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33. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Descartes, 1596-1650 » pp. 11-20

Mais je ne craindrai pas de dire que je pense avoir eu beaucoup d’heur1 de m’être rencontré dès ma jeunesse en certains chemins qui m’ont conduit à des considérations et des maximes dont j’ai formé une méthode par laquelle il me semble que j’ai moyen d’augmenter par degrés ma connaissance, et de l’élever peu à peu au plus haut point auquel la médiocrité de mon esprit et la courte durée2 de ma vie lui pourront permettre d’atteindre. […] C’est pourquoi, sitôt que l’âge me permit de sortir de la sujétion de mes précepteurs, je quittai entièrement l’étude des lettres ; et, me résolvant de ne chercher plus d’autre science que celle qui se pourrait trouver en moi-même, ou bien dans le grand livre du monde, j’employai le reste de ma jeunesse à voyager, à voir des cours et des armées, à fréquenter des gens des diverses humeurs et conditions, à recueillir diverses expériences, à m’éprouver moi-même dans les rencontres que la fortune me proposait, et partout à faire telle réflexion sur les choses qui se présentaient que j’en pusse tirer quelque profit. […] Si c’est pour votre propre intérêt, il est certain que vous la pouvez mieux réparer que l’autre, en ce que l’acquisition d’un fidèle ami peut autant valoir que l’amitié d’un bon frère2 ; et si c’est pour l’intérêt de celui que vous regrettez, comme sans doute votre générosité ne vous permet pas d’être touché d’autre chose, vous savez qu’il n’y a aucune raison ni religion qui fasse craindre du mal après cette vie à ceux qui ont vécu en gens d’honneur, mais qu’au contraire l’une et l’autre leur promettent des joies et des récompenses.

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