Ils se rencontrent à la même heure aux portes de la ville et se racontent leur voyage. […] Mais s’il s’attardait en route, s’il décrivait pour le plaisir de décrire, s’il racontait pour montrer son esprit ; si, las de rester dans les coulisses et pressé de paraître en scène, il mettait ses propres sentiments dans la bouche de ses personnages ; s’il arrêtait complaisamment son pinceau sur toutes les lignes de son tableau pour faire éclater la richesse de son coloris, l’illusion s’évanouirait, l’action languirait, vos yeux et votre esprit s’éloigneraient de la scène ; distrait, indifférent, vous lorgneriez le parterre et les loges. […] Voici comment ils nous racontent la bataille de Rocroy : Voltaire. — « On remarque que le duc d’Enghien, ayant tout réglé le soir, veille de la bataille, s’endormit si profondément qu’il fallut le réveiller pour combattre. […] Vous avez promis de raconter les choses comme elles se sont passées, plutôt en historien fidèle qu’en avocat intéressé : si vos paroles n’ont pas la simplicité d’un témoignage sincère, si vous forcez les couleurs de votre tableau, si vous laissez trop percer le désir de passionner, si vous vous montrez moins le défenseur de la vérité que celui de votre client, votre bonne foi sera d’autant plus suspecte que votre narration aura été plus habile, et votre éloquence même deviendra une arme que votre adversaire tournera contre vous. […] Ainsi l’histoire, se bornant à raconter, veut une phrase alerte et rapide comme la marche des faits qu’elle expose.