Les amateurs d’anecdotes littéraires n’ont point oublié que Brébeuf avait d’abord commencé la traduction de l’Énéide, et que, fatigué à chaque instant par les contrariétés que lui faisait éprouver la dissonance perpétuelle de son ton boursouflé, avec la douce mélodie et le charme continu de l’expression de Virgile, il alla confier son embarras à Ségrais son ami, qui, de son côté, suait sang et eau pour se monter au ton de Lucain qu’il essayait de traduire, et que les deux amis se proposèrent et firent un échange, dont les deux poètes latins n’eurent guère à s’applaudir, mais dont Virgile surtout se trouva fort mal. […] Ce n était pas un préjugé favorable pour le poème épique ; et malheureusement ce poème était surchargé de tout ce qu’une imagination en délire peut concevoir de plus bizarre et de plus monstrueux : mais à côté de ces étranges fictions, se trouvaient des beautés du premier ordre ; des tableaux charmants contrastaient avec les peintures les plus hideuses ; les sentiments les plus vrais, les plus naïvement exprimés, avec des discours insensés et des actions analogues à ces discours. […] J’engage ceux de mes lecteurs à qui la poésie anglaise est familière, à rapprocher ici la traduction du texte original ; ils verront que le germe de ces vers admirables se trouve dans l’anglais, comme l’Apollon était dans la carrière.