Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours : elles sont comme un art de la nature, dont les règles sont infaillibles ; et l’homme le plus simple, qui a de la passion, persuade mieux que le plus éloquent qui n’en a point. Les passions ont une injustice et un propre intérêt, qui fait qu’il est dangereux de les suivre, et qu’on s’en doit défier lors même qu’elles paraissent les plus raisonnables.
Il s’y adresse de préférence à Euripide, qui, par son intelligence des passions tendres, a le plus d’afrinité avec son génie. […] Aussi la passion est-elle son domaine. […] Quelle véhémence dans les passions !
Le courage de l’homme a rappelé celui du lion, et l’on a donné à l’homme brave et fort le nom de lion ; on a été enflammé de colère, quand on s’est aperçu que cette passion produisait dans tout notre être quelque chose d’analogue à la sensation physique éprouvée au contact de la flamme. […] « Dans toutes les langues, dit Voltaire, le cœur brûle, le courage s’allume, les yeux étincellent ; l’esprit est accablé, il se partage, il s’épuise ; le sang se glace, la tête se renverse ; on est enflé d’orgueil, enivré de vengeance, etc. » A ce penchant à l’imitation et à l’association, première source du style figuré, ajoutez la puissante influence qu’une imagination encore vierge et des passions libres et naïves exerçaient sur l’homme primitif. […] Les passions, de leur côté, apprivoisées par les relations plus étendues et plus suivies des hommes entre eux, refrénées par les lois, les coutumes, les bienséances sociales, perdirent de l’énergie de leurs manifestations. […] Elles sont fondées, nous l’avons dit aussi, sur des qualités ou des besoins de notre nature, penchant à l’imitation, association d’idées, imagination, passion, etc. ; leurs avantages, sous ce rapport, sont incontestables.
Mais, au moyen de l’imagination, le poète peut aussi créer et inventer d’une manière absolue : c’est ainsi qu’il peut exprimer les passions sans les sentir ; que pour décrire un combat, une tempête, un paysage, il n’est pas toujours nécessaire qu’il en ait vu le tableau. […] La poésie proprement dite, celle du langage, est bien plus importante, plus complète et plus variée que celle des arts : c’est l’âme elle-même, avec tous ses sentiments, toutes ses passions, qui se traduit, dans les compositions du poète, en paroles musicales et harmonieuses. […] Le vers se plie, comme la musique, à toutes les émotions de l’âme; il se modifie selon les sujets et les genres, soit pour exprimer les passions humaines, soit pour peindre et animer la nature, soit pour donner un corps et une image aux idées abstraites et métaphysiques. […] Peu à peu l’humanité sort de l’enfance pour entrer dans la jeunesse, époque de passions fougueuses, de force expansive et de combats gigantesques.
Une raison patriotique dont la clairvoyance devine le fort et le faible de chaque parti, une ironie amère, un mépris superbe de la contradiction, le sang-froid de la passion qui se maîtrise au milieu de la colère, des ripostes foudroyantes, une inépuisable fécondité de preuves, une action théâtrale et dramatique, une voix tonnante, l’éclat des images qui ne sont que des arguments rendus sensibles, l’audace d’une volonté dominatrice, l’attitude hautaine d’une âme sincère qui réunit l’intelligence politique à la passion populaire : voilà les traits saillants de sa physionomie. […] Les institutions de la vieille monarchie avaient blessé des esprits justes et indigné des cœurs droits ; mais il n’était pas possible qu’elles n’eussent froissé quelque âme ardente et irrité de grandes passions. […] Mais outré, bizarre, sophiste même quand il n’était pas soutenu par la passion, il devenait tout autre par elle.
3° Faisons appel aux passions, en faisant tourner en notre faveur l’amour ou la haine des choses. […] En suivant les instincts de notre cœur, nous comprendrons le langage des passions, et nous saurons avec ce seul maître (le cœur) y proportionner notre ton. […] Le visage est ce qu’on observe le mieux dans l’orateur ; le rôle de toutes les passions s’y dessine, il a un langage muet que tous les hommes entendent, quels que soient leur pays, leur langue, leur ignorance. […] Enfin, les gestes sont affectifs quand ils expriment les passions, les mouvements de l’âme. […] cet instrument si délicat et si souple, qui se prête à toutes les nuances du sentiment, à toute l’énergie des passions.
Ils semblent animés de passions : l’un s’incline profondément auprès de son voisin comme devant un supérieur, l’autre semble vouloir l’embrasser comme un ami ; un autre s’agite en tous sens comme auprès d’un ennemi. Le respect, l’amitié, la colère, semblent passer tour à tour de l’un à l’autre comme dans le cœur des hommes, et ces passions versatiles ne sont au fond que les jeux des vents. […] Majestueuses forêts, paisible solitude, qui plus d’une fois avez calmé mes passions, puissent les cris de la guerre ne troubler jamais vos résonnantes clairières !
