On peut lui appliquer ce trait : « qui dit auteur, dit oseur. » Exorde de son quatrième mémoire 1 Si l’être bienfaisant qui veille à tout m’eût un jour honoré de sa présence et m’eût dit : « Je suis Celui par qui tout est ; sans moi tu n’existerais point ; je te douai d’un corps sain et robuste ; j’y plaçai l’âme la plus active ; tu sais avec quelle profusion je versai la sensibilité dans ton cœur et la gaieté sur ton caractère ; mais tu serais trop heureux si quelques chagrins ne balançaient pas cet état fortuné : aussi tu vas être accablé sous des calamités sans nombre ; déchiré par mille ennemis ; privé de ta liberté, de tes biens ; accusé de rapines, de faux, d’imposture, de corruption, de calomnie ; gémissant sous l’opprobre d’un procès criminel ; garrotté dans les liens d’un décret ; attaqué sur tous les points de ton existence par les plus absurdes on dit ; et ballotté longtemps au scrutin de l’opinion publique, pour décider si tu n’es que le plus vil des hommes ou seulement un honnête citoyen », je me serais prosterné, et j’aurais répondu : « Être des êtres, je te dois tout, le bonheur d’exister, de penser et de sentir ; je crois que tu nous as donné les biens et les maux en mesure égale ; je crois que ta justice a tout sagement compensé pour nous, et que la variété des peines et des plaisirs, des craintes et des espérances, est le vent frais qui met le navire en branle et le fait avancer gaiement dans sa route. […] Heureux encore quand une expérience de soixante-quatre ans et demi ne lui aurait pas appris à parler, que cet événement lui apprît au moins à se taire ! […] Je sais que mon désir est difficile à satisfaire, mais rien n’est impossible à ta puissance2. » Enfin, si dans la foule des maux prêts à m’accabler, si dans la nécessité d’un procès aussi bizarre, cet Être bienfaisant m’eût laissé le choix du tribunal, je l’aurais supplié qu’il fût tel que, tout près encore de la naissance de ses augustes fonctions, il pût sentir que l’expulsion d’un membre vicié l’honorait plus aux yeux de la nation que cent jugements particuliers, où les murmures des malheureux balancent toujours l’éloge que les heureux sont tentés de donner. […] Avouons-le de bonne foi, force n’est pas bonheur : il faut une vertu plus qu’humaine pour être heureux étant mésestimé ; mais je n’en ai que mieux goûté depuis combien l’estime publique est douce à recueillir. […] Si j’ajoute à cela les offres multipliées de secours et de services d’une foule d’honnêtes gens, et les consolations particulières de l’amitié, vous conviendrez que l’exemple vivant d’une heureuse compensation du mal par le bien est ici joint aux enseignements de la douce philosophie.