Mais quel sentiment l’a poussé à cet acte hardi ? Le plus noble, le plus généreux de tous les sentiments, l’amitié.
Chez lui, tout est forme et couleur ; le monde moral et le monde physique se confondent ; les sentiments sont des sensations, les idées ont des contours, l’abstrait prend un corps, et l’invisible même veut qu’on le voie. […] Notre siècle lui doit toute une renaissance poétique. — Nul artiste n’a possédé plus souverainement la science du rhythme et du nombre, nul ne laissera plus de vers souples, nerveux, amples, hospitaliers à toutes les idées, à tous les sentiments, et capables d’exprimer tous les mouvements de l’âme humaine, de peindre toutes les couleurs, ou toutes les formes de la nature2. […] Le même sentiment a été exprimé par Xavier de Maistre, pleurant un ami.
Mais les écrivains doués d’une oreille sensible, et d’un goût sûr et délicat, ont su trouver au besoin, dans cette même langue, si ingrate et si stérile pour les autres, des nombres analogues à la pensée, au sentiment, au mouvement de l’âme qu’ils voulaient exprimer. […] « L’œil reçoit et réfléchit en même temps la lumière de la pensée et la chaleur du sentiment ; c’est le sens de l’esprit, et la chaleur de l’intelligence ».
Nous pouvons dire du sujet ce que la Bruyère dit de l’ouvrage : « Quand une lecture vous élève l’esprit et qu’elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger de l’ouvrage : il est bon et fait de main d’ouvrier. » Le mot de la Bruyère explique ce que j’entends par moralité. […] Un homme, un pays, un fait sont inconnus de tous, excepté de l’auteur et de sa coterie ; ou encore l’auteur se prend lui-même pour sujet, dans des élégies, des poésies intimes, des autobiographies, des mémoires signés ou anonymes ; ou enfin son livre n’éveille qu’un sentiment de curiosité, sans attacher par l’importance des choses et des personnes.
Voyant le public blasé sur les jouissances pures et délicates, ils cherchent à réveiller cette sensibilité émoussée en recourant au laid et en forçant la nature ; ils jettent en pâture au public des sentiments raffinés, des situations fausses, extravagantes, invraisemblables, des passions exagérées. […] C’est surtout des sentiments du cœur qu’il tire ses plus grandes ressources.
C’est en conversant, de Paris ou de la Bretagne, avec ses amis absents et surtout avec sa fille, c’est en les entretenant des nouvelles de la cour élégante de Louis XIV, ou des sentiments dont son âme de mère était remplie, qu’elle a rencontré la gloire. […] La Bretagne et la Provence ne sont pas compatibles ; c’est une chose étrange que les grands voyages : si l’on était toujours dans le sentiment qu’on a quand on arrive, on ne sortirait jamais du lieu où l’on est ; mais la Providence fait qu’on oublie.
Ne pouvant s’autoriser encore contre l’usage, il fit connaître à ses amis qu’il allait à l’armée faire sa cour, qu’il lui coûtait moins d’exposer sa vie que de dissimuler ses sentiments, et qu’il n’achèterait jamais ni de faveur, ni de fortune, aux dépens de sa probité. […] Mascaron a bien décrit aussi, dans son oraison funèbre, cet hommage spontané de la douleur publique : « On vit, dit-il, dans les villes par où son corps a passé les mêmes sentiments que l’on avait vus autrefois dans l’empire romain, lorsque les cendres de Germanicus furent portées de la Syrie au tombeau des Césars… » (Tacite, Annales, III, 4.)
Le sentiment est aussi odieux que les vers sont beaux. […] La poésie du roi-prophète, amollie par Desportes, délayée par Godeau, noyée dans la diffusion par Racan, se retrouve ici avec l’éclat des images et la profondeur du sentiment religieux.
Sans doute Cicéron exagérait ses propres sentiments ; mais entraîné par l’admiration réelle que lui inspirent les exploits de César, enflammé par l’idée d’exciter cette grande âme à s’élever encore au-dessus de tant de gloire en pardonnant à Marcellus, il s’échauffe, il s’exalte, et passe les bornes, sans s’en apercevoir43. […] Rien de plus ordinaire aux poètes, que de donner du sentiment aux arbres, aux fleuves, aux animaux, etc. […] La poésie ne se borne pas à donner aux plantes, aux animaux, le langage et les affections des hommes ; elle prête du sentiment aux choses même inanimées : Ici, la terre se réjouit de se voir cultivée par des mains victorieuses, et fendue avec un soc chargé de lauriers. […] Quel charme ajoute à cette belle description le sentiment si heureusement prêté à la terre, aux oiseaux, aux fleurs, etc., qui partagent le bonheur d’Adam ! […] Milton imite et surpasse ici Homère lui-même, qui prête ce même sentiment à la terre, lorsque le maître des dieux presse son auguste épouse entre ses bras : Τοίσι δ᾽ ὑπὸ χθὼν δῖα φύεν νεοθηλέα ποίην, Λωτόν θ᾽ ἑρσήεντα, ἰδὲ κρόκον, ἠδ᾽ ὑάκινθον Πυκνὸν καὶ μαλακόν, ὃς ἀπὸ χθονὸς ὑψόσ᾽ ἔεργε, etc.
Comme les poètes, dans leurs ouvrages, se proposent principalement de plaire, de toucher, d’élever l’âme et de lui inspirer de grands sentiments, on leur permet des pensées plus nobles et plus hardies, des expressions plus magnifiques et plus animées, des tours plus nombreux et plus variés, des métaphores plus riches et plus brillantes, des figures plus vives et plus pompeuses, une harmonie plus agréable et plus séduisante, des épithètes plus libres et plus éclatantes. […] Ainsi donc, pour être véritablement poète, il ne suffit pas d’inventer, c’est-à-dire de trouver les objets qui existent et qui peuvent exister et de présenter des actions, des images, des sentiments réels, possibles et vraisemblables ; il faut encore rendre ces objets aussi sensibles à l’esprit et au cœur, que l’est aux yeux du corps un objet représenté sur la toile. […] Mais, quelles que soient ces modifications, elle implique toujours un élément harmonique plus ou moins apparent, un choix, une combinaison, un enchaînement de sons expressifs, avec un rythme ou une suite de rythmes analogues à la pensée, au sentiment que la parole exprime. […] En effet, la rime est tout simplement une harmonie, que le sentiment musical, inné chez tous les peuples, a inventée parmi les nations modernes, pour remplacer la merveilleuse variété et la mélodieuse cadence que le mélange des syllabes longues et brèves donnait aux rhythmes poétiques des anciens. […] On se sert de ces rimes dans des pièces légères, pour rendre la narration plus rapide, et pour exprimer avec plus de force les sentiments impétueux.
Au sentiment de notre grandeur et de notre misère, il associe l’accent d’un cœur qui a souffert. […] Les Pensées ne sont que des fragments du grand ouvrage sur lequel il consuma les dernières années de sa vie ; mais ces fragments présentent quelquefois une beauté si accomplie, qu’on ne sait en vérité qu’y admirer davantage, ou la grandeur et la vigueur des sentiments et des idées, ou la délicatesse et la profondeur de l’art. » 1.