi à faire passer dans le récit d’un songe de la princesse Palatine, les mots poule et chien, et à les rendre dignes de la majesté de l’oraison funèbre : Dieu, dit-il, qui fait entendre ses vérités en telles manières et sous telles figures qu’il lui plaît, continua de l’instruire, comme il a fait Joseph et Salomon ; et durant l’assoupissement que l’accablement lui causa, il lui mit dans l’esprit cette parabole si semblable à celle de l’Évangile.
Pour qu’il soit digne de la tragédie, il faut que ce soit une passion véritablement tragique, regardée comme une faiblesse et combattue par des remords ; il faut, ou que l’amour conduise aux malheurs et aux crimes, pour faire voir combien il est dangereux ; ou que la vertu en triomphe, pour montrer qu’il n’est pas invincible. » Ces derniers mots nous conduisent à parler de la fin morale ou moralité de la tragédie.
L’homme digne d’être écouté est celui qui ne se sert de la parole que pour la pensée, et de la pensée que pour la vérité et la vertu3.
Boileau a peint le passage du Rhin en vers dignes de l’épopée ; il a fait les peintures les plus gracieuses des douceurs de la paix et des agréments de la campagne ; il a, à l’imitation d’Horace, développé dans un style noble et plein de dignité les lois de la morale et du goût.
Le trait le plus frappant de ce passage appartient, comme on voit, exclusivement à Racine ; et c’est imiter Homère en homme digne de le sentir, et capable de l’égaler.
Pour bien sentir ce que c’est que la période, relisons, dans l’oraison funèbre du grand Condé, par Bossuet, ce fragment de la péroraison : « Pour moi, s’il m’est permis ; après tous les autres, de venir rendre les derniers devoirs à ce tombeau, ô prince, le digne objet de nos louanges et de nos regrets, vous vivrez éternellement dans ma mémoire ; votre image y sera tracée, non point avec cette audace qui promettait la victoire ; non, je ne veux rien voir en vous de ce que la mort y efface ; vous aurez dans cette image des traits immortels : je vous verrai tel que vous étiez à ce dernier jour, sous la main de Dieu, lorsque sa gloire sembla commencer à vous apparaître… » On voit qu’ici toutes les idées, quoique distinctes, s’enchaînent et forment un ensemble harmonieux : telle est la période.