Heureux encore quand une expérience de soixante-quatre ans et demi ne lui aurait pas appris à parler, que cet événement lui apprît au moins à se taire ! […] On me dit que, pendant ma retraite économique, il s’est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui s’étend même à celle de la presse ; et que pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. […] Qu’il s’avise de parler latin, j’y suis grec1 ; je l’extermine. […] Puis, quand ils sont bien animés, j’écris sous leur dictée rapide, sûr qu’ils ne me tromperont pas, que je reconnaîtrai Bazile, lequel n’a pas l’esprit de Figaro, qui n’a pas le ton noble du comte, qui n’a pas la sensibilité de la comtesse, qui n’a pas la gaieté de Suzanne, qui n’a pas l’espièglerie du page, et surtout aucun d’eux la sublimité de Brid’oison : chacun y parle son langage. […] que le Dieu du naturel les préserve d’en parler d’autre !
Si les personnages sont historiques, ils doivent agir et parler d’après leur caractère connu et d’après les mœurs de leur époque ; rien ne serait plus choquant que de braver à ce sujet l’opinion reçue et de donner, par exemple, des idées, des opinions modernes à des héros anciens. […] Ils parlent, ils agissent ; ils se peignent par leurs discours et par leurs actions, et tous concourent, selon leur importance, à la marche du poème ; la variété se trouve ainsi confondue dans l’unité. […] Le récit épique se fait de deux manières : ou le poète parle en son nom, comme dans l’Iliade et la Jérusalem délivrée : c’est la fable simple ; ou le poète se jette tout d’abord au milieu de l’action, et fait ensuite raconter par le héros les faits antérieurs, comme dans l’Odyssée et l’Énéide : c’est la fable composée. […] Outre l’épopée proprement dite, dont nous venons de parler, nous dirons quelques mots des épopées secondaires, telles que le poème héroïque, le poème héroï-comique, le poème badin.
Il y a deux formes générales du langage : le discours libre, ou la prose, et le discours mesuré, ou les vers, dont nous parlerons plus tard. […] Chénier n’a pas été moins sévère : « Nous ne parlerons point, dit-il, des poèmes en prose, quoiqu’il ait paru quelques ouvrages sous cette dénomination ridicule. […] Nous dirons plus tard comment se divisent les poèmes ; quant aux ouvrages en prose, par lesquels nous commençons, nous parlerons : 1º des discours oratoires, ou de l’éloquence parlée ; 2º des lettres, ou de ce qu’on nomme le genre épistolaire ; 5º des ouvrages didactiques ; 4º des ouvrages historiques ; 5º des contes et romans 2.
La nature parle à l’âme Tout ce qui existe est animé. […] Tous ces grands spectacles ne nous semblent-ils pas comme des manifestations d’une puissance, d’une intelligence et d’une sagesse admirables ; et, pour ainsi parler, la face de la nature n’est-elle pas expressive comme celle de l’homme1 ? […] Mais ne parlait-il pas naturellement ce beau langage qu’il retrouvait chez les contemporains de Pascal ?
Pendant qu’il parle avec tant de force, une douceur suprême lui ouvre les cœurs, et donne je ne sais comment un nouvel éclat à la majesté qu’elle tempère. » Dans ses mémoires, on sent la présence d’un maître. […] Que nous reste-t-il ici, que d’en parler pour notre instruction ? […] Le monde a été ébloui de l’éclat qui l’environnait ; ses ennemis ont envié sa puissance ; les étrangers sont venus des îles les plus éloignées baisser les yeux devant la gloire de sa majesté ; ses sujets lui ont presque dressé des autels ; et le prestige qui se formait autour de lui n’a pu le séduire lui-même. » Glissons ici ce fragment d’une Lettre que Louis XIV écrivait à Philippe V, son petit-fils, roi d’Espagne : « Il y a deux ans que vous régnez, vous n’avez pas encore parlé en maître par trop de défiance de vous-même ; vous n’avez pu vous défaire de votre timidité ; à peine cependant vous arrivez à Madrid, qu’on réussit à vous persuader que vous êtes capable de gouverner seul une monarchie, dont vous n’avez senti jusqu’à présent que le poids excessif.
Lorsque tous les orateurs avaient parlé, le peuple donnait son suffrage en étendant les mains vers celui dont l’opinion le flattait davantage. […] Quoi qu’il en puisse résulter pour moi, j’ai cru devoir parler, convaincu que ce que j’avais à dire, était ce qu’il y avait de mieux à faire. […] Silanus, qui avait parlé le premier, avait voté pour la mort. […] On a beaucoup parlé sur les peines à infliger à des monstres qui ont déclaré la guerre à leur patrie, à leurs parents, à leurs dieux et à leurs propres foyers. […] Et l’on ose parler de douceur et de commisération !
Nous ne parlerons ici que des fautes de français et d’orthographe relatives à la rime. […] Mais vous, qui me parlez d’une voix menaçante, Oubliez-vous ici qui vous interrogez ? […] Guilleragues, qui sais et parler et te taire. […] Chaque fois que je parle à mes Élèves de notre poésie lyrique, je ne puis m’empêcher de comparer leur situation avec celle qui nous était faite à leur âge. […] Voici un de ces passages curieux où Boileau parle lui-même avec tant de complaisance de son Ode sur la prise de Namur.
