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49. (1859) Principes de composition française et de rhétorique. Vol. I « Première partie — Chapitre V. — Qualités particulières du Style »

Tel paraît à nos yeux le plumage du paon, lorsqu’il se promène paisible et seul dans un beau jour de printemps ; mais si sa femelle vient tout à coup à paraître, si les feux, de l’amour, se joignant aux secrètes influences de la saison, le tirent de son repos, lui inspirent une nouvelle ardeur et de nouveaux désirs, alors toutes ses beautés se multiplient, ses yeux s’animent et prennent de l’expression, son aigrette s’agite sur sa tête et annonce l’émotion intérieure ; les longues plumes de sa queue déploient en se relevant leurs richesses éblouissants ; sa tête et son cou, se renversant noblement en arrière, se dessinent avec grâce sur ce fond radieux, où la lumière du soleil se joue en mille manières, se perd et se reproduit sans cesse, et semble prendre un nouvel éclat plus doux et plus moelleux, de nouvelles couleurs plus variées et plus harmonieuses ; chaque mouvement de l’oiseau produit des milliers de nuances nouvelles, des gerbes de reflets ondoyants et fugitifs, sans cesse remplacés par d’autres reflets et d’autres nuances toujours diverses et toujours admirables. […] Mais lorsqu’il se sera fait un plan, lorsqu’une fois il aura rassemblé et mis en ordre toutes les pensées essentielles à son sujet, il s’apercevra aisément de l’instant auquel il doit prendre la plume, il sentira le point de maturité de la production de l’esprit, il sera pressé de la faire éclore, il n’aura même que du plaisir à écrire ; les idées se succéderont aisément, et le style sera naturel et facile, la chaleur naîtra de ce plaisir, se répandra partout, et donnera de la vie à chaque expression : tout s’animera de plus en plus ; le ton s’élèvera, les objets prendront de la couleur ; et le sentiment, se joignant à la lumière, l’augmentera, la portera plus loin, la fera passer de ce que l’on a dit à ce que l’on va dire, et le style deviendra intéressant et lumineux. […] Rien ne s’oppose plus à la chaleur que le désir de mettre partout des traits saillants ; rien n’est plus contraire à la lumière, qui doit faire un corps et se répandre uniformément dans un écrit, que ces étincelles qu’on ne lire que par force en choquant les mots les uns contre les autres, et qui ne nous éblouissent pendant quelques instants que pour nous laisser ensuite dans les ténèbres. […] Rien n’est encore plus opposé à la véritable éloquence que l’emploi de ces pensées fines, et la recherche de ces idées légères, déliées, sans consistance, et qui, comme la feuille du métal battu, ne prennent de l’éclat qu’en perdant de la solidité : aussi, plus on mettra de cet esprit mince et brillant dans un écrit, moins il aura de nerf, de lumière, de chaleur et de style, à moins que cet esprit ne soit lui-même le fond du sujet, et que l’écrivain n’ait pas eu d’autre objet que la plaisanterie ; alors l’art de dire de petites choses devient peut-être plus difficile que l’art d’en dire de grandes. […] « Le style de l’Écriture, dit La Harpe, est au-dessus de tout autre : les trois grandes vertus du christianisme, la Foi, l’Espérance et la Charité respirent dans les psaumes, comme dans tous les livres émanés de l’Esprit Saint, et c’est là ce qui rendra toujours ce recueil si précieux : car, sans la foi, l’âme est privée de lumières ; sans la charité, le cœur est vide de bonnes œuvres : sans l’espérance, la vie n’a point d’objet, et la mort n’a point de consolation. » À toutes les citations qui ont été faites dans ce chapitre : nous ajouterons le célèbre Cantique de Moïse, que tous les enfants des Israélites devaient apprendre par cœur, Ce beau cantique est plein d’éloquence.

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