Mais n’a-t-on pas un peu trop abusé de cette phrase célèbre ?
Ce défaut est celui des esprits cultivés, mais stériles ; ils ont des mots en abondance3, point d’idées ; ils travaillent donc sur les mots, et s’imaginent avoir combiné des idées, parce qu’ils ont arrangé des phrases, et avoir épuré le langage quand ils l’ont corrompu en détournant les acceptions1.
D’aulcuns de ces mots que ie viens de trier, nous en appercevons plus malayseement l’energie, d’autant que l’usage et la frequence nous en ont auculnement avily et rendu vulgaire la grace ; comme en nostre commun, il s’y rencontre des phrases excellentes, et des metaphores, desquelles la beaulté flestrit de vieillesse, et la couleur s’est ternie par maniement trop ordinaire : mais cela n’oste rien du goust à ceulx qui ont bon nez, ny ne desroge à la gloire de ces anciens aucteurs qui, comme il est vraysemblable, meirent premierement ces mots en ce lustre. […] Quand on m’a dict, ou que moy mesme me suis dict : « Tu ez trop espez en figures : Voylà un mot du creu de Gascoigne : Voylà une phrase dangereuse (je n’en refuis aulcune de celles qui s’usent emmy les rues françoises ; ceulx qui veulent combattre l’usage par la grammaire se mocquent :) Voylà un discours ignorant : Voylà un discours paradoxe : En voylà un trop fol : Tu te ioues souvent ; on estimera que tu dies à droict ce que tu dis à feincte. » « Ouy, foys ie ; mais ie corrige les faultes d’inadvertance, non celles de coustume. […] Comme aux accoustrements, c’est pusillanimité de se vouloir marquer par quelque façon particuliere et inusitee : de mesme au langage, la recherche des phrases nouvelles et des mots peu cogneus vient d’une ambition scholastique et puerile. […] Pellisson lut deux fois en une nuit ses Mémoires, et goûta cette négligence molle et légère qui allonge et enchevêtre quelque peu la phrase d’incises à la manière latine (elle savait et parlait le latin) et de parenthèses s’arrêtant où elles peuvent, mais qui la relève toujours par une saillie de l’esprit ou du cœur. […] Dans sa phrase solide et pleine, dont la contexture rappelle la période latine, la pensée marche d’un mouvement serré et continu.
On a imprimé en italique les mots qu’il était nécessaire d’ajouter pour rendre intelligible la phrase française, et qui n’avaient pas leur équivalent dans le latin. […] Ainsi fait un sage ami : critique judicieux, il n’a ni pitié ni excuse pour les vers lâches ou durs ; les vers négligés, il les efface d’un revers de plume ; il supprime l’emphase ambitieuse ; la phrase est un peu obscure : il vous force à l’éclaircir ; il fait le procès aux mots équivoques ; il marque tous les changements à faire : il devient un Aristarque enfin.
Il donne des phrases coupées, haletantes et respirant une grande énergie.
Ils ont vu que les figures contribuaient aux grâces et à la beauté du style, quand elles étaient placées à propos ; qu’elles enrichissaient une langue, en la rendant plus abondante ; qu’elles multipliaient les mots, les phrases, et facilitaient par conséquent l’expression d’un plus grand nombre d’idées.
Du Style de la Narration La narration demande en général un style plutôt composé de petites phrases que de périodes.
Il y a encore un certain Ariphradès qui a voulu railler les tragiques sur ces locutions dont personne n’use dans le langage commun, par exemple, lorsqu’ils écrivent δωμάτων ἄπο pour ἀπο δωμάτων, σέθεν, ἐγὼ δέ νιν, Ἀχιλλέως πέρι, et autres phrases semblables.
» La phrase complète serait : « J’ai parlé (à mes ennemis dans ma colère ; ma seule parole les a fait disparaître.
Il ira, cet ignorant dans l’art de bien dire, avec cette locution2 rude, avec cette phrase qui sent l’étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs, et, malgré la résistance du monde, il y établira plus d’églises que Platon n’y a gagné de disciples par cette éloquence qu’on a crue divine.