Boileau préférait Pascal à tous les prosateurs de son temps. Madame de Sévigné nous raconte à ce sujet une anecdote qui témoigne de l’admiration qu’il professait pour lui : « Despréaux, dit-elle en rendant compte d’un dîner chez M. de Lamoignon, soutint les anciens, à la réserve d’un seul moderne qui surpassait, à son goût, et les vieux et les nouveaux. » Fort interrogé sur cet auteur, il finit par le nommer : c’était Pascal.
Je la compte seulement parmi celles-ci, parce qu’il n’est aucun genre d’écrits auquel ne s’applique le précepte de Boileau : Il est un heureux choix de mots harmonieux ; Fuyez des mauvais sons le concours odieux. […] Boileau vous dit : Fuyez les mauvais sons ; mais il ne vous dit pas ce que c’est qu’un mauvais son. […] An entier est insupportable, et ne le cède qu’au vers de Lamotte : Et le mien incertain encore… Tout en reconnaissant quelque exagération dans la sentence de Boileau : Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée Ne peut plaire à l’esprit, quand l’oreille est blessée, il faut avouer du moins que l’oubli des lois de l’harmonie nuit aux meilleures choses76.
C’est ce que fait Boileau dans cet endroit d’une de ses Satyres : Il a tort, dira l’un : pourquoi faut-il qu’il nomme ? […] M. le Duc de N***, dans ses Réflexions critiques sur le génie d’Horace, de Despréaux et de Rousseau, a donné la traduction de quelques strophes d’une Ode, dans laquelle le Poète latin chante les douceurs de la vie champêtre, et le bonheur de celui qui sillonnant le champ de ses pères, vit, comme eux, sans soins, sans affaires, sans créanciers. […] Les arbres se desséchèrent ; et l’on vit disparaître pour toujours ces régions enchantées, plus heureuses de n’avoir plus de quoi corrompre leurs habitants, que d’avoir fourni à ces hommes abominables l’abondance et les délices. » L’exemple suivant est tiré de l’épître de Boileau sur le passage du Rhin b, par l’armée de Louis XIV. […] On en trouve un bien beau modèle dans ce portrait du prélat du Lutrin par Boileau : La jeunesse en sa fleur brille sur son visage : Son menton sur son sein descend à triple étage, Et son corps ramassé dans sa courte grosseur, Fait gémir les coussins sous sa molle épaisseur.
Ce qu’on peut dire avec vérité, c’est que généralement inférieur à Corneille pour la grandeur des idées et des caractères autant que pour la fécondité de l’invention, Racine lui est, en revanche, supérieur par la manière dont il traite la passion et par l’emploi des images dans le style, où il est avec Boileau, notre modèle le plus soutenu. […] Cette construction, qui nous paraîtrait trop dure, était reçue au dix-septième siècle ; Boileau a dit de même dans le Lutrin : La déesse en entrant, qui voit la nappe mise, Admire un si bel ordre… 2. […] Boileau a dit, en traduisant quelques vers d’Euripide (Oreste, 255 et suiv.), imités par Racine : Ils viennent (ces spectres), je les vois ; mon supplice s’apprête !
(Boileau). […] (Boileau).
. — Signalons enfin les beaux vers par lesquels Boileau honora dans sa VIIe épître la mémoire de cet homme illustre, tout en s’efforçant de soutenir le courage de Racine contre les dégoûts dont l’abreuvaient ses ennemis. […] Mais l’usage a, depuis lors, complétement admis la règle ainsi formulée par Boileau : Gardez qu’une voyelle à courir trop hâtée Ne soit en son chemin par une autre heurtée, 8.
Il fit pour la langue française ce que son maître Henri IV avait fait pour la France1 En lisant ses prédécesseurs, on comprend le soupir d’aise qui échappe à Boileau dans ce vers : Enfin, Malherbe vint… S’il eut peu de sensibilité, d’imagination et d’invention, s’il ne craignit pas d’être appelé le tyran des mots et des syllabes, il façonna l’instrument et le moule de la poésie. […] Rappelons ces vers de Boileau : il faut les savoir par cœur : Enfin, Malherbe vint ; et le premier, en France, Fit sentir dans les vers une juste cadence, D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, Et réduisit la muse aux règles du devoir, Par ce sage écrivain la langue réparée, N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée ; Les stances avec grâce apprirent à tomber, Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber.
