Le jeu des ressorts n’est pas moins aisé que ferme : à peine sentons-nous battre notre cœur, nous qui sentons les moindres mouvements du dehors, si peu qu’ils viennent à nous ; les artères vont, le sang circule, les esprits coulent, toutes les parties s’incorporent leur nourriture sans troubler notre sommeil, sans distraire nos pensées, sans exciter tant soit peu notre sentiment : tant Dieu a mis de règle et de proportion, de délicatesse et de douceur, dans de si grands mouvements. […] Tant de parties si bien arrangées, et si propres aux usages pour lesquels elles sont faites ; la disposition des valvules, le battement du cœur et des artères ; la délicatesse des parties du cerveau, et la variété de ses mouvements, d’où dépendent tous les autres ; la distribution du sang et des esprits ; les effets différents de la respiration, qui ont si grand usage dans le corps : tout cela est d’une économie, et s’il est permis d’user de ce mot, d’une mécanique si admirable, qu’on ne la peut voir sans ravissement, ni assez admirer la sagesse qui en a établi les règles. […] L’oreille a son tambour, où une peau, aussi délicate que bien tendue, résonne au mouvement d’un petit marteau que le moindre bruit agite ; elle a, dans un os fort dur, des cavités pratiquées pour faire retentir la voix, de la même sorte qu’elle retentit parmi les rochers et dans les échos. […] Il ne sert de rien de prouver que leurs mouvements ont de la suite, de la convenance et de la raison ; mais s’ils connaissent cette convenance et cette suite, si cette raison est en eux ou dans celui qui les a faits, c’est ce qu’il fallait examiner.
S’il n’a pas créé de système, ou de méthode nouvelle, il a suscité un mouvement considérable de recherches savantes, et appliqué une critique éloquente aux plus grands génies de la philosophie ancienne et moderne. […] Après avoir ainsi remonté les ressorts trop relâchés de la langue, il pouvait sans danger lui communiquer le mouvement et l’élan qu’elle ne connaissait plus depuis un demi-siècle, et rendre leur essor aux deux facultés de l’âme humaine sans lesquelles on ne peut atteindre à rien de grand dans les lettres comme ailleurs, l’imagination et la passion. […] Il a redonné du ton à la langue, mais aux dépens du naturel ; il a porté le soin jusqu’à l’afféterie, laissé paraître l’effort, prodigué les grands mouvements, gâté souvent l’éloquence par la déclamation, et frayé la route à la rhétorique. […] Dans les allées de nos jardins publics, sur les quais qui bordent ce palais, qui ne l’a entendu des heures entières prodiguer les idées, les expressions, les mouvements qui auraient fait la fortune d’un discours préparé ?
Le même mouvement se retrouve encore dans Voltaire, dernière scène d’Alzire : Je meurs : le voile tombe ; un nouveau jour m’éclaire. […] Mouvement imité de Racine : Athalie, acte I, sc. 2 : Et quel temps fut jamais plus fertile en miracles ? […] On retrouvera le même mouvement dans Boileau (satire II) : Maudit soit le premier dont la verve insensée Dans les bornes d’un vers enferma sa pensée… 1.
Si ces impressions sont légères, les mouvements qui se font sentir dans notre âme, sont doux ; et alors on les nomme simplement sentiments. Si ces impressions sont vives, les mouvements qui agitent notre âme sont véhéments ; et alors on les nomme proprement passions. […] Ces mouvements que notre âme éprouve à la vue des objets, sont indifférents par eux-mêmes, quelque doux, quelque impétueux qu’on les suppose. […] Celui qui s’en forme de telles, est toujours puissant et fort dans ses mouvements. […] L’orateur ne pouvait raconter ces tristes événements, sans se livrer à de grands mouvements, et sans remuer les passions.
Chaque pensée a son étendue, chaque image son caractère, chaque mouvement de l’âme son degré de force et de rapidité. […] Le style coupé convient aux mouvements tumultueux de l’âme : c’est le langage du pathétique véhément et passionné. […] Mais les écrivains doués d’une oreille sensible, et d’un goût sûr et délicat, ont su trouver au besoin, dans cette même langue, si ingrate et si stérile pour les autres, des nombres analogues à la pensée, au sentiment, au mouvement de l’âme qu’ils voulaient exprimer.
