Il faut y chercher son portrait en même temps que le tableau de la société qu’il éblouit sans la rendre meilleure. […] Le Tasse et l’Arioste1 vous rendront plus de services que moi, et la lecture de nos meilleurs poëtes vaut mieux que toutes les leçons ; mais puisque vous daignez de si loin me consulter, je vous invite à ne lire que les ouvrages qui sont depuis longtemps en possession des suffrages du public, et dont la réputation n’est point équivoque2 : il y en a peu, mais on profite bien davantage en les lisant3, qu’avec tous les mauvais petits livres dont nous sommes inondés. […] On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes. […] Je ne peux non plus m’embarquer pour aller trouver les sauvages du Canada : premièrement, parce que les maladies dont je suis accablé me retiennent auprès du plus grand médecin de l’Europe, et que je ne trouverais pas le même secours chez les Missouris ; secondement, parce que la guerre est portée dans ce pays-là, et que les exemples de nos nations ont rendu les sauvages presque aussi méchants que nous. […] C’est dans la jeunesse et la maturité de l’âge qu’on se rend digne d’une belle vieillesse.
Sans doute la nature individuelle a d’admirables révélations, des inspirations sublimes ; mais pour être sûr de saisir et de conserver cette sublimité, il faut, en quelque sorte, l’arrêter au passage par la réflexion, la généraliser par l’abstraction, s’élancer au-delà des bornes étroites de l’individu, contempler un modèle plus grand et plus haut placé, pressentir enfin d’imagination et de génie la nature universelle, et la rendre par la combinaison de l’enthousiasme idéal et du sang-froid personnel. […] Et grâces soient rendues à l’auteur de la nature qui l’a permis ainsi ; car on conçoit que, s’il en était autrement, la vie de l’écrivain et de l’orateur serait la plus intolérable existence qu’on pût imaginer. […] Et c’est encore une objection contre la passion réelle, que son égoïsme exclusif rend presque toujours si loquace et si monotone, quand l’art ne vient pas en aide à la nature.
C’est elle sans doute qui leur mit devant les yeux l’utile et l’honnête, leur fit goûter la raison, les rendit doux et humains, cimenta parmi eux la bonne foi et la justice, les accoutuma à la subordination, et les détermina non seulement à ne pas épargner leurs peines, mais même à sacrifier leur vie pour le bien public. […] En quoi vous valez mieux que cent peuples divers : Quel droit vous a rendus maîtres de l’univers ? […] « Le moment arrivait où ce mérite si modeste devait se développer aux yeux de l’Univers, et par tous les services qu’un sujet peut rendre à son roi, se montrer digne de tout ce qu’un roi peut faire pour son sujet. […] C’est cette espèce d’éloquence qui a enlevé les suffrages, qui s’est rendue maîtresse des délibérations publiques, qui a étonné le monde par le bruit et la rapidité de sa course ; qui, après avoir excité l’applaudissement et l’admiration des hommes, les laisse dans le désespoir d’atteindre à cette haute perfection où elle s’est élevée.
La pensée ou pointe qui consiste dans un trait plaisant, ingénieux ou inattendu, et qui constitue ce qu’on appelle le sel de l’épigramme, doit être rendue d’une manière vive et agréable. […] Il est adressé par Corneille à Richelieu : Puisqu’un d’Amboise et vous d’un succès admirable Rendez également nos peuples réjouis, Souffrez que je compare à vos faits inouïs Ceux de ce grand prélat, sans vous incomparable. Il porta comme vous la pourpre vénérable De qui le saint éclat rend nos yeux éblouis ; Il veilla comme vous d’un soin infatigable ; Il fut ainsi que vous le cœur d’un roi Louis. […] Trop obscure, l’énigme produit la fatigue et le dégoût, parce qu’elle met l’esprit à la torture et rend ses efforts inutiles ; telle est celle qu’on a faite sur le mot jasmin.
Ainsi les mots captivité, charnier, succès, travail, repos, sommeil, obtenir, puissant, rendu, etc., pourraient être mis à la fin d’un vers masculin. […] Ces faiblesses ne rendront son héros que plus intéressant, parce qu’elles le rapprocheront de nous ; parce qu’elles nous le représenteront sujet, comme nous, à la fragilité de la nature humaine. […] Pour en mériter le beau titre, il faut qu’il rende l’objet qu’il a trouvé, aussi sensible à l’esprit et au cœur, que l’est aux yeux du corps un objet présente sur la toile. […] Le poète doit donc, pour rendre son style pittoresque, ou, ce qui est la même, chose, vraiment poétique, s’attacher au choix des pensées et des expressions. […] Le génie du poète sait bien souvent les rendre dignes de la haute poésie.
