On grave sur le marbre bien plus malaisément que sur le sable ; mais les choses y sont conservées bien plus longtemps, et cette lenteur à comprendre, cette pesanteur d’imagination est la marque d’un bon jugement à venir. […] Loué, exalté et porté jusqu’aux cieux par de certaines gens qui se sont promis de s’admirer réciproquement, il croit, avec quelque mérite qu’il a posséder tout celui qu’on peut avoir et qu’il n’aura jamais : occupé et rempli de ces sublimes idées, il se donne à peine le loisir de prononcer quelques oracles ; élevé par son caractère au-dessus des jugements humains, il abandonne aux âmes communes le mérite d’une vie suivie et uniforme, et n’est responsable de ses inconstances qu’à ce cercle d’amis qui les idolâtrent. […] Son bon jugement.
Jugement sur quelques académiciens du dix-septième siècle Rappelez en votre mémoire ce grand et premier concile où les Pères qui le composaient étaient remarquables chacun par quelques membres mutilés, ou par les cicatrices qui leur étaient restées des fureurs de la persécution ; ils semblaient tenir de leurs plaies le droit de s’asseoir dans cette assemblée générale de toute l’Église : de même il n’y eut aucun de vos illustres prédécesseurs qu’on ne s’empressât de voir, qu’on ne montrât dans les places, qu’on ne désignât par quelque ouvrage fameux qui lui avait fait un grand nom, et qui lui donnait rang dans cette Académie naissante qu’ils avaient comme fondée. […] Il ne faut pas qu’il y ait trop d’imagination dans nos conversations ni dans nos écrits ; elle ne produit souvent que des idées vaines et puériles, qui ne servent point à perfectionner le goût et à nous rendre meilleurs : nos pensées doivent être prises dans le bon sens et la droite raison, et doivent être un effet de notre jugement. […] Une naissance auguste, un air d’empire et d’autorité, un visage qui remplisse la curiosité des peuples empressés de voir le prince6, et qui conserve le respect dans le courtisan ; une parfaite égalité d’humeur ; un grand éloignement pour la raillerie piquante, ou assez de raison pour ne se la permettre point1 : ne faire jamais ni menaces ni repròches ; ne point céder à la colère, et être toujours obéi ; l’esprit facile, insinuant ; le cœur ouvert, sincère, et dont on croit voir le fond, et ainsi très-propre à se faire des amis, des créatures et des alliés ; être secret toutefois, profond et impénétrable dans ses motifs et dans ses projets ; du sérieux et de la gravité dans le public ; de la brièveté, jointe à beaucoup de justesse et de dignité, soit dans les réponses aux ambassadeurs des princes, soit dans les conseils ; une manière de faire des grâces2 qui est comme un second bienfait ; le choix des personnes que l’on gratifie ; le discernement des esprits, des talents et des complexions3, pour la distribution des postes et des emplois ; le choix des généraux et des ministres ; un jugement ferme, solide, décisif dans les affaires, qui fait que l’on connaît le meilleur parti et le plus juste ; un esprit de droiture et d’équité qui fait qu’on le suit jusqu’à prononcer quelquefois contre soi-même en faveur du peuple, des alliés, des ennemis ; une mémoire heureuse et très-présente qui rappelle les besoins des sujets, leurs visages, leurs noms, leurs requêtes ; une vaste capacité qui s’étende non-seulement aux affaires de dehors, au commerce, aux maximes d’État, aux vues de la politique, au reculement des frontières par la conquête de nouvelles provinces, et à leur sûreté par un grand nombre de forteresses inaccessibles ; mais qui sache aussi se renfermer au dedans, et comme dans les détails4 de tout un royaume ; qui en bannisse un culte faux, suspect et ennemi de la souveraineté, s’il s’y rencontre ; qui abolisse des usages cruels et impies5, s’ils y règnent ; qui réforme les lois et les