Il savait distinguer l’esprit du génie : il donnait à Quinault le sujet de ses opéras ; il dirigeait les peintures de Lebrun ; il soutenait Boileau, Racine et Molière contre leurs ennemis ; il encourageait les arts utiles comme les beaux-arts, et toujours en connaissance de cause ; il prêtait de l’argent à Van Robais350 pour établir ses manufactures ; il avançait des millions à la compagnie des Indes, qu’il avait formée ; il donnait des pensions aux savants et aux braves officiers.
Boileau en a donné une excellente traduction. […] Les meilleurs modèles de critique que je connaisse en notre langue, sont les Sentiments de l’Académie sur le Cid, tragédie de Corneille, et les Réflexions critiques sur le génie d’Horace, de Despréaux et de Rousseau, par le duc de N***.
L’art poétique de Boileau efface ceux d’Horace et de Va. […] Le siècle de Boileau vit éclore parmi nous trois poëmes latins. […] Sanlecque, contemporain de Boileau, nous a laissé un poëme français sur le. […] Je ne ferai qu’ajouter ici la description que Boileau a faite, après Horace, des trois âges de l’homme. […] Ils pensent avec Boileau que Le comique, ennemi des soupirs et des pleurs, N’admet point dans ses vers de tragiques douleurs2.
Boileau. […] Boileau.
(Boileau.) […] Je n’accuse Boileau que sous toutes réserves : car je crains que cet auteur immortel n’ait voulu donner ici, comme il l’a fait en cent endroits, le précepte et l’exemple. […] Dans le vers de Boileau, le chagrin est dans l’âme de celui qui est à cheval, et ce rapport est facile à saisir. […] Quand Boileau dit : Pradon, comme un soleil, en nos ans a paru. […] Soyez riche et pompeux dans vos descriptions, a dit Boileau, et cette recommandation indique de quel genre d’écrire la pompe s’accommode le mieux.
De nos jours, Alfred de Vigny demande que la tragédie soit un tableau large de la vie, au lieu du tableau resserré de la catastrophe d’une intrigue ; et Alexandre Dumas réclame liberté entière pour tout, depuis les douze heures de Boileau, jusqu’aux trente ans de Shakespeare. […] Toutefois, il faut bien se garder de l’imiter dans ces lieux communs de morale lubrique que Boileau lui a justement reprochés. […] Il a été condamné par Boileau en ces termes : Le comique ennemi des soupirs et des pleurs, N’admet point dans ses vers de tragiques douleurs. […] Boileau regrettait de voir un homme de génie comme Molière descendre à un genre aussi bas : Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe, Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope. […] Boileau a fait la parodie d’une scène du Cid, sous le titre de Chapelain décoiffé.
C’est, dit Boileau, une bergère qui se couronne de fleurs et qui n’a jamais connu les diamants. […] Le style classique d’abord est celui dont nous nous sommes occupés jusqu’ici dans ces leçons ; c’est celui des écrivains qui, dans tous les genres de compositions, ont été regardés de tout temps comme dignes d’être proposés pour modèles à l’admiration de tous les peuples, et à l’imitation des écrivains qui se sont succédé dans chaque siècle : c’est Je style dans lequel ont brillé, chez les Grecs : Homère, Sophocle, Euripide, Platon et Démosthène ; chez les Latins : César, Cicéron, Horace et Tite-Live ; chez les Italiens : Dante, Arioste et le Tasse ; chez les Français : Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Boileau, Pascal, Bossuet, Fléchier, Fénelon, Bourdaloue, Massillon, La Bruyère et Buffon. […] Ces nouveaux partisans ont pré tendu, contrairement à Boileau (Voir, vol. II, nº 107, l’opinion de Boileau sur l’emploi du merveilleux dans la poésie) que les dieux de l’antique Olympe étaient bien caducs que l’Aurore n’avait plus son teint ni ses doigts de roses que Flore était bien fanée, qu’il y avait trop longtemps que Vénus était la déesse de la beauté, et que son fils enfant depuis l’âge d’or, pouvait bien avoir aujourd’hui la barbe un peu blanche ; que le merveilleux du christianisme serait bien capable à notre époque d’effrayer le dogme. […] La querelle des anciens et des modernes était déjà engagée depuis longtemps, et Boileau, ce rigide législateur de la beauté de la langue française, gardait toujours le silence, lorsque le prince de Conti, un des hommes les plus spirituels de l’époque, lui dit : « J’irai à l’Académie et j’écrirai à votre place : Tu dors, Brutus.