Il n’est pas possible, dit Cicéron34, que celui qui écoute, se porte à la douleur, à la haine, à l’envie, à la crainte, aux pleurs, à la pitié, si l’orateur ne se montre touché des sentiments qu’il veut inspirer aux autres. […] « Au milieu de la place publique de Messine37, un citoyen romain était cruellement frappé de verges ; tandis que dans ses cuisantes douleurs, à travers le bruit des coups redoublés, il ne faisait entendre d’autre plainte, d’autre cri que celui-ci : Je suis citoyen romain. […] Un effort de douleur rompant enfin ce long et morne silence, d’une voix entrecoupée que formaient dans leurs cœurs la tristesse, la piété, la crainte, ils s’écrièrent : Comment est mort cet homme puissant, qui sauvait le peuple d’Israël ! […] Ses derniers soupirs souillent la douleur et la mort, dans le cœur de son royal époux66 : les cendres du jeune prince se hâtent de s’unir à celles de son épouse : il ne lui survit que les moments rapides qu’il faut, pour sentir qu’il l’a perdue ; et nous perdons avec lui les espérances de sagesse et de piété, qui devaient faire revivre le règne des meilleurs rois, et les anciens jours de paix et d’innocence. […] Venez, Peuples, venez maintenant ; mais venez plutôt, Princes et Seigneurs, et vous qui jugez la terre, et vous qui ouvrez aux hommes les portes du ciel, et vous, plus que tous les autres, Princes et Princesses, nobles rejetons de tant de Rois, lumières de la France, mais aujourd’hui obscurcies, et couvertes de votre douleur comme d’un nuage ; venez voir le peu qui nous reste d’une si auguste naissance, de tant de grandeur, de tant de gloire.
Il s’agissait de ce même Dédale qui avait gravé ses aventures sur la porte du temple d’Apollon, mais qui n’avait pu, à cause de sa douleur, y graver la chute de son fils. […] parce que ces mains sont mues par un cœur de père, et que la douleur les a rendues impuissantes. […] La répétition des mêmes mots a beaucoup de grâce en poésie, quand elle sert à peindre les passions, comme la joie, la douleur, la tendresse, la compassion, l’étonnement. […] C'est ici un sentiment de tristesse et de vive douleur.
Ce qui irrite la douleur dans un temps, l’adoucit dans un autre. […] Votre éloquence rend votre douleur contagieuse, disait Balzac à une personne qu’il voulait consoler ; et quelle glace ne fondrait à la chaleur de vos belles larmes ? […] Macduff tombe dans une douleur morne : son ami veut le consoler, il ne l’écoute point ; et méditant sur le moyen de se venger de Macbeth, il ne dit que ces mots terribles : Il n’a point d’enfants ! […] — Si ce n’est lui, ce sera ma douleur. […] Après avoir mentionné les stances de Malherbe à Duperrier : Ta douleur… ; le madrigal de Chamfort au roi de Danemark : Un roi qu’on aime… ; les verselets de Clotilde de Surville à son enfant : O cher enfantelet…, et le compliment si délicat que Louis XIV adressa au grand Condé après la victoire de Senef, nous terminerons par le placet bien connu qui fut envoyé au même prince, au sujet d’une île du Rhône : Qu’est-ce en effet pour toi, grand monarque des Gaules, Qu’un peu de sable et de gravier ?
Ses yeux se sont fermés à la fleur de son âge ; et, quand l’espérance trop lente commençait à flatter sa peine, il a eu la douleur insupportable de ne pas laisser assez de bien pour payer ses dettes, il n’a pu sauver sa vertu de cette tache. […] Le trait dominant de son caractère fut un stoïcisme tendre, la sérénité dans la douleur.
L’âme, dans ses douleurs, est patiente et variée, parce qu’elle est immortelle ; tandis que le corps, après souffrir, ne sait que mourir : c’est la seule variété et la seule péripétie qu’il sache mettre dans ses douleurs ; et de là aussi, au théâtre, la stérilité et la monotonie des souffrances matérielles.
Et quand les désastres de la patrie, quand les douleurs publiques ne toucheraient pas vos âmes, à qui Pharsale n’a-t-elle pas légué un deuil personnel, une douleur privée ? […] Passer en revue leurs malheurs, rappeler nos douleurs et nos dangers personnels, est une chose bien amère ; les déplorer est inutile : y apporter un remède, voilà notre devoir. […] On trouve plus facilement des guerriers prêts à marcher volontairement à la mort, que des hommes capables de souffrir la douleur avec résignation. […] » Telles seront ses paroles : et toi, tu sentiras ta douleur se renouveler et tu regretteras de nouveau cet époux qui aurait pu mettre un terme à ton esclavage. […] Et vous, flots qui vous brisez avec fracas sur le rivage, toi promontoire, où souvent ma tête abritée fut mouillée par le vent du midi, où l’écho répondit tant de fois à mes cris de douleur, adieu !
Et pouvez-vous, seigneur, souhaiter qu’une fille Qui vit presque en naissant éteindre sa famille, Qui, dans l’obscurité nourrissant sa douleur, S’est fait une vertu conforme à son malheur, Passe subitement de cette nuit profonde Dans un rang qui l’expose aux yeux de tout le monde, Dont je n’ai pu de loin soutenir la clarté, Et dont une autre enfin remplit la majesté6 ? […] M. de Lamartine a dit : Ici-bas, la douleur à la douleur s’enchaîne, Le jour succède au jour, et la peine à la peine.
