Oui, mieux valait dérouler sous les yeux un tableau qui a son unité, sa suite et ses rapports logiques. […] De là vient que nous avons multiplié ces occasions de rapprochements et de comparaisons qui habituent l’œil à voir juste, à distinguer les styles, à reconnaître la facture d’un maître, à ne pas appliquer à la diversité des talents les lieux communs d’une appréciation vague et anonyme, en un mot, à devenir connaisseur.
Elle imagine les événements, rejetant tout ce qui est vulgaire et sans couleur ; elle crée ou agrandit les personnages, décrit et peint les objets, qu’elle place, pour ainsi dire, sous nos yeux. […] Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre ! […] Quintilien appelait les métaphores les yeux même du discours ; mais il demandait que ces yeux ne fussent point placés çà et là, par tout le corps. […] La vengeance à la main, l’œil ardent de colère. […] J’ai souhaité cent fois que tu fusses laide ; j’ai maudit, détesté ces yeux perfides, cette mine trompeuse qui m’avait affolé (astéisme).
Il n’est pas rare que le dissertateur, le romancier, le poète, dans la vue d’instruire, de plaire ou de toucher, donnent des définitions étendues et ornées, qu’ils entrent dans des détails, fassent des comparaisons, mettent sous les yeux des exemples, opposent plusieurs tableaux entre eux, rapportent toutes les circonstances d’un événement, et, de même, s’appuient sur les témoignages, la renommée, la loi, etc. […] Il faut présenter les circonstances avec beaucoup de grâce, les revêtir du coloris le plus propre, et fixer les yeux inconstants de l’auditeur, toujours prêt à se laisser distraire par quelque objet extérieur. […] Le texte d’une oraison funèbre, c’est-à-dire les lignes tirées des livres saints que l’orateur prononce avant de commencer son discours, doit être comme un éloge raccourci du héros, et mettre d’abord sous les yeux toute sa vie et son caractère. […] Au premier bruit de ce funeste accident, toutes les villes de Judée furent émues, des ruisseaux de larmes coulèrent des yeux de tous leurs habitants. […] Il faut savoir les présenter, les nuancer, les ordonner : il ne suffit pas de frapper l’oreille et d’occuper les yeux ; il faut agir sur l’âme et toucher le cœur en parlant à l’esprit.
Mais, comme citoyen, sa conduite a été généralement admirée : après la mort de Socrate, dont il avait été le disciple, il eut le courage de se montrer en deuil aux yeux même des lâches assassins de son maître. […] Tantôt il leur reproche hardiment leur vénalité, leur indolence, leur indifférence pour la cause commune ; tantôt il leur remet sous les yeux, et leurs anciens exploits, et leurs ressources présentes.
Aimer La Fontaine, c’est presque la même chose qu’aimer Molière ; c’est aimer la nature, toute la nature, la peinture naïve de l’humanité, une représentation de la grande comédie aux cent actes divers1, se déroulant, se découpant à nos yeux en mille petites scènes, avec des grâces et des nonchalances qui vont si bien au bonhomme, avec des faiblesses aussi et des laisser-aller2 qui ne se rencontrent jamais dans le simple et mâle génie, le maître des maîtres. […] Les funérailles d’un sceptique et d’un croyant Après avoir raconté les funérailles de M. de Sacy3, je me demande ce que seraient à nos yeux celles de Montaigne4 ; je me représente même ce convoi idéal5 et comme perpétuel, que la postérité lui fait incessamment.
