Quand vous voyez quelquefois un nombreux troupeau qui, répandu sur une colline vers le déclin d’un beau jour, paît tranquillement le thym et le serpolet, ou qui broute dans une prairie une herbe menue et tendre qui a échappé à la faux du moissonneur, le berger soigneux et attentif est debout auprès de ses brebis ; il ne les perd pas de vue, il les suit, il les conduit, il les change de pâturages : si elles se dispersent, il les rassemble ; si un loup avide paraît, il lâche son chien, qui le met en fuite ; il les nourrit, les défend ; l’aurore le trouve déjà en pleine campagne, d’où il ne se retire qu’avec le soleil. […] Et si vous lui dites que ce bruit est faux et qu’il ne se confirme point, il ne vous écoute pas ; il ajoute que tel général a été tué ; et bien qu’il soit vrai qu’il n’a reçu qu’une légère blessure, et que vous l’en assuriez, il déplore sa mort, il plaint sa veuve, ses enfants, l’Etat ; il se plaint lui-même : il a perdu un bon ami et une grande protection.
On conçoit qu’il arrive parfois qu’une idée vraie et digne soit mal rendue, et qu’une idée fausse et inconvenante plaise, jusqu’à un certain point, par sa forme ; qu’un même sens, comme l’a remarqué Pascal, change selon les paroles qui l’expriment, et que les sens reçoivent des paroles leur dignité, au lieu de la leur donner64. « La seule différence entre Pradon et moi, disait Racine, c’est que j’écris mieux que lui. » Le mot, vrai ou faux, prouve la haute importance que Racine attachait ou était supposé attacher à l’expression.
Tantôt il devra faire usage de la logique, en montrant, s’il y a lieu, ou que les principes sont faux et qu’ on ne peut en tirer des conséquences vraies, ou que les principes étant vrais, on en a tiré de fausses conséquences.
L’abus de cette figure suppose un jugement faux. […] A une heure du matin, vous êtes descendu sans bruit de votre mansarde ; vous avez pénétré à l’aide d’une fausse clef dans la chambre de votre victime ; vous vous êtes approché doucement du lit où dormait la pauvre femme ; vous vous êtes penché sur elle pour vous assurer de son sommeil ; vous êtes allé ensuite à la fenêtre ; vous avez pris un foulard qu’elle y avait pendu… » Et il continue, dardant son regard sur l’accusé, accompagnant d’un geste terrible chaque détail de son récit imaginaire.
Et s’y veut contenter de la fausse pensée Qu’ont tous les autres gens, que nous sommes heureux. […] dira-t-on, est-ce là un défaut, dans un temps où tout le monde veut avoir de l’esprit, où l’on n’écrit que pour montrer qu’on en a, où le public applaudit même aux pensées les plus fausses, quand elles j sont brillantes ? […] Mais tous ces brillants (et je ne parle pas des faux brillants) ne conviennent point ou conviennent fort rarement à un ouvrage sérieux, et qui doit intéresser. […] Ton faux savoir n’est bon qu’à tromper le vulgaire. […] Faux ami, M’as-tu trouvé pour toi généreux à demi ?
Si la comparaison est fausse ou forcée, l’image est obscure ou mauvaise. […] Le goût est le bon sens du génie ; sans le goût, le génie n’est qu’une sublime folie. » Le goût a donc besoin d’être réglé, sinon il s’égare et se perd ; il prend l’enflure pour la noblesse, la trivialité pour le naturel, l’emphase des expressions pour la chaleur du sentiment : c’est alors le mauvais goût, résultat d’un jugement faux et d’un sentiment perverti.
On peut lui appliquer ce trait : « qui dit auteur, dit oseur. » Exorde de son quatrième mémoire 1 Si l’être bienfaisant qui veille à tout m’eût un jour honoré de sa présence et m’eût dit : « Je suis Celui par qui tout est ; sans moi tu n’existerais point ; je te douai d’un corps sain et robuste ; j’y plaçai l’âme la plus active ; tu sais avec quelle profusion je versai la sensibilité dans ton cœur et la gaieté sur ton caractère ; mais tu serais trop heureux si quelques chagrins ne balançaient pas cet état fortuné : aussi tu vas être accablé sous des calamités sans nombre ; déchiré par mille ennemis ; privé de ta liberté, de tes biens ; accusé de rapines, de faux, d’imposture, de corruption, de calomnie ; gémissant sous l’opprobre d’un procès criminel ; garrotté dans les liens d’un décret ; attaqué sur tous les points de ton existence par les plus absurdes on dit ; et ballotté longtemps au scrutin de l’opinion publique, pour décider si tu n’es que le plus vil des hommes ou seulement un honnête citoyen », je me serais prosterné, et j’aurais répondu : « Être des êtres, je te dois tout, le bonheur d’exister, de penser et de sentir ; je crois que tu nous as donné les biens et les maux en mesure égale ; je crois que ta justice a tout sagement compensé pour nous, et que la variété des peines et des plaisirs, des craintes et des espérances, est le vent frais qui met le navire en branle et le fait avancer gaiement dans sa route. […] « Si, pour les suites de ce procès, je dois être dénoncé au parlement comme ayant voulu corrompre un juge incorruptible, et calomnier un homme incalomniable, suprême Providence, ton serviteur est prosterné devant toi : je me soumets ; fais que mon dénonciateur soit un homme de peu de cervelle ; qu’il soit faux et faussaire ; et puisque ce procès criminel doit être de toute iniquité comme le procès civil qui y a donné lieu, fais, ô mon maître !