Didon veille seule dans toute la nature, seule, et en proie à sa douleur ! […] iv. v. 522) La nuit avait rempli la moitié de son cours ; Sur le monde assoupi régnait un calme immense ; Les étoiles roulaient dans un profond silence ; L’aquilon se taisait dans les bois, sur les mers ; Les habitants des eaux, les monstres des déserts, Des oiseaux émaillés les troupes vagabondes, Ceux qui peuplent les bois, ceux qui fendent les ondes ; Livrés nonchalamment aux langueurs du repos, Endormaient leurs douleurs et suspendaient leurs maux : Didon seule veillait.
« Cruel auteur des troubles de mon âme, Que la pitié retarde un peu tes pas : Tourne un moment tes yeux sur ces climats ; Et, si ce n’est pour partager ma flamme, Reviens du moins pour hâter mon trépas. » C’est ainsi qu’en regrets sa douleur se déclare : Mais bientôt, de son art employant le secours, Pour rappeler l’objet de ses tristes amours, Elle invoque à grands cris tous les dieux du Ténare. […] Dans la même faiblesse ils traînent leur enfance ; Et le riche et le pauvre, et le faible et le fort Vont tous également des douleurs à la mort.
Brisant alors, non sans douleur, des liens qui lui étaient devenus chers, il quitta son ermitage philosophique pour se fixer à Paris, et s’y vouer à ses goûts d’étude, sans autre fortune que son talent. […] Le salut du matin qui renouvelle en quelque sorte le plaisir de la première arrivée ; le déjeuner, repas dans lequel on fête immédiatement le bonheur de s’être retrouvés ; la promenade qui suit, sorte de salut et d’adoration que nous allons rendre à la nature ; notre rentrée et notre clôture dans une chambre toute lambrissée à l’antique, donnant sur la mer, inaccessible au bruit du ménage, en un mot, vrai sanctuaire du travail ; le dîner qui nous est annoncé, non par le son de la cloche qui rappelle trop le collége ou la grande maison, mais par une voix douce ; la gaieté, les vives plaisanteries, les causeries ondoyantes qui flottent sans cesse durant le repas ; le feu pétillant de branches sèches autour duquel nous pressons nos chaises ; les douces choses qui se disent à la chaleur de la flamme qui bruit tandis que nous causons ; et, s’il fait soleil, la promenade au bord de la mer qui voit venir à elle une mère, son enfant dans les bras ; les lèvres roses de la petite fille qui parlent en même temps que les flots ; quelquefois les larmes qu’elle verse, et les cris de sa douleur enfantine sur le rivage de la mer ; nos pensées à nous, en considérant la mère et l’enfant qui se sourient, ou l’enfant qui pleure et la mère qui tâche de l’apaiser avec la douceur de ses caresses et de sa voix ; l’Océan qui va toujours roulant son train de vagues et de bruits ; les branches mortes que nous coupons en nous en allant çà et là dans le taillis, pour allumer au retour un feu prompt et vif ; ce petit travail de bûcheron qui nous rapproche de la nature et nous rappelle l’ardeur singulière de M.
L’extrême douleur et la dernière infamie attiraient les hommes au christianisme ; c’étaient les appâts et les promesses de cette nouvelle secte. […] Mais j’ay creû qu’il falloit en user de la sorte avec vous, et que c’est consoler un philosophe que lui justifier ses larmes, et mettre sa douleur en liberté. […] J’écrivis à M. de Grignan, vous pouvez penser sur quel ton ; j’allai ensuite chez Madame de la Fayette, qui redoubla mes douleurs par la part qu’elle y prit. […] souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée ? […] Mais il y a des douleurs que la religion seule peut soulager, et vous ne pouvez tirer que de vous-même, et du fonds de votre sagesse et de votre piété, le sacrifice que vous faites de votre affliction.
« Je n’ai jamais essayé, dit le premier, d’exciter dans l’âme de mes juges la douleur, la compassion, l’indignation ou la haine, sans éprouver moi-même fortement les sentimens dont je voulais les pénétrer. Comment le juge pourrait-il s’irriter contre votre adversaire, si vous êtes vous-même froid et indifférent ; le haïr, s’il ne vous voit vous-même respirer la haine ; éprouver de la compassion, si vos expressions, vos pensées, votre voix, votre physionomie, vos larmes enfin, ne manifestent une profonde douleur ? […] Soyons cet homme qui a souffert des traitemens indignes et cruels ; ne traitons point la chose comme étrangère par rapport à nous ; empruntons la douleur de l’offensé, alors nous dirons tout ce que, si nous étions dans le même cas, nous dirions pour nous-mêmes. » (L. […] Je puis assurer qu’on m’a vu souvent non-seulement répandre des larmes, mais changer de visage, pâlir, et ressentir une douleur qui avait le caractère de la véritable. » (Loc. cit.) […] De l’altération dans la voix, de la douleur dans l’accent, quelques paroles entrecoupées, sont les signes d’attendrissement au delà desquels la commisération du défenseur ne peut aller sans sortir de nos convenances.
Elle ressentit une si vive douleur de voir sa fille Polyxène immolée sur le tombeau d’Achille, et son fils Polydore tué par la trahison de Polymnestor, roi de Thrace, qu’elle se creva les yeux, en vomissant mille imprécations contre les Grecs.
La fable dit que les Hyades, filles d’Atlas, roi de Mauritanie, moururent de douleur d’avoir perdu leur frère Hyds, et que Jupiter les métamorphosa en étoiles, qu’il plaça au front du Taureau ; faveur qui n’a pu encore tarir la source de leurs larmes.