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84. (1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome II (3e éd.) « Seconde partie. Des Productions Littéraires. — Section I. Des Ouvrages en Prose. — Chapitre I. Du Discours oratoire. »

« Si je venais déplorer ici la mort imprévue de quelque princesse mondaine, je n’aurais qu’à vous faire voir le monde avec ses vanités et ses inconstances ; cette foule de figures qui se présentent à nos yeux et s’évanouissent ; cette révolution des conditions et de fortunes qui commencent et qui finissent, qui se relèvent et qui retombent ; cette vicissitude de corruptions tantôt secrètes, tantôt visibles, qui se renouvellent ; cette suite de changements en nos corps par la défaillance de la nature, en nos âmes par l’instabilité de nos désirs ; enfin ce dérangement universel et continuel des choses humaines, qui, tout naturel et tout désordonné qu’il semble à nos yeux, est pourtant l’ouvrage de la main toute-puissante de Dieu, et l’ordre de sa providence. […] S’ils font du mal, c’est plutôt pour nuire que pour insulter ; et s’ils sont sensibles à la pitié, ce n’est pas par humanité comme les jeunes gens, mais par faiblesse et par un secret retour sur eux-mêmes, se regardant comme exposés à toutes sortes de maux. […] « Nul presque de tous ceux que le monde séduit et entraîne, n’est content de sa destinée ; et si l’espoir d’une condition plus heureuse s’adoucissait les peines de notre état présent, et ne liait encore nos cœurs au monde, il ne faudrait, pour nous en détromper, que les dégoûts et les amertumes vives que nous y trouvons Mais nous sommes, chacun en secret, ingénieux à nous séduire sur l’amertume de notre condition présente. […] On les raconte partout : le Français qui les vante, n’apprend rien à l’étranger, et quoi que je puisse aujourd’hui vous en rapporter, toujours prévenu par vos pensées, j’aurai encore à répondre au secret reproche que vous me ferez d’être demeuré beaucoup au-dessous.

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