Vous éprouverez qu’il adopte de lui-même, dans les combinaisons les plus nouvelles, tout ce qui est fort et vrai, et ne rejette que le faux, qui presque toujours est la ressource et le déguisement de la faiblesse. […] C’est là que nous apparaît le trait distinctif du siècle de Louis XIV, l’esprit religieux, non ce faux zèle, cette pieuse imposture, dont Molière vengeait la société, mais un esprit grave et sincère, nourri par la méditation et l’étude, illustré souvent par de touchants sacrifices, puissant même au milieu des faiblesses et des vices, et porté dans quelques âmes jusqu’à la vertu la plus sublime.
Que de douces matinées m’ont fait passer les Lettres de Sénèque à Lucilius, si spirituelles, si fortes, malgré l’exagération de quelques passages, et beaucoup moins entachées qu’on ne le dit de faux brillant et de sophismes ! […] Jamais ils ne tendent de piége à leur lecteur, jamais ils ne le flattent par de belles paroles pour surprendre son âme et y allumer une mauvaise passion ou y introduire une idée fausse.
Le champ qu’elle cultive est trop précieux, les objets quelle embrasse trop élevés, trop importants, trop graves, pour y semer les bluettes et le faux clinquant du bel esprit.
S’il devait feindre la douleur, et si son discours n’exprimait rien que de faux et d’emprunté, il lui faudrait peut-être un art plus grand encore. […] « Le déplacé, le faux, le gigantesque, dit Voltaire, semblent vouloir dominer aujourd’hui ; c’est à qui enchérira sur le siècle passé. […] Elle exprime en termes pompeux une pensée fausse, ou veut faire paraitre les idées plus grandes qu’elles ne sont. […] examinez la proposition contraire ; si ce contraire est vrai, la pensée que vous examinez est fausse. […] Ainsi cette figure est quelquefois l’expression de la fausse modestie.
Le premier devoir de l’historien est de distinguer avec la plus exacte précision le faux du vrai, de rejeter tout ce qui est incertain ou d’une autorité suspecte, et de n’admettre que ce qui ne peut pas être révoqué en doute. […] S’il rapporte des choses fausses ou qu’il donne pour vérités de simples conjectures, il trompe le public, il en impose aux nations pour lesquelles il écrit. […] J’emprunte ce passage à l’Histoire philosophique, de l’abbé Raynal, historien constamment déclamateur, et presque toujours faux.
C’est une physique bien fausse, mais qui ne l’est pas plus que toute la physique ancienne ; et d’ailleurs il a mis dans son poème tant de grandeur, de beauté poétique, de pensées ingénieuses, de vigueur d’expression et d’harmonie de style, que l’ouvrage est regardé avec raison comme admirable par ceux qui l’ont lu et bien compris. […] Il faut donc beaucoup d’art pour employer ces personnages, et on loue avec raison la manière dont Voltaire les a placés dans ces beaux vers de la Henriade : Cependant sur Paris s’élevait un nuage Qui semblait apporter le tonnerre et l’orage ; Ses flancs noirs et brûlants, tout à coup entrouverts, Vomissent dans ces lieux les monstres des enfers : Le Fanatisme affreux, la Discorde farouche, La sombre Politique, au cœur faux, à l’œil louche, Le Démon des combats respirant la fureur, Dieux enivrés de sang, dieux dignes des ligueurs. […] On lui reproche quelque recherche d’esprit peu convenable dans un genre si sérieux ; ce qui a fait dire à Voltaire dans ses stances sur les poètes épiques : De faux brillants, trop de génie Mettent le Tasse un cran plus bas ; Mais que ne tolère-t-on pas Pour Armide et pour Herminie ?
C’est ce que la critique du xviie siècle n’a pas compris, et ses fausses idées sur la noblesse du style lui ont fait mal juger de tout ce qui s’y rattache. […] Jeter des mots éblouissants et sonores sur des idées pauvres et stériles, ce n’est plus de la richesse, c’est une parure de faux brillants, c’est le clinquant des acteurs sur un théâtre.