Des équations algébriques ne donnent de prise ni à l’épigramme, ni à la chanson, ni à l’envie ; mais on juge durement ces énormes recueils de vers médiocres, de compliments, de harangues, et ces éloges qui sont quelquefois aussi faux que l’éloquence avec laquelle on les débite. […] Ce n’est pas l’usage, disent les juges. […] Montesquieu juge ainsi Charles XII : « Ce prince, qui ne fit usage que de ses seules forces, détermina sa chute en formant des desseins qui ne pouvaient être exécutés que par une longue guerre : ce que son royaume ne pouvait soutenir. […] On lit ailleurs : « Nous pouvons nous dire l’un à l’autre ce que nous pensons du public, de cette mer orageuse que tous les vents agitent, et qui tantôt vous conduit au port, tantôt vous brise contre un écueil ; de cette multitude qui juge de tout au hasard, qui élève une statue pour lui casser le nez, qui fait tout à tort et à travers ; de ces voix discordantes qui crient hosanna le matin, et crucifige le soir ; de ces gens qui font du bien et du mal sans savoir ce qu’ils font.
Elles sont donc d’une nécessité indispensable, et à l’auteur qui compose, et à l’amateur qui juge.
Si elle a bon succès d’une affaire dont elle vous a choisi pour juge, et qu’elle croie que j’y ai contribué en quelque chose, vous ne sauriez croire l’honneur que cela me fera dans le monde, et combien j’en serai plus agréable à tous les honnêtes gens. Je ne vous propose que mes intérêts pour vous gagner, car je sais bien, monsieur, que vous ne pouvez être touché des vôtres, sans cela je vous promettrais son amitié, c’est un bien pour lequel les plus sévères juges se pourraient laisser corrompre, et dont un si honnête homme que vous doit être tenté. […] Le reçoit au berceau, l’accompagne à sa tombe, Et portant dans les cieux son âme entre ses mains, La présente en tremblant au Juge des humains. […] Ainsi, pendant mon sommeil, la main d’un frère trancha mes jours au sein de mes erreurs, avant que j’eusse pu les expier, et m’envoya rendre compte au Juge suprême, avec tout le poids de mes iniquités sur ma tête. […] Il venait redemander à l’impitoyable vainqueur le corps meurtri de son fils ; et lui ayant baisé la main, il lui dit : « Juge la grandeur de mon malheur, puisque je baise la main qui a tué mon fils !
— Sage ou non, je parie encore » Ainsi fut fait ; et de tous deux On mit près du but les enjeux3 Savoir quoi, ce n’est pas l’affaires, Ni de quel juge l’on convint. […] Jean Lapin pour juge l’agrée. […] Raminagrobis, nom d’un vieux juge chez Rabelais. […] Il a sa fierté de moucheron : il déclare la guerre ; mais il est fanfaron et étourdi : il juge la force sur la taille des gens.
Que l’on en juge par ce morceau pris au hasard dans son discours de réception.
Se faire valoir par des choses qui ne dépendent point des autres ; mais de soi seul, ou renoncer à se faire valoir : maxime inestimable et d’une ressource infinie dans la pratique, utile aux faibles, aux vertueux, à ceux qui ont de l’esprit, qu’elle rend maîtres de leur fortune ou de leur repos ; pernicieuse pour les grands et qui diminuerait leur cour, ou plutôt le nombre de leurs esclaves ; qui ferait tomber leur morgue avec une partie de leur autorité, et les réduirait presque à leurs entremets et à leurs équipages ; qui les priverait du plaisir qu’ils sentent à se faire prier, presser, solliciter, à faire attendre ou à refuser, à promettre et à ne pas donner ; qui les traverserait dans le goût qu’ils ont quelquefois à mettre les sots en vue, et à anéantir le mérite quand il leur arrive de le discerner ; qui bannirait des cours les brigues, les cabales, les mauvais offices, la bassesse, la flatterie, la fourberie ; qui ferait d’une cour orageuse, pleine de mouvements et d’intrigues, comme une pièce comique ou même tragique, dont les sages ne seraient que les spectateurs ; qui remettrait de la dignité dans les différentes conditions des hommes, de la sérénité sur leurs visages ; qui étendrait leur liberté ; qui réveillerait en eux, avec les talents naturels, l’habitude du travail et de l’exercice ; qui les exciterait à l’émulation, au désir de la gloire, à l’amour de la vertu ; qui, au lieu de courtisans vils, inquiets, inutiles, souvent onéreux à la république, en ferait ou de sages économes ou d’excellents pères de famille, ou des juges intègres, ou de bons officiers, ou de grands capitaines, ou des orateurs, ou des philosophes ; et qui ne leur attirerait à tous nul autre inconvénient que celui peut-être de laisser à leurs héritiers moins de trésors que de bons exemples1. […] L’on juge en le voyant qu’il n’est occupé que de sa personne ; qu’il sait que tout lui sied bien, et que sa parure est assortie ; qu’il croit que tous les yeux sont ouverts sur lui, et que les hommes se relayent pour le contempler1. […] Rappel, recours devant un juge supérieur.
