Il est sûr de faire fortune : il est bête. » Il y a assurément ici un peu d’exagération : les bêtes et les sots ne sont pas plus sûrs de faire fortune dans le monde que les gens d’esprit. […] (Des biens de fortune.) […] En l’État où je suis, tous les princes du monde jouent des comédies pour me faire rire ; toutes les richesses de la nature sont à moi, depuis le ciel jusqu’à l’eau des rivières, et j’obtiens aisément de la modération de mon esprit ce que je ne puis avoir de la libéralité de la fortune. » 1.
Il ôte aux uns la volonté, aux autres les moyens de nuire ; et, profitant de toutes ces conjonctures importantes, qui préparent les grands et glorieux événements, il ne laisse rien à la fortune de ce que le conseil et la prudence humaine lui peuvent ôter. […] Je me trouble, messieurs ; Turenne meurt : tout se confond, la fortune chancelle, la victoire se lasse, la paix s’éloigne, les bonnes intentions des alliés se ralentissent, le courage des troupes est abattu par la douleur et ranimé par la vengeance ; tout le camp demeure immobile.
montaigne ami des humbles Si j’avois des enfants masles, je leur desirasse1 volontiers ma fortune. […] Ne prenez jamais, et donnez encores moins à vos femmes, la charge de leur nourriture ; laissez les former à la fortune, soubs des loix populaires et naturelles ; laissez à la coustume de les dresser à la frugalité et à l’austerité : qu’ils ayent plustost à descendre de l’aspreté, qu’à monter vers elle. Son humeur visoit encores à une aultre fin : de me rallier avecques le peuple et cette condition d’hommes qui a besoing de nostre ayde ; et estimoit que je feusse tenu de regarder plustost vers celuy qui me tend les bras que vers celuy qui me tourne le dos : et feut cette raison pour quoy5 aussi il me donna à tenir sur les fonts6 à des personnes de la plus abjecte fortune, pour m’y obliger et attacher.
L’homme en sa propre force a mis sa confiance : Ivre de ses grandeurs et de son opulence, L’éclat de sa fortune enfle sa vanité. […] Des plantes, des métaux tu connais la vertu, Des différents pays les mœurs, la politique, La cause des frimas, de la fortune, du vent, Des astres le pouvoir suprême ; Et sur tant de choses savant, Tu ne te connais pas toi-même. […] N’allait-elle pas gagner tous les cœurs, c’est-à-dire la seule chose qu’ont à gagner ceux, à qui la naissance et la fortune semblent tout donner ? […] Mais ici le lieu même où était l’impie dans sa plus haute fortune, ne reste pas.
L’énallage se rencontre en français dans certaines locutions familières : Si tu parles, tu es mort ; et dans un ton plus élevé, quand pour donner à la phrase du mouvement et de la vivacité, on substitue : 1° Le présent au passé : « Turenne meurt, tout se confond, la fortune chancelle, la victoire se lasse… etc. ; » 2° Le présent au futur ; dans Boileau : … Dès que nous l’aurons prise, Il ne faut qu’un bon vent et Carthage est conquise ; 3° Le passé au présent ou au futur ; dans Racine : Bientôt ton juste arrêt te sera prononcé ; Tremble ! […] maintenant chassée, poursuivie par ses ennemis implacables, qui avaient eu l’audace de lui faire son procès, tantôt sauvée, tantôt presque prise, changeant de fortune à chaque quart d’heure, n’ayant pour elle que Dieu et son courage inébranlable, elle avait ni assez de vents, ni assez de voiles pour favoriser sa fuite précipitée. » Le rapprochement de ces constructions diverses, suivant le différent génie des langues et des écrivains, n’est pas moins intéressant pour le jeune rhétoricien que la comparaison des idées et des expressions que nous avons déjà recommandée. […] Honnêtes gens, bien entendu, est pris ici dans le sens du xviiie siècle, les personnes que la condition, la fortune on le mérite élèvent au-dessus du vulgaire, et qui ont l’esprit cultivé par la lecture, par la réflexion et par le commerce avec les personnes qui ont les mêmes avantages.
Trahi par un fils apostat qu’il maudit, il assista de loin à la chute de la Rochelle, et mourut sur le seuil d’un âge nouveau, qui réservait une si haute fortune à sa petite fille, Mme de Maintenon. […] Matamore et poltron, fanfaron d’honneur, de courage, de galanterie et de noblesse, toujours hué et toujours désappointé, le baron de Fœneste est un de ces Gascons éventés qui sont venus chercher fortune au Louvre.
