des bienfaits de Dieu je perdrais la mémoire ! […] Sa mémoire est fidèle, et, dans tout ce qu’il dit, De vous et de Joad je reconnais l’esprit. […] Du sang dont vous sortez rappelez la mémoire ; Et ne préférez point à la solide gloire Des honneurs dont César prétend vous revêtir, La gloire d’un refus sujet au repentir. […] Il répète les maximes de Joad : il les a retenues dans la mémoire du cœur. […] L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux : Soit que, déshérité de son antique gloire, De ses destins perdus il garde la mémoire ; Soit que de ses désirs l’immense profondeur Lui présage de loin sa future grandeur.
Je visitai d’abord les peuples qui ne sont plus : je m’en allai m’asseoir sur les débris de Rome et de la Grèce, pays de forte et d’ingénieuse mémoire, où les palais sont ensevelis dans la poudre, et les mausolées des rois cachés sous des ronces. […] Cette correspondance établie par des sons religieux entre les deux plus grands monuments de Rome païenne et de Rome chrétienne me causa une vive émotion : je songeai que l’édifice moderne tomberait comme l’édifice antique ; je songeai que les monuments se succèdent comme les hommes qui les ont élevés ; je rappelai dans ma mémoire que ces mêmes Juifs, qui, dans leur première captivité, travaillaient aux pyramides de l’Égypte et aux murailles de Babylone, avaient, dans leur dernière dispersion, bâti cet énorme amphithéâtre. […] On m’a montré à Portici un morceau de cendre du Vésuve, friable au toucher, et qui conserve l’empreinte, chaque jour plus effacée, du sein et du bras d’une jeune femme ensevelie sous les ruines de Pompéia : c’est une image assez juste, bien qu’elle ne soit pas encore assez vaine, de la trace que notre mémoire laisse dans le cœur des hommes, cendre et poussière 3. […] J’aime à fouler aux pieds tes monuments épars, J’aime à sentir le temps, plus fort que ta mémoire, Effacer pas à pas les traces de ta gloire ! […] Dans ses notes de voyage à Rome, Montaigne disait : « Qu’on ne voyait rien de Rome que le ciel sous lequel elle avait été assise et le plan de son gîte ; que cette science qu’il en avait était une science abstraite et contemplative, de laquelle il n’y avait rien qui tombât sous les sens ; que ceux qui disaient qu’on y voyait au moins les ruines de Rome en disaient trop ; car les ruines d’une si épouvantable machine rapporteraient plus d’honneur et de révérence à sa mémoire : ce n’était rien que son sépulcre.
Jugement sur quelques académiciens du dix-septième siècle Rappelez en votre mémoire ce grand et premier concile où les Pères qui le composaient étaient remarquables chacun par quelques membres mutilés, ou par les cicatrices qui leur étaient restées des fureurs de la persécution ; ils semblaient tenir de leurs plaies le droit de s’asseoir dans cette assemblée générale de toute l’Église : de même il n’y eut aucun de vos illustres prédécesseurs qu’on ne s’empressât de voir, qu’on ne montrât dans les places, qu’on ne désignât par quelque ouvrage fameux qui lui avait fait un grand nom, et qui lui donnait rang dans cette Académie naissante qu’ils avaient comme fondée. […] Vous enfilez quelques mémoires, vous collationnez un registre, vous signez, vous paraphez ; je n’avais qu’une chose à vous demander, et vous n’aviez qu’une chose à me répondre : oui ou non. […] C’est un homme qui est de mise un quart d’heure de suite, qui le moment d’après baisse, dégénère, perd le peu de lustre qu’un peu de mémoire lui donnait, et montre la corde. […] On lit, dans les Mémoires historiques de Louis XIV : « La moindre marque de mépris qu’un prince donne d’un particulier fait au cœur de cet homme une plaie incurable. » Bossuet exprime la même idée : « Que votre puissance ne vous emporte pas à des moqueries insolentes. […] ne vous reposez point sur vos descendants pour le soin de votre mémoire et pour la durée de votre nom : les titres passent, la faveur s’évanouit, les dignités se perdent, les richesses se dissipent, et le merite dégénère.
La seconde sorte1 de critique est à la première ce que les mémoires sont à l’histoire. […] Combien de termes qui n’appartiennent pas à la langue du sujet, et qui s’y introduisent par le relâchement de l’attention, par la mémoire, par l’imitation ! […] À qui n’en vient-il pas dans l’esprit par cette porte banale de la mémoire, toujours ouverte à tout ce qui est imitation et mode ? […] Il faut que l’étude les place dans la mémoire de l’écrivain, qui les y garde, comme de l’argent qui dort, jusqu’au jour où l’inspiration les en tire, les anime de sa propre vie, en sorte que, tout en ayant le même sens, ils lui appartiennent néanmoins par l’emploi qu’il en fait.
Il avait l’esprit sûr et judicieux dans sa sphère, mais sans finesse et sans profondeur ; le goût des détails, une assez longue expérience des choses du monde, la mémoire prompte, fidèle, et un coup d’œil assez vif, mais au delà duquel il ne voyait plus. […] Sa pénétration et son goût, joints au bonheur de sa mémoire, se portaient avec une indifférente facilité sur toutes choses ; mais il n’avait point cette véritable étendue de génie qui, saisissant les objets avec leurs rapports, les embrasse tout entiers et réunis ; et c’est ainsi qu’il avait des connaissances presque universelles, sans qu’on pût dire qu’il eût l’esprit vaste, contrariété assez ordinaire. […] Rousseau et des Mémoires de madame Roland : c’est le même enthousiasme.