Mais il ne saurait convenir à tous les sujets, et il serait déplacé dans les mouvements rapides d’une passion violente, dans une discussion purement philosophique, et plus encore dans la familiarité simple et naïve d’une conversation. […] Pythagore se rendit à Babylone pour y étudier le mouvement des astres. […] On peut aussi imiter, par la parole, les divers mouvements des corps, en employant des sons qui aient quelque analogie avec ces mouvements : des syllabes longues pour ceux qui s’exécutent avec lenteur, des syllabes brèves pour ceux qui se font rapidement. […] Enfin, on peut imiter aussi, par l’harmonie du style, les sentiments, les émotions vives, les mouvements passionnés de l’âme. […] Cette circonstance du calme de la mer est choisie avec goût ; elle fait mieux ressortir les mouvements des deux serpents à la surface des eaux.
Il est vrai, encore une fois, que l’étude de ces règles ne donne point cette éloquence qui, par intervalles, excite en nous les plus grands mouvements, le plus vif enthousiasme. […] Nouveau Joasa, unique reste du sang de David, arraché aux débris de son auguste maison, ayant peine à se faire jour à travers les ruines sous lesquelles il parut enseveli : dans cet enfant se réunissent les mouvements de son cœur et les vues de son esprit, les tendresses d’un père et les projets d’un roi. […] Il élève son discours par la hardiesse des hyperboles, apostrophe les Dieux, prête de l’âme et du sentiment aux êtres inanimés, excite la colère et toutes sortes d’autres mouvements. […] Il ajoute qu’à peine Massillon eut prononcé ces dernières paroles, qu’un transport de saisissement s’empara de tout l’auditoire : presque tout le monde se leva à moitié par un mouvement involontaire.
Si les Français venaient pour ébranler, nous le sentirions aux mouvements de ses racines, qui couvrent la terre où nous marchons. […] Heureux l’orateur ou l’écrivain qui s’empare de ces mouvements du cœur fondés sur la raison ! […] Cette figure, qui donne plus de mouvement et de vivacité à la phrase, est très-familière aux poètes. […] que serait devenu ce mouvement oratoire, si Antoine avait eu l’habitude de lire ses plaidoyers ? […] Les sons de la voix répondent, comme les cordes d’un instrument, à la passion qui les touche et les met en mouvement.
Le style n’est, selon Condillac, que la liaison des idées ; selon Buffon, que l’ordre et le mouvement qu’on met dans ses pensées. […] Par la force du génie, on se représentera toutes les idées générales et particulières sons leur véritable point de vue ; par une grande finesse de discernement, on distinguera les pensées stériles des idées fécondes ; par la sagacité que donne la grande habitude d’écrire, on sentira d’avance quel sera le produit de toutes ces opérations de l’esprit… « Ce plan n’est pas encore le style, mais il en est la base ; il le soutient, il le dirige, il règle son mouvement et le soumet à des lois. […] « Son dessein ne peut se faire sentir que par la continuité du fil, par la dépendance harmonique des idées, par un développement successif, une gradation soutenue, un mouvement uniforme, que toute interruption détruit ou fait languir. » Ce discours de Buffon est, ce me semble, un admirable commentaire des quarante-cinq premiers vers si vrais et si féconds de la Poétique d’Horace. […] « Il faut y réfléchir assez pour voir clairement l’ordre de ses pensées, et en former une suite, une chaîne continue dont chaque point représente une idée ; et lorsqu’on aura pris la plume, il faudra la conduire successivement sur ce premier trait, sans lui permettre de s’en écarter, sans l’appuyer trop inégalement, sans lui donner d’autre mouvement que celui qui sera déterminé par l’espace qu’elle doit parcourir. » Toutes les vertus du style, tous ses charmes naissent donc de cet ordre, qui en est lui-même le charme et la vertu suprême. […] Les soins qu’elle exige sont autant de moments dérobés à la volupté ; le désir de parvenir suspend du moins des passions qui de tout temps en ont été l’obstacle : on ne saurait allier les mouvements sages et mesurés de l’ambition avec le loisir, l’oisiveté, et presque toujours le dérangement et les extravagances du vice ; en un mot la débauche a toujours été l’écueil inévitable de l’élévation ; et jusqu’ici les plaisirs ont arrêté bien des espérances de fortune et l’ont rarement avancée.