C’est assez que cinq ans ton audace effrontée, Sur des ailes de cire aux étoiles montée, Princes et rois ait osé défier : La Fortune t’appelle au rang de ses victimes, Et le ciel, accusé de supporter tes crimes, Est résolu de se justifier1. […] Là se perdent ces noms de maîtres de la terre, D’arbitres de la paix, de foudres de la guerre ; Comme ils n’ont plus de sceptre, ils n’ont plus de flatteurs ; Et tombent avec eux d’une chute commune3 Tous ceux que la fortune Faisait leurs serviteurs4 1.
Ainsi, du mot fors, fortune, hasard, sont dérivés fortuna, fortune, sort, destin ; fortunatus, fortuné ; fortuitus, fortuit ; fortuitò, fortuitement ; forsan, forsitan, fortassè, fortè, peut-être, par hasard. — Du mot animus, esprit, sont dérivés animosus, courageux ; animositas, animosité ; animare, souffler, animer, etc. — Du mot pars, partie, sont dérivés partiri, partager ; partitio, partition, action de partager ; partitor, qui partage ; partim, en partie ; particula, petite partie, parcelle ; particularis, particulier ; particulatim, par parties. — De l’oriental hur, feu, s’est formé le mot grec πυρ ; d’où, par le changement de p en f, cette famille de mots latins : furor, fureur ; furiosus, furieux ; furens, violent, impétueux ; furibundus, furibond, transporté de fureur, etc.
Après que ma fortune a soûlé votre envie, Vous plaignez aisément mon entrée à la vie. […] Il fut plus facile à Regnard qu’à tout autre de peindre d’après nature une passion dont il avait été lui-même si longtemps possédé et à laquelle il devait la plus grande partie de sa fortune. […] Les Épîtres, bien supérieures aux Satires, firent auprès de Louis XIV la fortune de Boileau. […] Il est vêtu simplement, d’une manière plus conforme à sa fortune qu’aux discours de son fils. […] et, selon toute apparence, Cet homme n’a pas fait fortune à l’intendance.
Qu’un orateur, vieilli au métier, ait consacré à parler de son art les loisirs que lui laissaient la tribune et le barreau, c’est déjà pour nous une rare fortune : mais que cet orateur se soit trouvé être en même temps un philosophe, un poëte, un érudit, un des plus grands écrivains de son siècle, c’est un concours de circonstances heureuses qui ne s’est reproduit, que je sache, à aucune autre époque, et qui donne à ses Traités un prix inestimable. […] De l’entrée en matière peut dépendre la fortune d’une cause, comme d’une première chute ou d’un premier succès dépend quelquefois la destinée d’un homme. […] La situation est critique : la France, menacée d’une double invasion au nord, a besoin de tous ses soldats ; livrer bataille en Piémont, c’est jouer sur un coup de dé la fortune du royaume. […] Et si le récit d’une injustice qui ne vous touche en rien vous transporte déjà d’indignation, comment, je vous le demande, pourriez-vous rester froid en défendant la cause d’un client qui vous confie sa fortune ou sa vie, surtout si cette cause vous paraît bonne et si votre conscience vous dit que la perdre ce serait laisser égorger le bon droit par l’iniquité ? […] Au barreau, où c’est la fortune qui noue l’intrigue et où l’orateur reçoit de sa main les rôles tout faits, le seul moyen de frapper fort c’est de frapper juste.
Quand le commerce est en peu de mains, on voit quelques fortunes prodigieuses et beaucoup de misère ; lorsqu’enfin il est plus étendu, l’opulence est générale, les grandes fortunes rares.
D’autre part, la jeunesse voit la fortune des révolutions de toute nature élever parfois d’un tour de roue des héros imberbes, qui ne semblaient, ni par le génie, ni par le travail, mériter mieux que tant d’autres ses faveurs ; chacun dès lors réclame aussi pour soi les bénéfices de cet heureux hasard, chacun se croit aussi le droit d’être porté au faite sans peine et sans effort, et de ceux qui ne peuvent dès les premiers pas gravir la montée ou percer la foule, les uns se découragent et s’asseyent nonchalamment aux bords de la route, les autres maudissent l’humanité et se jettent dans le désespoir, les derniers enfin, médiocrités vaniteuses, se consolent en appelant leur siècle ingrat et leur génie incompris. […] Je ne vous dis pas assurément de dédaigner les avantages matériels et positifs du talent ; la fortune et les honneurs qu’atteignent si souvent l’intrigue, le savoir-faire, la médiocrité étroite et tenace, doivent à plus forte raison être le prix de l’intelligence loyale et laborieuse.
Je lui devins plus cher de jour en jour ; et j’appris enfin de don Fernand, qui le venait voir très-souvent, que j’en étais aimé de manière que je pouvais compter ma fortune faite. […] Si, par malheur pour toi, il me revenait qu’on dît dans la ville que mes discours n’ont plus leur force ordinaire, et que je devrais me reposer, je te le déclare tout net, tu perdrais avec mon amitié la fortune que je t’ai promise.