Dans les recueils destinés aux classes de grammaire et aux classes supérieures des lettres, nous avons pensé qu’il convenait d’adopter, pour le classement des auteurs, l’ordre chronologique, comme favorable à l’exercice de la mémoire et susceptible d’ajouter à l’utilité de la lecture, en plaçant sous les regards, avec la marche insensible de notre idiome parvenu à sa maturité, le magnifique développement de notre littérature arrivée à son plus grand éclat. […] Parmi nos textes, il en est qui pourront être uniquement la matière d’explications et d’analyses, tandis que d’autres, et les plus parfaits, serviront en outre à la culture et à l’ornement de la mémoire.
Son encre noircit la mémoire Des monarques, de qui la gloire Est vivante après le trépas ; Et s’il n’a pas contre Dieu même Vomi quelque horrible blasphème. […] On appelle Inscription, des caractères gravés sur un édifice, un monument, au bas d’une statue, d’un portrait, etc. ; soit pour transmettre à la postérité la mémoire de quelque événement, soit pour faire connaître aux passants un fait, une chose, une personne. […] L’inscription qu’on lit au bas du portrait de la comtesse de la Suze, est la meilleure en ce genre qui s’offre à ma mémoire. […] Voyez le mot Mémoire (Déesse de), dans les notes, à la fin de ce Volume.
(Mémoires de Napoléon Ier, dictés au général Gourgaud.) […] Rappelons la chanson de Béranger, le Vieux Drapeau, dont voici les premières strophes (édition Garnier frères, p. 284) : De mes vieux compagnons de gloire Je viens de me voir entouré ; Nos souvenirs m’ont enivré, Le vin m’a rendu la mémoire. […] Le propre du militaire est de tout vouloir despotiquement : celui de l’homme civil est de tout soumettre à la discussion, à la vérité, à la raison. » Citons en terminant cette page de M. de Salvandy : « Napoléon Bonaparte, le héros des temps modernes, héros dans le sens antique du mot, héros à la façon de ces personnages épiques, demi-dieux de la terre, qui la remplissent de leurs exploits, laissent un souvenir ineffaçable dans la mémoire des hommes, prennent place dans toutes les traditions des peuples, grandissent de siècle en siècle, grâce aux actions surhumaines dont la fable grossit leur histoire, et finissent par laisser l’érudit incertain si ces Hercule, ces Sésostris, ces Romulus, dont le nom et les monuments sont partout, ont jamais vécu. […] Les partis même qui l’ont combattu se disputant l’héritage de sa mémoire comme un trophée, comme une arme, comme un bouclier, sembleront une imitation des chefs de la Grèce se disputant les armes d’Achille.
Elles sont dans toutes les mémoires, ou plutôt dans tous les cœurs. […] ces chères paroles, je les ai gardées dans ma mémoire, mais toi tu les as oubliées, et tu veux égorger ton enfant… Allons, mon père, tourne la tête vers moi, donne-moi un regard, un baiser ; j’emporterai au moins cela de toi en descendant dans la tombe, si tu ne veux pas te laisser attendrir. […] Mais si cette sécurité est favorable à sa mémoire, elle ne l’est pas autant à son inspiration. […] On peut dire que les pages qu’il nous a laissées sur ce sujet sont les mémoires de l’éloquence.
» Un beau modèle de péroraison tirée de la personne du juge, c’est celle du Mémoire de Pélisson en faveur de Fouquet, le seul morceau peut-être réellement éloquent qu’ait produit le genre judiciaire en France au xviie siècle. […] Courbé, comme je le suis, par la main de la douleur, je suis peu capable d’assister mon pays dans cette périlleuse conjoncture ; mais, milords, tant que je garderai le sentiment et la mémoire, je ne consentirai jamais à priver la royale postérité de la maison de Brunswick et les descendants de la princesse Sophie de leur plus bel héritage. » N’est-ce pas dans l’intervention personnelle de l’orateur que consiste en grande partie le triomphe de Bossuet, dans la péroraison de l’Oraison funèbre de Condé, « lorsqu’après avoir mis Coudé au cercueil, comme parle Chateaubriand, il appelle les peuples, les princes, les prélats, les guerriers au catafalque du héros ; lorsqu’en s’avançant lui-même avec ses cheveux blancs il fait entendre les accents du cygne, montre Bossuet un pied dans la tombe, et le siècle de Louis, dont il a l’air de faire les funérailles, prêt à s’abîmer dans l’éternité ? […] J’admets dans l’histoire un épilogue qui dégage des événements passés les leçons qu’ils donnent ou les résultats qu’ils promettent à l’avenir ; dans les œuvres philosophiques ou didactiques, dans certains discours prononcés au barreau ou à la tribune, un sommaire, une récapitulation, qui rappelle avec énergie et variété de forme tout ce qui a été dit, pour le graver plus avant dans la mémoire et en faire mieux saisir l’ensemble par la suppression des développements.
Saint-Simon 1675-1755 [Notice] Fils d’un ancien favori de Louis XIII, qui prétendait descendre de Charlemagne, il fut tourmenté de bonne heure par le démon de l’histoire, et commença ses Mémoires en juillet 1694, à l’armée, à l’âge de dix-neuf ans. […] Elle a laissé d’intéressants mémoires. […] Ordinairement ce qu’il dit échappe à la mémoire, mais n’échappe pas au souvenir ; je veux dire qu’on ne se rappelle pas ses phrases, mais qu’on se souvient du plaisir qu’elles ont fait.
Elle se trouve confirmée par des rapprochements qui avaient échappé jusqu’ici à tous les critiques, dans un important mémoire de M. […] Cette correction dans la représentation de l’objet inanimé, est l’esprit des arts de notre temps : elle annonce la décadence de la haute poésie et du vrai drame, etc. » (Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, IVe vol., 1802.)