La narration se place ordinairement à côté de la proposition : elle contient le récit des faits qui se rattachent au sujet ; mais ce récit peut se placer ailleurs, si on le juge à propos. […] « Messieurs, dans un procès de cette nature, la moralité des accusés devant nécessairement influer sur la décision des juges, il conviendrait de rappeler ici les heureuses qualités dont la nature a doué la moitié la plus intéressante de nos clients ; mais si je disais tout ce que valent les chiens, nous aurions trop à rougir6.
Le premier redoutable, mais suspect à ses juges, qui, à force de le croire habile, le regardaient comme dangereux : le second, précédé au barreau par cette réputation d’honnête homme, qui est la plus forte recommandation d’une cause, la première qualité de l’avocat, et peut-être la première éloquence de l’orateur.
L’orateur n’en reste pas là : il j’apporte une dernière circonstance du supplice de Gavius, pour accabler Verrès de tout l’odieux qu’il mérite, en peignant aux yeux de ses juges son industrieuse cruauté. […] Enfin Cicéron termine ce récit passionné, et bien capable d’allumer toute l’indignation des juges contre Verrès, par ces paroles si fortes et si pathétiques. […] Il vaut donc mieux avoir une langue séduisante, qu’un bras de héros, etc. » Cet emportement d’Ajax, ces éclats, ce reproche indirect qu’il fait aux Grecs des services qu’ils en avaient reçus, étaient bien peu propres à lui rendre ses Juges favorables. Un pareil ton dans un Orateur, et dans un Orateur surtout qui plaide sa propre cause, ne peut qu’indigner le Juge, et même le simple auditeur. […] Il y excite presque toutes les passions des juges : il leur inspire de l’indignation contre les accusateurs, de l’estime pour l’accusé, de l’amour pour sa vertu, de l’admiration pour ses sentiments, de la reconnaissance même pour les services qu’il avait rendus à la république, enfin de la haine pour la mémoire de Clodius, et de l’horreur pour ses forfaits.
« L’apostrophe, dit Marmontel, consiste à détourner tout à coup la parole et à l’adresser, non plus à l’auditoire ou à l’interlocuteur, mais aux absents, aux morts, aux êtres invisibles ou inanimés, et le plus souvent à quelqu’un ou à quelques-uns des assistants. » Il fait remarquer que, dans ce dernier cas, l’apostrophe est une des armes les plus puissantes de l’éloquence ; c’est l’adversaire, le juge, l’une ou l’autre classe d’auditeurs, que l’orateur interpelle tout à coup, qu’il prend à partie, qu’il atteste, qu’il terrasse ou qu’il implore. […] En voici une de nombre, dans Racine : Entre le pauvre et vous vous prendrez Dieu pour juge, Vous rappelant, mon fils, que caché sous ce lin, Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin.
L’orateur le tire : Ou de lui-même et de son client, ou des adversaires, ou des juges, ou de la cause, ou de quelque circonstance extérieure qu’il rattache à la cause. […] Elle se tire le plus souvent de la personne du client, ou de l’adversaire, ou du juge, ou de l’auditeur, ou enfin de l’orateur lui-même.
M. de Lamartine a trouvé des juges plus sévères, et il devait s’y attendre. […] La bataille de sang du juge et du martyre. […] J’entrevois vos mépris, et juge, à vos discours, Combien j’achèterais vos superbes secours.
Il nous inspire une admiration inquiète et mêlée d’une pitié qui, sans absoudre les écarts de son esprit, nous rend sympathiques à son cœur, et désarme les juges les plus sévères1. […] instinct divin, immortelle et céleste voix, guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature ; sans toi, je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilége de m’égarer d’erreurs en erreurs, à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principes2. […] « Si peu maître de mon esprit seul avec moi-même, qu’on juge de ce que je dois être en conversation.
Ces développements nous ont paru d’une utilité réelle, et nous sommes plus que jamais convaincu de leur importance, lorsque nous recevons d’un professeur distingué, dont les savants ouvrages sont connus dans toute la France, ces encouragements bienveillants : « Je vous félicite d’avoir compris que les abrégés ne profitent qu’à ceux qui les font, et vous avez sagement fait de donner aux préceptes un juste développement qui les fait bien comprendre. » Un autre juge également compétent voulait bien nous faire savoir, après avoir soigneusement examiné notre Poétique, qu’il se plaisait à reconnaître tout le mérite et toute la conscience de ce livre.