coutumes6, si elles étaient remplies d’abus ; qui donne aux villes plus de sûreté et plus de commodités par le renouvellement d’une exacte police, plus d’éclat et plus de majesté par des édifices somptueux ; punir sévèrement les vices scandaleux ; donner, par son autorité et par son exemple, du crédit à la piété et à la vertu ; protéger l’Église, ses ministres, ses droits, ses libertés1 ; ménager ses peuples comme ses enfants2 ; être toujours occupé de la pensée de les soulager, de rendre les subsides légers, et tels qu’ils se lèvent sur les provinces sans les appauvrir ; de grands talents pour la guerre ; être vigilant, appliqué, laborieux ; avoir des armées nombreuses, les commander en personne ; être froid dans le péril3, ne ménager sa vie que pour le bien de son État, aimer le bien de son État et sa gloire plus que sa vie ; une puissance très-absolue, qui ne laisse point d’occasion aux brigues, à l’intrigue et à la cabale ; qui ôte cette distance infinie4 qui est quelquefois entre les grands et les petits, qui les rapproche, et sous laquelle tous plient également ; une étendue de connaissances qui fait que le prince voit tout par ses yeux, qu’il agit immédiatement par lui-même, que ses généraux ne sont, quoique éloignés de lui, que ses lieutenants, et les ministres que ses ministres ; une profonde sagesse qui sait déclarer la guerre, qui sait vaincre et user de la victoire, qui sait faire la paix, qui sait la rompre, qui sait quelquefois, et selon les divers intérêts, contraindre les ennemis à la recevoir ; qui donne des règles à une vaste ambition, et sait jusqu’où l’on doit conquérir ; au milieu d’ennemis couverts ou déclarés, se procurer le loisir des jeux, des fêtes, des spectacles ; cultiver les arts et les sciences, former et exécuter des projets d’édifices surprenants ; un génie enfin supérieur et puissant qui se fait aimer et révérer des siens, craindre des étrangers ; qui fait d’une cour, et même de tout un royaume, comme une seule famille unie parfaitement sous un même chef, dont l’union et la bonne intelligence est redoutable au reste du monde. […] Ayant passé en un seul jour de l’obscurité entière au plein éclat et à la vogue, il sait à quoi s’en tenir sur la faiblesse et la lâcheté de jugement des hommes ; il ne peut s’empêcher de se railler de ceux qui n’ont pas su le deviner ou qui n’ont pas osé le dire.
Straham s’empressa de faire part de ce jugement à l’auteur, de lui dire qu’il s’associait pour l’édition de son livre avec M. […] L’application de la raison et du jugement porte à son tour le goût à son plus haut degré de perfection. […] On reconnaît la délicatesse au jugement que l’on porte sur le véritable mérite d’un ouvrage. […] L’une réside surtout dans la manière de sentir, l’autre s’appuie davantage sur la raison et le jugement. […] C’est alors que, malgré l’approbation générale, une juste critique condamne avec raison ; et le temps confirmera son jugement ; car, lorsque le public sera libre de passions et de préjugés, sa voix et ce jugement seront d’accord.
Incapable de se passionner dans les affaires, il conservait toujours une humeur libre, qui se prêtait, sans effort, aux différents devoirs de son ministère ; il avait toujours la possession de son esprit et de son jugement ; la modération et l’égalité de son caractère le rendaient constant dans ses résolutions. […] Il n’est guère sympathique aux Ménalques ; voulez-vous voir son idéal secret, lisez cette page : « Quand je trouve dans un ouvrage une grande imagination avec une grande sagesse, un jugement net et profond, des passions très-hautes mais vraies, nul effort pour paraître grand, une extrême sincérité, beaucoup d’éloquence, et point d’art que celui qui vient du génie, alors je respecte l’auteur, je l’estime autant que les sages ou que les héros qu’il a peints.