Il est minuit ; Fiesque, le chef de la conjuration, visite une dernière fois sa flotte ; en passant d’un navire à l’autre, le pied lui manque, il tombe et disparait à jamais sous les flots ; c’est-à-dire que le hasard inintelligent, brutal, vient anéantir en un instant, sans lutte possible, toutes les combinaisons des passions et des volontés humaines. Ce dénoûment donné par l’histoire, l’art le proscrivait ; Schiller sentit qu’il n’y avait pas de drame possible, s’il ne substituait au hasard la volonté de Verrina62 Le hasard d’ailleurs peut donner l’imprévu, mais il est bien rare qu’il donne le pathétique ; celui-ci, son nom le dit assez, n’accompagne guère que la passion. […] Comme il s’agit à ce moment décisif de frapper les derniers coups, comme l’auditeur s’est échauffé à votre feu, identifié avec vos sentiments, tout alors vous est permis, tours animés, expressions énergiques, figures brillantes et hardies, hypotyposes, prosopopées, invocation de la nature entière, animée ou inanimée, en un mot, tout ce que la passion brûlante, impétueuse, peut vous fournir pour enfoncer le trait dans les âmes, pour faire jouer les deux grands ressorts tragiques, la terreur et la pitié. […] Elle procède de même pour les autres membres dont se compose le corps de l’écrit ou du discours : narration ou thèse, description des choses, description des hommes, présentée sous la forme du portrait, du parallèle ou du dialogue, amplification, quand elle est demandée par la grandeur des tableaux ou l’entrainement des passions, argumentation qui contient la confirmation et la réfutation, et qui fait passer dans la rhétorique toute la rigueur de la méthode syllogistique.
On se met dès l’abord au niveau des passions des auditeurs pour en accroître la force et le mouvement. […] La narration oratoire veut de la passion et de l’entraînement ; il faut que l’auditeur soit captivé et échauffé par la simple exposition du fait, qu’il croie voir les choses au lieu de les entendre. […] C’est l’objet de la confirmation, partie la plus essentielle du discours ; car les mœurs et les passions ne sont souvent que des accessoires. […] L’esprit peut être convaincu ; mais les passions contrarient son élan, il s’agit de les vaincre.
Cousin juge parfois ses modèles avec trop d’indulgence ; on ne peut qu’admirer en lui le don d’animer par la passion tous les sujets qu’il traite. […] Elles sont mortes les passions puissantes d’où étaient sorties des luttes qui agitèrent et fécondèrent l’âge précédent. […] Après avoir ainsi remonté les ressorts trop relâchés de la langue, il pouvait sans danger lui communiquer le mouvement et l’élan qu’elle ne connaissait plus depuis un demi-siècle, et rendre leur essor aux deux facultés de l’âme humaine sans lesquelles on ne peut atteindre à rien de grand dans les lettres comme ailleurs, l’imagination et la passion. […] Il s’était fait comme une habitude de l’éloquence ; car il ne pouvait guère écrire ou parler sans reproduire les deux caractères de son talent, la grandeur et la passion. » 2.
Dans le politique vertueux à faire peur qui créa sa république austère et bourgeoise, on retrouve le légiste nourri de chicane, l’avocat, l’aigre Picard, dont l’unique passion fut l’ambition de convaincre et de dominer. […] C’est la première fois, depuis Commines, que la langue française traite de grands intérêts, avec l’éloquence d’une passion convaincue. […] Je congnois combien je suis pauvre pecheresse, mais je me confie en sa bonté et en la mort et passion de son Fils.
Le pathétique, est, dans la manière d’exprimer ses idées et ses sentiments, une certaine force, une véhémence extraordinaire, qui excite les passions, c’est-à-dire, qui touche, remue, agite l’âme avec violence. […] Tes principes ne sont-ils pas gravés dans tous les cœurs ; et ne suffit-il pas, pour apprendre tes lois, de rentrer en soi-même, et d’écouter la voix de sa conscience dans le silence des passions ? […] On a pu juger par tous ces exemples, que l’apostrophe est une des figures les plus propres à exciter les passions, à remuer, à maîtriser les âmes. […] Cette figure est bien propre à exprimer les mouvements d’une âme, qui, agitée d’une passion violente, est dans une irrésolution continuelle sur le parti qu’elle doit prendre. […] On se sert encore très avantageusement de cette figure, pour exprimer toutes les passions vives.
Dès ce moment il n’eut qu’une passion, celle de se former aux vertus les plus pénibles : tout ce qui pouvait l’aider dans ce dessein était pour lui un bienfait du ciel. […] Des milliers d’hommes chercheront à t’arracher ta volonté pour te donner la leur ; ils mettront leurs passions viles à la place de tes passions généreuses. […] Les préjugés et les passions qui dominent tant d’hommes et de princes s’anéantiront pour toi : tu ne verras plus que tes devoirs et Dieu, et cette raison suprême qui doit être ton modèle et ta loi ; mais la volonté de la suivre en tout ne te subit pas, il faut que l’erreur ne puisse t’égarer. » Viennent ensuite les députés de toutes les nations de l’empire, qui apportent successivement à la cendre de Marc-Aurèle les hommages des trois parties du monde.
L’hyperbole ment, mais elle ne ment pas pour tromper ; elle surfait à des gens qui savent ce qu’il en faut rabattre ; ou bien elle ment sans le vouloir, parce que l’imagination ou la passion voient et sentent comme elle exprime. […] De telles circonstances sont heureusement fort rares ; aussi, et quel que soit l’entraînement de l’imagination ou de la passion, en général, si vous passez la croyance, ne passez pas la mesure, et ne pouvant être dans la vérité, restez du moins dans la vraisemblance : quamvis est omnis hyperbole ultra fidem, non tamen debet esse ultra modum. […] L’hyperbole et la litote, l’exagération qui agrandit et celle qui atténue, sont tout à fait dans les mœurs et les passions humaines. […] Racontait-il quelques-unes de ces actions qui l’ont rendu si célèbre, on eût dit qu’il n’en avait été que le spectateur, et l’on doutait si c’était lui qui se trompait ou la renommée. » La litote est la figure favorite de la modestie et de la prévention, comme lorsque Molière, à l’imitation de Lucrèce, prouve, dans le Misanthrope, que la passion sait donner des noms favorables même aux défauts des personnes aimées, La pâle est au jasmin en blancheur comparable… etc.