Je ne sais si c’est la tyrannie ou la liberté qui donna naissance à l’apologue ; je me borne à remarquer qu’on a goûté ce genre dans des pays et dans des temps fort divers, et que de toutes les conventions littéraires qu’on nomme genres, il n’en est aucune dont s’accommodent un plus grand nombre d’esprits. […] Ils s’amusent singulièrement des petits drames dans lesquels figurent ces personnages ; ils y prennent parti pour le faible contre le fort, pour le modeste contre le superbe, pour l’innocent contre le coupable. […] Ce temps d’ivresse passé2, quand chacun a trouvé enfin la mesure de sa taille en s’approchant d’un plus grand ; de ses forces, en luttant avec un plus fort ; de son intelligence, en voyant le prix remporté par un plus habile ; quand la maladie, la fatigue lui ont appris qu’il n’y a qu’une mesure de vie ; quand il en est arrivé à se défier même de ses espérances, alors revient le fabuliste qui savait tout cela, qui le lui dit et qui le console, non par d’autres illusions, mais en lui montrant son mal au vrai, et tout ce qu’on en peut ôter de pointes par la comparaison avec le mal d’autrui.
Si forte necesse est Indiciis monstrare recentibus abdita rerum : Fingere cinctutis non exaudita Cethegis 50 Continget, dabiturque licentia sumpta pudenter ; Et nova fictaque nuper habebunt verba fidem, si Græco fonte cadant, parce detorta. […] Ne forte seniles Mandentur juveni partes, pueroque viriles, Semper in adjunctis ævoque morabimur aptis. […] Dictæ per carmina sortes, Et vitæ monstrata via est ; et gratia regum Pieriis tentata modis ; ludusque repertus, 405 Et longorum operum finis : ne forte pudori Sit tibi Musa lyræ solers, et cantor Apollo. […] Considérés en eux-mêmes, ces vers me paraissent fort beaux, mais il ne me semble pas retrouver ici cette délicatesse de flatterie, si habituelle chez Horace ; et je ne sais pas jusqu’à quel point Auguste aurait dû être charmé de voir condamnés d’avance à une mort certaine ces travaux gigantesques, si noblement célébrés par Virgile. […] Honoratum si forte reponis Achillem….
De là sur l’Hélicon deux partis opposés Règnent, et l’un par l’autre à l’envi déprisés, Tour à tour s’adressant des volumes d’injures, Pour le trône des arts combattent par brochures ; Mais plus forts par le nombre, et vantés en tous lieux, Les corrupteurs du goût en paraissent les dieux. […] La Harpe lui-même, fort maltraité dans ces pièces, n’a pu s’empêcher de rendre un juste hommage au talent poétique dont elles portent l’empreinte.
Les divers arrangements de rimes combinés avec les arrangements des vers ne donnent pas lieu à des combinaisons fort nombreuses. […] Mais le sens n’était pas nécessairement suspendu à la fin des strophes, en sorte qu’elles enjambaient fort souvent chacune sur la suivante.
Son Avent et son Carême (1701-1704), prêchés devant Louis XIV, opérèrent de soudaines conversions, et le roi disait de lui : « Mon père, j’ai entendu plusieurs grands orateurs, j’en ai été fort content ; mais toutes les fois que je vous ai entendu, j’ai été mécontent de moi-même. » Nommé évêque de Clermont en 1717, il composa en six semaines son Petit Carême pour Louis XV enfant. […] Comme donc elle se sent piquée d’un certain appétit qui la rend affamée de quelque bien hors de soi, elle se jette avec avidité sur l’objet des choses créées qui se présentent à elle, espérant s’en rassasier ; mais ce sont viandes creuses, qui ne sont pas assez fortes et n’ont pas assez de corps pour la sustenter ; au contraire, la retirant de Dieu, qui est sa véritable et solide nourriture, ils la jettent insensiblement dans une extrême nécessite et dans une famine désespérée »
Rien n’est si intime et si fort que ses attachements, qu’il essaye de rompre inutilement à la vue des malheurs extrêmes qui le menacent. […] Un bon plaisant est une pièce rare : à un homme qui est né tel, il est encore fort délicat d’en soutenir longtemps le personnage ; il n’est pas ordinaire que celui qui fait rire se fasse estimer.
