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30. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Chapitre XXIII. des figures. — tropes d’invention et tropes d’usage  » pp. 323-338

Mais quand Racine dit : Quel est ce glaive enfin qui marche devant eux ; quand Corneille crée l’expression que nous avons déjà remarquée : Et tous trois à l’envi s’empressaient ardemment A qui dévorerait ce règne d’un moment ; quand, d’autre part, des hommes de talent se laissent entraîner aux vicieuses métaphores que nous avons signalées plus haut, il est bien évident que ce ne sont plus là des figures de domaine public, dont on ne doit tenir aucun compte à l’écrivain ; elles appartiennent en propre à celui qui les a créées, et peuvent, en conséquence, être étudiées comme formes à imiter ou à fuir. […] Je ne sache pas qu’on ait rendu nettement raison de ce fait, qui tient à la nature même des différentes figures que je viens de nommer. […] Souvent le genre est employé au lieu de l’espèce, et l’espèce au lieu du genre : dans la Fontaine, le quadrupède écume, l’arbre tient bon, pour le lion écume, le chêne tient bon ; au contraire, dans Boileau : Et vit-on, comme lui, les ours et les panthères S’effrayer follement de leurs propres chimères, pour les animaux en général. […] « Nous sommes naturellement portés, dit Quintilien, à exagérer les choses ou à les atténuer ; personne ne se contente de la réalité ; aussi l’hyperbole est-elle un mensonge que l’on pardonne aisément. » On le pardonne, dès qu’on suppose que l’écrivain lui-même est de bonne foi, et parle comme il sent ; ou encore quand tout le monde sait à quoi s’en tenir sur la portée de son expression, ainsi qu’il arrive pour certaines monnaies dont la valeur nominale ne trompe personne sur leur cours réel.

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