C’est par cette raison que ceux qui écrivent comme ils parlent, quoiqu’ils parlent très-bien, écrivent mal1 ; que ceux qui s’abandonnent au premier feu de leur imagination prennent un ton qu’ils ne peuvent soutenir ; que ceux qui craignent de perdre des pensées isolées, fugitives, et qui écrivent en différents temps des morceaux détachés, ne les réunissent jamais sans transitions forcées ; qu’en un mot il y a tant d’ouvrages faits de pièces de rapport, et si peu qui soient fondus d’un seul jet. […] Les interruptions, les repos, les sections, ne devraient être d’usage que quand on traite des sujets différents, ou lorsque, ayant à parler de choses grandes, épineuses et disparates, la marche du génie se trouve interrompue par la multiplicité des obstacles, et contrainte par la nécessité des circonstances : autrement, le grand nombre de divisions, loin de rendre un ouvrage plus solide, en détruit l’assemblage ; le livre paraît plus clair aux yeux, mais le dessein de l’auteur demeure obscur ; il ne peut faire impression sur l’esprit du lecteur, il ne peut même se faire sentir que par la continuité du fil, par la dépendance harmonique des idées, par un développement successif, une gradation soutenue, un mouvement uniforme que toute interruption détruit ou fait languir3. […] Ne faites point comme ces mauvais orateurs, qui veulent toujours déclamer et ne jamais parler à leurs auditeurs ; il faut au contraire que chacun de vos auditeurs s’imagine que vous parlez à lui en particulier. […] Il faut sentir la passion pour la bien peindre ; l’art, quelque grand qu’il soit, ne parle point comme la passion véritable. Ainsi vous serez toujours un orateur très-imparfait, si vous n’êtes pénétré des sentiments que vous voulez peindre et inspirer aux autres ; et ce n’est pas par spiritualité que je dis ceci, je ne parle qu’en orateur. » 1.
Or, si tout ce qui manque en ce genre à la doctrine philosophique des temps anciens, les philosophes sacrés le réunissent au plus haut degré, il faut bien que celui qui les a inspirés soit ce maître plus habile, ce philosophe plus éclairé, dont nous venons de parler. […] C’est d’après sa propre expérience, que parlait ainsi l’Ecclésiaste. […] Mais, indépendamment de différences plus importantes dont nous parlerons bientôt, qu’il y a loin de la morgue pédantesque du maître qui vous dit : « Faites cela, parce que cela est bon ; et cela est bon, parce que je l’ai fait », au style affectueux d’un père qui presse, qui conjure ses enfants de mettre en pratique les conseils qu’il leur prodigue pour leur bien ! […] ) C’est là précisément ce qui manque aux descriptions dont nous venons de parler, et ce qui donne un si grand avantage à la simplicité touchante du philosophe chrétien, sur toute la pompe poétique de l’écrivain profane. […] C’est que dans tous les écrivains qui ont parlé avec la conviction des vérités qu’ils annonçaient, la parole divine a vraiment la chaleur pénétrante et l’activité du feu : Sermo Dei ignitus .
Superposées ou confondues, ces influences ont toutes contribué plus ou moins à la formation de l’idiome que nous parlons aujourd’hui. […] Or, l’usage de ce parler inculte ne tarda pas à prévaloir sur l’emploi des formes savantes, instrument trop délicat pour des mains ignorantes, brutales et maladroites. […] Sans parler de l’Italien et de l’Espagnol, rameaux du même tronc, nous distinguons dans nos frontières, encore indécises, deux régions qui ont chacune leur idiome propre, correspondant à des rivalités1 de races. […] Nous voulons parler de Philippe de Comines (1445-1509), esprit robuste qui devance les temps, politique sage comme l’expérience, moraliste trop accommodant, mais d’autant plus vrai dans le récit et l’appréciation des faits qu’il est moins sévère sur les principes, et confond trop volontiers le juste avec l’utile. […] Sous son masque barbouillé de lie parlera pourtant le bon sens d’un indépendant qui feint la démence de peur d’irriter les puissants.
Si l’on parle, c’est qu’on veut se faire écouter ; si l’on écrit, c’est qu’on veut se faire lire. […] Horace et Boileau parlent du poëme épique : Que le début soit simple et n’ait rien d’affecté. […] C’est que, dans le drame, le poëte ne parlant pas en son nom, mais faisant parler des personnages liés à une action, ne peut songer au spectateur, sans blesser toute vraisemblance. […] Tout plein du Dieu qui parle par sa bouche, il peut, dès l’abord, entonner le chant du prophète : Cieux, écoutez ma voix ; terre, prête l’oreille. […] A proprement parler, cette espèce d’exorde, qu’on nomme ex abrupto, n’est encore qu’une absence d’exorde, forme rare d’ailleurs, et qui doit être amenée par quelque circonstance grave, inattendue, et plus souvent extérieure.