Voyez ce tableau du pécheur mourant : « Alors le pécheur mourant ne trouvant plus dans le souvenir du passé que des regrets qui l’accablent ; dans tout ce qui se passe à ses yeux, que des images qui l’affligent ; dans la pensée de l’avenir, que des horreurs qui l’épouvantent : ne sachant plus à quoi avoir recours, ni aux créatures qui lui échappent, ni au monde qui s’évanouit, ni aux hommes qui ne sauraient le délivrer de la mort, ni au Dieu juste qu’il regarde comme un ennemi déclaré, dont il ne doit plus attendre d’indulgence, il se roule dans ses propres horreurs ; il se tourmente, il s’agite pour fuir la mort qui le saisit, ou du moins pour se fuir lui-même. Il sort de ses yeux mourans je ne sais quoi de sombre et de farouche qui exprime les fureurs de son âme ; il pousse, du fond de sa tristesse, des paroles entrecoupées de sanglots, qu’on n’entend qu’à demi, et qu’on ne sait si c’est le désespoir ou le repentir qui les a formées ; il jette sur un Dieu crucifié des regards affreux, et qui laissent douter si c’est la crainte ou l’espérance, la haine ou l’amour qu’ils expriment : il entre dans des saisissements ou l’on ignore si c’est le corps qui se dissout, ou l’âme qui sent l’approche de son juge : il soupire profondément, et l’on ne sait si c’est le souvenir de ses crimes qui lui arrache ces soupirs, ou le désespoir de quitter la vie. Enfin, au milieu de ces tristes efforts, ses yeux se fixent, ses traits changent, son visage se défigure, sa bouche livide s’entrouvre d’elle-même, tout son esprit frémit ; et, par ce dernier effort, son âme infortunée s’arrache comme à regret de ce corps de boue, tombe entre les mains de Dieu, et se trouve seule au pied du tribunal redoutable ».
— Faut-il vous rappeler la descente d’Ostie, cette entreprise si honteuse, si infamante pour le nom romain, où une flotte, commandée par un consul en personne, fut prise et coulée à fond par des pirates, presque sous vos yeux ? […] Beaucoup, César, et même assez pour tout autre : trop peu pour vous seul ; car à vos yeux, rien ne doit être assez grand, s’il reste quelque chose au-dessus. […] Ayez donc devant les yeux ces juges sévères qui prononceront un jour sur vous, et dont le jugement, si j’ose le dire, aura plus de poids que la nôtre, parce qu’ils seront sans intérêt, sans haine et sans envie ».
Il faudrait que l’œil du prince pût embrasser ce qui est à des distances immenses de lui, et que tous les lieux de son empire fussent rassemblés, en un seul point, sous son regard. […] Marc-Aurèle (et ici Apollonius fixa un moment les yeux sur le nouvel empereur), tremble surtout quand tu seras sur le trône. […] Il était pâle, les yeux presque éteints, et ses lèvres à demi glacées.
Lors, une bourse assez large et profonde Il leur déploie, et leur dit : « Gens de bien, Ouvrez vos yeux ; voyez, y a-t-il rien ? […] J’ai vu, j’en suis témoin croyable, Un jeune enfant armé d’un fer vainqueur, Le bandeau sur les yeux, tenter l’assaut d’un cœur Aussi peu sensible qu’aimable. […] Aussi dit-il que ce n’est pas cela ; et maintenant il reste à deviner que c’est un petit ramoneur, armé de sa raclette, le bandeau sur les yeux pour les garantir de la suie, tentant l’assaut du cœur de la cheminée, enfin chantant, selon l’habitude, lorsqu’il est arrivé au terme de son travail.
L’action dramatique est soumise aux yeux et doit se peindre comme la vérité ; ce qui demande un vraisemblable d’une espèce particulière au drame, que nous examinerons tout à l’heure. […] Il n’est pas aisé de tromper des yeux attentifs au spectacle. […] Au reste, toutes les allégories, toutes les allusions qu’on y peut trouver, toutes les maximes, toutes les belles sentences, bien qu’elles n’y soient, comme dans l’épopée, que des finesses de l’artiste, et non l’objet de l’art, contribuent encore à la fin morale de la tragédie, et concourent, avec les grands exemples que nous avons sous les yeux, à nous rendre ce spectacle profitable. […] Ce ne sont que des ridicules individuels, qui passent sous nos yeux comme les figures d’une lanterne magique. […] Voltaire a dit dans son Mondain : Il faut se rendre à ce palais magique Où les beaux vers, la danse, la musique, L’art de tromper les yeux par les couleurs, De cent plaisirs font un plaisir unique.
Les images des malheureux l’environnent ; la pitié l’agite, et des larmes coulent de ses yeux. […] Tout ce que le torrent des âges a emporté se reproduit à ses yeux. — Il voit la durée comme un espace immense, dont il n’occupe qu’un point : il calcule les jours, les heures, les moments ; il en ramasse toutes les parties, etc. » De quoi pensez-vous qu’il est question ici ?