Ce livre, qui ramenait les âmes à la foi par l’imagination et la sensibilité, rendait enfin l’idéal perdu : il réhabilitait tout ce qu’avaient flétri des sarcasmes impies ; il protestait contre les persécuteurs qui avaient fermé les Églises, brisé les autels, proscrit les prêtres. […] Peinture transparente d’une jeunesse rêveuse, agitée et mélancolique, René (1805) fixa par des couleurs immortelles les principaux traits d’une âme qui souffrait d’un mal que son talent rendit contagieux, au lendemain des bouleversements qui avaient laissé tant de ruines. […] C’est ainsi, mon très-cher ami, que nous sommes avertis à chaque pas de notre néant ; l’homme cherche au dehors des raisons pour s’en convaincre, il va sur les ruines des empires, il oublie qu’il est lui-même une ruine encore plus chancelante, et qu’il sera tombé avant ces débris1 Ce qui achève de rendre notre vie le songe d’une ombre 2, c’est que nous ne pouvons pas même espérer de vivre longtemps dans le souvenir de nos amis, puisque leur cœur, où s’est gravée notre image, est comme l’objet dont il retient les traits, une argile sujette à se dissoudre. […] Proscrit jadis, la naissante Amérique Nous le rendit, après nos longs discords, Riche de gloire et, Colomb poétique, D’un nouveau monde étalant les trésors. […] Le ciel en eut pitié ; il lui rendit ses tièdes rosées. »
» Moi, caressant ta barbe, qu’aujourd’hui je touche en suppliante, je te répondais : « — Et toi, mon père, quand tu seras vieux, aurai-je le bonheur de t’avoir auprès de moi, dans ma maison, et de te rendre les soins que tu donnes à mon enfance ? […] » On admire l’art des poëtes qui ont su rendre avec cette vérité les cris de la nature ; mais on n’admire pas moins la sagesse des législateurs athéniens qui interdirent à cet art dangereux l’accès des tribunaux. […] Ils y jouaient, pour ainsi dire, leurs sentiments, comme les acteurs leurs rôles sur la scène, avec cette différence que les acteurs rendent souvent l’émotion sans la ressentir, tandis que les Romains, la ressentant réellement, la jouaient souvent sans le savoir. […] Le peuple suit au temple l’illustre aristocrate, et, en le dispensant de rendre ses comptes, semble le mettre au-dessus des lois. […] A l’âge où l’esprit, ouvert à toutes les impressions, reçoit tout et retient tout, il est obligé de quitter Rome, où une première cause gagnée l’a rendu trop fameux.
L’orateur s’en sert lorsqu’il veut développer une vérité, la rendre plus claire et plus sensible en l’assimilant à une autre. […] Sous ces deux rapports, ses ennemis ont voulu la rendre également méprisable et odieuse : méprisable, en nous persuadant qu’elle choque le bon sens ; odieuse, en nous la représentant comme une loi trop dure et sans onction. […] Plusieurs des oraisons de Cicéron sont de vrais plaidoyers ; et, sauf la différence qu’il y a entre notre manière de rendre la justice et celle des Romains, ils peuvent servir de modèles à nos jeunes avocats. […] Il allait s’embarquer à Messine ; et, se croyant hors de tout danger, il avait osé faire entendre des menaces, disant que, dès qu’il serait arrivé à Rome, Verrès entendrait parler de lui, et rendrait bientôt compte de sa conduite, pour avoir mis dans les fers un citoyen romain. […] Verrès remercie son indigne client ; transporté de rage, il se rend sur la place publique.
Parmi tout cela, une magnificence d’expressions proportionnée aux maîtres du monde, qu’il fait souvent parler ; capable néanmoins de s’abaisser quand il veut, et de descendre jusqu’aux simples naïvetés du comique où il est encore inimitable ; enfin, ce qui lui est surtout particulier, une certaine force, une certaine élévation qui surprend, qui enlève, et qui rend jusqu’à ses défauts, si on lui en peut reprocher quelques-uns, plus estimables que les vertus des autres. […] Personne ne rendait plus de justice que lui au créateur de la tragédie française ; il en répétait sans cesse les beaux vers, en faisait apprendre les plus belles scènes à ses enfants, leur en détaillait lui-même les endroits marquants, et ne se lassait point de leur dire : Corneille fait des vers cent fois plus beaux que les miens. […] Point de grandes choses sans de grandes peines ; et il n’y a point de nation au monde chez laquelle il soit plus difficile que chez la nôtre de rendre une véritable vie à la poésie ancienne.
C’est une créature qui renonce à son être pour n’exister que par la volonté d’un autre, qui sait même la prévenir, qui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l’exprime et l’exécute ; qui sent autant qu’on le désire, et ne rend qu’autant qu’on le veut ; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s’excède, et même meurt pour mieux obéir1… Le cheval est de tous les animaux celui qui, avec une grande taille, a le plus de proportion et d’élégance dans les parties de son corps : car, en lui comparant les animaux qui sont immédiatement au-dessus et au-dessous, on verra que l’âne est mal fait, que le lion a la tête trop grosse, que le bœuf a les jambes trop minces et trop courtes pour la grosseur de son corps, que le chameau est difforme, et que les plus gros animaux, le rhinocéros et l’éléphant, ne sont pour ainsi dire que des masses informes. […] La fauvette à tête noire est de toutes les fauvettes celle qui a le chant le plus agréable et le plus continu : il tient un peu de celui du rossignol, et l’on en jouit plus longtemps ; car, plusieurs semaines après que ce chantre du printemps s’est tu, l’on entend les bois résonner partout du chant de ces fauvettes ; leur voix est facile, pure et légère, et leur chant s’exprime par une suite de modulations peu étendues, mais agréables, flexibles et nuancées : ce chant semble tenir de la fraîcheur des lieux où il se fait entendre ; il en peint la tranquillité, il en exprime même le bonheur : car les cœurs sensibles n’entendent pas sans une douce émotion les accents inspirés par la nature aux êtres qu’elle rend heureux. […] Les Indiens, frappés de l’éclat et du feu que rendent les couleurs de ces brillants oiseaux, leur avaient donné les noms de rayons ou cheveux du soleil.