Le seul Philoctète est dans la nature, parce que les suites de l’injure cruelle qu’il a éprouvée, l’ont livré à toutes les horreurs de la souffrance et du besoin, et qu’il n’y a plus alors d’expressions trop fortes pour suffire à l’explosion d’une haine aussi profonde, d’une rage si longtemps concentrée. […] Les amateurs d’anecdotes littéraires n’ont point oublié que Brébeuf avait d’abord commencé la traduction de l’Énéide, et que, fatigué à chaque instant par les contrariétés que lui faisait éprouver la dissonance perpétuelle de son ton boursouflé, avec la douce mélodie et le charme continu de l’expression de Virgile, il alla confier son embarras à Ségrais son ami, qui, de son côté, suait sang et eau pour se monter au ton de Lucain qu’il essayait de traduire, et que les deux amis se proposèrent et firent un échange, dont les deux poètes latins n’eurent guère à s’applaudir, mais dont Virgile surtout se trouva fort mal. […] Des émotions fortes, des tableaux absolument neufs, de nouveaux cieux, une terre nouvelle, un langage et des sentiments qui ne ressemblaient à rien de ce que l’on avait senti, voilà ce qu’offrait l’épisode d’Atala ; et voilà ce qu’il fallait pour donner à l’âme, de ces distractions puissantes qui l’arrachent malgré elle au charme douloureux de ses souvenirs, et même aux illusions de ses espérances. […] Deux choses inconciliables de leur nature, ou que l’on ne concilie du moins qu’aux dépens l’une de l’autre, l’allure fière, libre et indépendante du génie qui invente, et la contrainte toujours pénible du talent qui imite ; cette lutte presque continuelle de deux principes évidemment opposés ; me semblerait assez bien caractériser la manière habituelle de M. de Chateaubriand : il trouve fréquemment de grandes pensées, frappantes d’énergie et de vérité ; mais il cherche (et l’on s’en aperçoit) une tournure énergique, une expression forte ou pittoresque, pour ajouter à la force ou à l’éclat de la pensée.
Je sais, comme un autre, qu’il se trouve de fort beaux vers dans Claudien ; des morceaux même que l’on peut mettre sans danger sous les yeux de la jeunesse : je n’ignore point qu’il y a, dans Thomas, des choses aussi bien pensées que bien écrites ; que son Essai sur les Éloges est un ouvrage neuf, plein de recherches curieuses et qui fait honneur à notre littérature, qui compte peu de morceaux oratoires plus véritablement éloquents que l’Éloge de Marc-Aurèle. Mais comme les vices que je combats ici dominent également dans ces deux écrivains ; comme je les crois, en général, de fort mauvais modèles à proposer aux jeunes gens, j’ai dû les signaler au commencement d’un ouvrage qui n’a pour but, et ne saurait avoir d’autre mérite, que de défendre les principes éternels du goût et de la raison.
Vivant sous la tente patriarcale, éprouvant peu de besoins, trouvant la terre docile à leurs désirs et produisant sans culture les fruits les plus délicieux, entourés de nombreux troupeaux qui leur assuraient une existence facile, exempte de soucis, ne soupçonnant pas l’existence des honneurs et des richesses, n’abandonnant leurs cœurs qu’à des passions douces et innocentes, les hommes durent nécessairement se contenter d’un langage fort limité pour l’expansion de leurs sentiments et l’expression de leurs idées. Rendre hommage au Créateur, affectionner leur famille, veiller à l’instruction et à la conservation de leurs troupeaux dans les belles plaines voisines du Tigre et de l’Euphrate, recueillir les fruits de la terre complaisante : telles furent leurs principales occupations, et presque les seules idées qu’ils durent transmettre à leurs fils ; aussi n’eurent-ils besoin pour ce travail que d’un très petit nombre d’expressions ou de mots, et la nomenclature du premier langage dut être, sans contredit, fort restreinte.
A la forte race du xvi e siècle a succédé, sous une reine intrigante et coquette, la volée des hobereaux affamés, des valets parvenus, des grands seigneurs ruinés et des gentilshommes suspects. […] Cette pièce est fort curieuse, puisqu’elle témoigne d’une invention tout à fait analogue au télégraphe électrique.