Un soir, M. de Souvré lui dit que les dames les plus considérables du voisinage devaient dîner chez lui le surlendemain. « J’espère, ajouta-t-il, que vous voudrez bien quitter ce vilain habit de voyage et vous habiller convenablement. » M. de Louvois se garda bien de dire qu’il ne lui restait plus que le vêtement qu’il avait sur lui ; mais il déclara qu’il n’avait apporté que de vieux habits, et qu’il désirait en faire faire un neuf ; et il saisit cette occasion de demander de l’argent. […] Il y avait dans la chambre où il couchait une vieille tapisserie à grands personnages, il en détacha un pan qui représentait Armide et Renaud ; il envoie chercher le tailleur du village ; et, lorsqu’il fut arrivé, il lui ordonna de faire un habillement complet, habit, veste et culotte avec ce pan de tapisserie, de passer la nuit, et de le lui rendre le surlendemain de bonne heure. […] Je ne suis jamais entré dans une vieille église, avec sa vierge, ses saints, ses vitraux qui reflètent en mille couleurs l’enfance de Jésus, sa fuite en Égypte, ou son sublime sacrifice, sans que mon imagination ne m’ait reproduit l’immense mouvement qu’imprima au monde la prédication chrétienne. […] Et ces cérémonies de la semaine sainte, qui ont fait tant réfléchir mon enfance ; cette journée de Pâques fleuries, dont parlent tant nos vieux chroniqueurs ; ces rameaux parsemés ; ce jeudi saint avec ses autels de fleurs et ses croix voilées de crêpes ; ces ténèbres qui reproduisent le chaos ! […] C’est ainsi que de Jupiter il a fait un bonhomme ; de Junon, une commère acariâtre ; de Vénus, une mère complaisante et facile ; d’Énée, un dévot larmoyant, un peu timide et un peu niais ; de Didon, une veuve ennuyée de l’être ; d’Anchise, un vieux bavard ; de Calchas, un vieux fourbe ; de la Sibylle, une devineresse, une diseuse de bonne aventure, de logogriphes, et de l’oracle d’Apollon, un faiseur de rébus picards. » Pour avoir une idée nette de ce style, lisons les trois passages suivants.