Tout le reste, la visite à l’île, la colonisation de l’île, les combats contre les sauvages, les voyages en Chine et en Tartarie, c’est-à-dire au moins la moitié du livre, ne présente plus ni intérêt, ni originalité, ni rapport avec l’idée fondamentale ; et quand enfin l’auteur s’arrête, on ne sait pas pourquoi il le fait ; il n’a aucun motif pour ne pas continuer, pour ne pas ajouter autant de volumes qu’en peut admettre un voyage autour du monde. […] Ce qu’on a droit d’exiger dans toute fiction, drame ou roman, c’est d’abord que le dénoûment soit amené, c’est-à-dire, comme le veut Aristote, que les événements ne viennent pas simplement les uns après les autres, mais qu’ils naissent les uns des autres ; c’est ensuite qu’autant que possible il soit imprévu ; le premier élément de l’intérêt, c’est pour ainsi dire ce balancement de l’âme suspendue entre la crainte et l’espoir jusqu’à ce que D’un secret tout à coup la vérité connue Change tout, donne à tout une face imprévue. […] Dans celle-ci, c’est la péroraison suppliante, commiseratio ; il termine par le tableau le plus pathétique des douleurs de son client, d’autant plus habile ici, que, connaissant la fierté du caractère de Milon, il prend pour lui-même ce rôle de suppliant que dédaignait l’accusé ; et après lui avoir ainsi concilié l’intérêt de ses juges, s’il le fait parler, les paroles qu’il lui prète ne sont plus empreintes que d’une dignité affectueuse et d’une touchante fermeté.