Dans les jugements du peuple, les parties intéressées étaient tenues de plaider elles-mêmes leur cause, et leur plaidoyer se bornait presque toujours à la lecture d’un discours composé pour la circonstance par un orateur en renom. […] Malgré les murmures des anciens, la jeunesse se porta en foule à leurs leçons, et l’éloquence, qui n’avait été jusque-là qu’une prudence de manier affaires, et un bon sens et jugement en matière d’estat et gouvernement, devint un art, et le plus honoré et le plus fructueux de tous les arts. […] Et quand vos doutes seront dissipés, vos objections réduites à néant, quand vous vous sentirez inondés de lumière et d’évidence, quand votre esprit jouira de la possession pleine et entière de la vérité surabondamment démontrée, ne dites pas encore que Cicéron est le plus puissant des avocats ; réservez votre jugement, attendez qu’il ait ouvert en vous les sources de la sensibilité et que, déjà maître de votre esprit, il ait achevé votre conquête en s’emparant de votre cœur.
Non, après ce que nous venons de voir, la santé n’est qu’un nom, la vie n’est qu’un songe, la gloire n’est qu’une apparence, les grâces et les plaisirs ne sont qu’un dangereux amusement : tout est vain en nous, excepté le sincère aveu que nous faisons devant Dieu de nos vanités, et le jugement arrêté qui nous fait mépriser tout ce que nous sommes ». […] C’est par ces sortes d’exercices que l’on forme son jugement et son goût : le devoir du maître est rempli, quand il a posé et développé les principes généraux ; l’application doit être l’ouvrage de l’élève, sans quoi l’un et l’autre ont perdu leur temps.
Quelquefois, des contestations peu susceptibles ou peu dignes d’un jugement sérieux, il les terminait par un trait de vivacité plus convenable et aussi efficace. […] De là l’effroi que répandaient les grands jours, qu’on désignait ainsi, remarque Dupleix dans son Histoire de France, « par quelque allusion au grand jour du jugement dernier ».
Il sait se servir de son esprit, mais il ne sait pas s’en prévaloir ; et bien qu’il se sente, bien qu’il s’estime ce qu’il vaut, il laisse à chacun son jugement. […] Pour accomplir vos volontés, et faire craindre vos jugements, votre puissance renverse ceux que votre puissance avait élevés.
Et moi, mon cher marquis, je trouve le jugement détestable. […] Il veut être le premier de son opinion, et qu’on attende par respect son jugement. […] Le temps n’a fait que sanctionner le jugement de son époque. […] Après avoir témoigné sa reconnaissance pour l’Université, Rollin soumet à son jugement la première partie de son ouvrage. […] … Mais que mon jugement au besoin m’abandonne !
Se faire un jugement sain, un sens droit un esprit loyal, premier devoir de quiconque veut penser et écrire, première condition pour n’écrire et ne dire que ce qu’on pense sérieusement et au fond du cœur. […] C’est un exercice très-propre à former le jugement que d’analyser ainsi les meilleurs passages des grands écrivains et d’en dégager les syllogismes. […] L’amplification fait voir un objet sous toutes ses faces, envisager une question sous tous les points de vue favorables au jugement qu’il s’agit de faire adopter. […] Dans ce cas, plus la chaîne est étendue, plus il importe que le rapport logique entre les jugements soit facile à saisir, que le lien des idées soit facile à suivre. […] La proposition est renonciation d’un simple jugement ; la phrase exprime cet enchaînement de jugements, qui forment un raisonnement ; la période représente une suite de raisonnements qui servent au développement complet d’une conception étendue.
Nous portons autant de jugements différents, selon que nous anime un sentiment de tristesse ou de joie, d’amitié ou de haine. […] Mais, comme la rhétorique a pour objet un jugement (et en effet on prononce sur des délibérations et toute affaire est un jugement), il est nécessaire non seulement d’avoir égard au discours et de voir comment il sera démonstratif et fera la conviction, mais encore de mettre le juge lui-même dans une certaine disposition. […] Or la passion, c’est ce qui, en nous modifiant, produit des différences dans nos jugements et qui est suivi de peine et de plaisir. […] Ils ne se fient pas au premier venu ; ils ne se défient pas, non plus, de tout le monde, mais leurs jugements sont en rapport avec la vérité. […] L’emploi des discours persuasifs a pour objet un jugement, car, sur une question connue et jugée, il n’y a plus besoin de discourir.