Avouons que ce tour avait de la grâce, et donnait au style une allure dégagée ; il convenait singulièrement à la prestesse de la poésie légère, et nous avons été mal avisés de nous en défaire. — On aimait tant ce procédé rapide qu’il était de mise pour les sujets, je, tu, il, elle, nous, vous ; on les écartait souvent comme superflus ou importuns. […] Tel est l’emploi d’icel (ecce-ille), et d’icest, celui, celle, traités comme adjectifs démonstratifs dans ces locutions : « Icelle puissance…Celuy temps où…Celle tant renommée victoire… » 5° Tels sont les cas nombreux où figurent les pronoms relatifs qui ou que, usités alors pour ce qui et ce que dans les exemples suivants : « Nous nommons l’armet habillement de teste, qui est (quod est) une vraye sottie de dire par trois paroles ce qu’une seule nous donnoit. » — « Les bourgeois demandoient que (quid) c’estoit. » Nous trouvons encore un parfum de latinité dans ce tour si familier à Montaigne. […] Ce qui plus tard sera réputé audace d’orateur ou de poète était alors non pas licence tolérée, mais droit reconnu de tous, ou plutôt essor spontané d’imaginations toutes jeunes que n’avait point intimidées la férule des régents. « S’enveilloit Gargantua entre… Possible est de… Hasardé n’est point que (ce que) Dieu garde… Si cesse la charrue… — Qui l’arbre transforme, greffe en nouvelle sorte… Pour mieux son œuvre commencer. » Ou je me trompe fort, ou nous avons moins gagné que perdu à nous interdire cette indépendance de tours, qui communiquait à la pensée la grâce d’un premier mouvement. […] L’usage a préféré par consequent à par conséquence, et en conséquence à en conséquent, travailler à ouvrer, conduire à duire, faire du bruit à bruire, injurier à vilainer, piquer à poindre ; et dans les noms, pensées à pensers, un si beau mot et dont le vers se trouvait si bien, grandes actions à prouesses, louanges à loz, méchanceté à mauvaistié, porte à huis, navire à nef, armée à ost, monastère à moutier, prairies à prées, … tous mots qui pouvaient durer ensemble d’une égale beauté, et rendre une langue plus abondante… Si nos ancêtres ont mieux écrit que nous, ou si nous l’emportons sur eux par le choix des mots, par le tour et l’expression, par la clarté et la brièveté du discours, c’est une question souvent agitée, toujours indécise. » Ce plaidoyer n’est point une boutade, et l’usage lui a même donné raison, puisqu’il a repris plusieurs des mots cités par Labruyère comme ayant alors disparu. […] Voilà pourquoi elle a répudié les tours qui n’étaient qu’un embarras ou un piége, en particulier les enlacements de la synthèse, les ellipses et les inversions forcées.