C’est toujours la même imagination vive, le même abandon, le même mouvement dans le style ; mais comme l’effet en est différent ? […] Dans une savane, de l’autre côté de la rivière, la clarté de la lune dormait sans mouvement sur les gazons ; des bouleaux agités par les brises, et dispersés çà et là, formaient des îles d’ombres flottantes sur cette mer immobile de lumière. […] À la vue de cette clarté si vive et si pure, il sentit tout son corps frissonner, et, s’élançant vers la fenêtre par un mouvement involontaire, il s’écria avec l’accent de l’enthousiasme : Oh ! […] Il y a du mouvement dans ces vers ; ils ont une allure libre et dégagée, dont les poètes antérieurs à Chénier avaient été trop avares. […] Apostrophe pleine de mouvement et de naturel.
On lui sait gré de ce mouvement qui rentre dans les mœurs oratoires, et nous fait aimer davantage un grand poète, privé de la vue et malheureux. […] Cette figure, maladroitement employée, est glaciale : elle ne gênera ici en rien la marche de Bossuet, et lui permettra ces grands mouvements qui lui sont particuliers. […] Partout le mouvement règne autour de lui. […] Les mouvements de ce régulateur sont si bien calculés, que Greenham lui-même eût désespéré d’atteindre à cette précision. […] La gradation dans le mouvement n’est pas moins remarquable.
Condenser le sentiment ou la pensée est assurément un moyen de lui donner cette force et ce ressort ; mais il arrive souvent aussi qu’il reçoit la même efficacité d’un mouvement prolongé ou d’une suite de mouvements dépendant d’un principe unique d’action. […] La véhémence dépend moins de la force de l’expression que de la vivacité et de la variété du tour et du mouvement de la phrase. […] Le premier point à remarquer dans tous ces morceaux, c’est que la véhémence était dans le fond avant d’être dans la forme : rien de plus ridicule que de s’échauffer à froid ; le second, c’est la forme elle-même, les brusques mouvements de phrase, les constructions brisées, les accumulations, les suspensions, les interruptions fréquentes, fidèle image du désordre de l’orateur ou du personnage mis en scène.
Tout est découverte pour lui, chaque essai de ses forces lui donne une jouissance : l’univers en mouvement claie à ses yeux, surpris le mélange des couleurs les plus riches et les plus variées. […] Chacun de ses mouvements est un effort utile ; chacun de ses pas est un progrès. […] Mais, docile autant que courageux, il ne se laisse pas emporter à son feu ; il sait réprimer ses mouvements : non seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs ; et, obéissant toujours aux impressions qu’il en reçoit, il se précipite, se modère ou s’arrête, et n’agit que pour y satisfaire. C’est une créature qui renonce à son être pour n’exister que par la volonté d’un autre, qui sait même la prévenir ; qui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l’exprime et l’exécute ; qui sent autant qu’on le désire, et ne rend qu’autant qu’on veut ; qui, se livrant, sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, il s’excède, et même meurt pour mieux obéir. […] Boileau, pour exprimer la fatigue que la Mollesse a éprouvée d’avoir prononcé quelques paroles, à la suite desquelles elle se replonge dans le sommeil, la suit dans tous ses mouvements jusqu’au moment où elle s’endort : La Mollesse oppressée Dans sa bouche à ce mot sent sa langue glacée ; Et lasse de parler, succombant sous l’effort, Soupire… étend les bras… ferme l’œil… et s’endort.
Quand on commence à apprendre l’escrime, la danse, l’équitation, on emploie presque toujours trop de force, on fait de trop grands mouvements, et l’on réussit moins en se donnant plus de peine. […] On est étonné de voir Buffon lui-même soutenir que le style n’aura ni noblesse, ni vérité, ce qui est plus étrange, si l’on n’a soin de nommer les choses que par les termes les plus généraux, si l’on ne se défie de son premier mouvement, si l’on se laisse emporter à son enthousiasme, si l’on n’a partout plus de candeur que de confiance, plus de raison que de chaleur. […] Etudiez ce langage si éminemment français, sachez vous l’approprier, et quand vous en serez bien pénétré, laissez-vous aller à votre spontanéité, et, quoi qu’en dise Buffon, ne craignez pas le premier mouvement ; vous serez alors original, sans y tâcher, et précisément parce que vous serez naturel et vrai.