Il passa les douze premières années de sa vie dans le monde et dans les camps, où il servit sous les ordres de Maurice de Nassau et du duc de Bavière (1617-1619). […] Je savais que les langues que l’on y apprend sont nécessaires pour l’intelligence des livres anciens ; que la gentillesse des fables réveille l’esprit ; que les actions mémorables des histoires le relèvent, et qu’étant lues avec discrétion elles aident à former le jugement ; que la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées ; que l’éloquence a des forces et des beautés incomparables ; que la poésie a des délicatesses et des douceurs très-ravissantes ; que les mathématiques ont des inventions très-subtiles, et qui peuvent beaucoup servir tant à contenter les curieux qu’à faciliter tous les arts et diminuer le travail des hommes ; que les écrits qui traitent des mœurs contiennent plusieurs enseignements et plusieurs exhortations à la vertu qui sont fort utiles ; que la théologie enseigne à gagner le ciel ; que la philosophie donne moyen de parler vraisemblablement1 de toutes choses et de se faire admirer des moins savants ; que la jurisprudence, la médecine et les autres sciences apportent des honneurs et des richesses à ceux qui les cultivent ; et enfin, qu’il est bon de les avoir toutes examinées, même les plus superstitieuses et les plus fausses2, afin de connaître leur juste valeur et se garder d’en être trompé. […] Mais lorsqu’on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger en son pays ; et lorsqu’on est trop curieux des choses qui se pratiquaient aux siècles passés, on demeure ordinairement fort ignorant de celles qui se pratiquent en celui-ci. Outre que les fables font imaginer plusieurs événements comme possibles qui ne le sont point, et que même les histoires les plus fidèles, si elles ne changent ni n’augmentent la valeur des choses pour les rendre plus dignes d’être lues, au moins en omettent-elles presque toujours les plus basses et moins illustres circonstances, d’où vient que le reste ne paraît pas tel qu’il est, et que ceux qui règlent leurs mœurs par les exemples qu’ils en tirent sont sujets à tomber dans les extravagances des paladins de nos romans et à concevoir des desseins qui passent leurs forces. […] Il faut lire la lettre qu’il écrivit à l’un de ses anciens professeurs en lui envoyant un de ses ouvrages : « Je juge bien que vous n’aurez pas retenu les noms de tous les disciples que vous aviez il y a vingt-trois ou vingt-quatre ans (la lettre est du 15 juin 1637, et Descartes avait quitté le collége en 1612), lorsque vous enseigniez la philosophie à la Flèche, et que je suis du nombre de ceux qui sont effacés de votre mémoire ; mais je n’ai pas cru pour cela devoir effacer de la mienne les obligations que je vous ai, ni n’ai pas perdu le désir de les reconnaître, bien que je n’aie aucune occasion de vous en rendre témoignage, sinon qu’ayant fait imprimer ces jours passés le volume que vous recevrez en cette lettre, je suis bien aise de vous l’offrir, comme un fruit qui vous appartient… » 2.