Il est malheureux qu’un pareil ouvrage ne nous soit point parvenu tout entier. […] Puisqu’une tragédie, pour avoir toute sa perfection possible, doit être implexe et non simple, et être l’imitation du terrible et du pitoyable (car c’est le propre de ce genre d’imitation), il s’ensuit d’abord qu’elle ne doit point présenter des personnages vertueux, qui d’heureux deviendraient malheureux ; car cela ne serait ni pitoyable, ni terrible, mais odieux : ni des personnages méchants, qui de malheureux deviendraient heureux ; car c’est ce qu’il y a de moins tragique. Cela n’a même rien de ce qui doit être dans une tragédie : il n’y a ni pitié, ni terreur, ni exemple pour l’humanité ; ce ne sera pas non plus un homme très méchant, qui d’heureux deviendrait malheureux : il pourrait y avoir un exemple, mais il n’y aurait ni pitié ni terreur : l’une a pour objet l’innocent, l’autre notre semblable qui souffre ; car la pitié naît du malheur non mérité, et la terreur, du malheur d’un être qui nous ressemble. […] La chose est odieuse, sans être tragique ; car il n’y a nul événement malheureux : aussi a-t-elle été rarement employée.