Ainsi, Malherbe employait des années entières à la composition et à la correction d’un morceau lyrique ; La Fontaine, dont le style paraît si facile, ne composait en prose ou en vers qu’avec beaucoup de travail, puisque telle de ses fables n’a que deux vers communs avec la première ébauche ; Bossuet corrigeait avec beaucoup de soin ses ouvrages, comme le prouvent ses manuscrits ; Buffon attendait des heures entières le mot nécessaire à sa période et à sa pensée, et il fit recopier onze fois un de ses ouvrages en y introduisant toujours d’heureux changements. […] Le conte en prose n’est autre chose qu’une narration badine.
Toutes les nuances s’accordent avec un art prodigieux dans cette épopée en prose, dont le style nous enchante par sa dextérité, sa souplesse et son élégante harmonie.
Sa prose, quoique plus sérieuse, a un ton comique qui rend cette lettre agréable et piquante. […] Prose et vers sont aussi mauvais que nos raisonnements. […] C’est bien assez de vous te donner en prose poétique. […] Les plus beaux vers sont ceux qui ressemblent à de la prose élégante, en retranchant la rime, quelques épithètes, et certains tours particuliers à la poésie.
Ces différents moyens répandent du charme dans la narration et sont recherchés par les écrivains en prose et en vers.
Citons parmi les hymnes, proses liturgiques et cantiques : Salvete, flores martyrum, avec la traduction de Corneille ; les hymnes du lundi à Matines et à Landes, traduites par Racine ; Sacris Solemniis, Lauda Sion, Victimes paschali, Dies iræ, avec la traduction de M. de Marcellus ; la prose et l’hymne des complies du Sacré-Cœur.
Fléchier, faisant la topographie d’un hôpital, dans l’Oraison funèbre de Marie-Thérèse, n’emploie que des expressions convenables pour exprimer des choses dégoûtantes : Voyons-la dans ces hôpitaux… Il est évident que le style poétique demande, comme nous le verrons dans le traité de la Poésie, plus de soin sous le rapport de la convenance et de la dignité, que n’en réclament les ouvrages en prose.
Ces mots portent avec eux leur définition, et les exemples s’offrent d’eux-mêmes, tant en vers qu’en prose. […] « Moi seul, donnant l’exemple aux timides Hébreux, « Déserteur de leur loi, j’approuvai l’entreprise, « Et par là de Baal méritai la prêtrise ; « Par là je me rendis terrible à mon rival ; « Je ceignis la tiare, et marchai son égal. » En prose la description du cheval, par Buffon, doit surtout être remarquée : « La plus noble conquête que l’homme ait jamais faite, est celle de ce fier et fougueux animal qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats : aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l’affronte ; il se fait au bruit des armes, il l’aime, il le cherche, et s’anime de la même ardeur ; il partage aussi ses plaisirs ; à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle ; mais docile autant que courageux, il ne se laisse point emporter à son feu, il sait réprimer ses mouvements ; non seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs, et obéissant toujours aux impressions qu’il en reçoit, il se précipite, se modère ou s’arrête, et n’agit que pour y satisfaire.
Elle est familière à la poésie ; la prose s’en accommode beaucoup moins. […] Si l’on veut maintenant examiner le fond de cette strophe on reconnaîtra que mise en prose très simple elle offrirait un exemple admirable du sublime : Dieu parle ; le chaos se dissipe, les cieux sont créés ; d’un souffle il sème les étoiles ; il commande et les mers se renferment dans leurs limites.
Les règles qu’elle peut avoir, comme lettre en vers, se réduisent à ceci : qu’elle ait au moins un degré ou de force ou d’élégance au-dessus de celui qu’elle aurait eu si on ne l’eût mise qu’en prose.
La nouvelle école, faussa, tortura notre belle prose et notre poésie, et en fit un indigne jargon ; ces téméraires écrivains rivalisèrent de zèle et nous donnèrent une nouvelle langue, une langue bâtarde aux dépens de la noble langue française.
Dans Démosthène et dans Mirabeau, esprits pratiques, hommes d’action, le tissu transparent de la forme laisse voir toutes les saillies des muscles : Cicéron et Massillon, plus artistes, sont plus abondants : sous l’ampleur de leur prose on suit plutôt la marche du raisonnement qu’on n’en devine les contours.
Léon Feugère, complété d’abord par les introductions ajoutées aux deux volumes de prose et de vers, et ensuite par ce nouveau recueil, offre maintenant un ensemble complet.
On dira, sans doute, qu’il ne faut pas juger les poètes si sévèrement, et que la poésie a des licences qui l’affranchissent des entraves de la prose.