mes frères, si nous sentions les misères de notre âme, comme nous sentons celles de notre corps ; si notre salut éternel nous intéressait autant qu’une fortune de boue, ou une santé fragile et périssable, nous serions habiles dans l’art divin de la prière ; nous ne nous plaindrions pas que nous n’avons rien à dire en la présence d’un Dieu à qui nous avons tant à demander ; il ne faudrait pas donner la gêne à notre esprit, pour trouver de quoi nous entretenir avec lui ; nos maux parleraient tout seuls ; notre cœur s’échapperait malgré nous-mêmes en saintes effusions, comme celui de la mère de Samuel devant l’arche du Seigneur ; nous ne serions plus maîtres de notre douleur et de nos larmes ; et la plus sûre marque que nous n’avons point de foi, et que nous ne nous connaissons pas nous-mêmes, c’est que nous ne savons que dire au Seigneur dans le court intervalle d’une prière. — Faut-il apprendre à un malade à demander sa guérison ; à un homme pressé de la faim, à solliciter de la nourriture ; à un infortuné battu de la tempête, et sur le point d’un triste naufrage, à implorer du secours ? […] Tout parle en lui ; tout exprime sa douleur ; tout annonce sa peine ; tout sollicite son soulagement : son silence même est éloquent. — Dès qu’une infirmité fâcheuse menace votre vie, qu’un événement inattendu met vos biens et votre fortune en péril, qu’une mort prochaine est sur le point de vous enlever une personne ou chère ou nécessaire ; alors vous levez les mains au ciel, vous y faites monter des gémissements et des prières ; vous vous adressez au Dieu qui frappe et qui guérit ; vous savez prier alors ; vous n’allez pas chercher hors de votre cœur des leçons et des règles pour apprendre à lui exposer votre peine, ni consulter des maîtres habiles pour savoir ce qu’il faut lui dire ; vous n’avez besoin que de votre douleur : vos maux tout seuls ont su vous instruire. — Si vous priez rarement, le Seigneur sera toujours pour vous un Dieu étranger et inconnu, pour ainsi dire, devant qui vous serez dans une espèce de gêne et de contrainte ; avec qui vous n’aurez jamais ces effusions de cœur, cette douce confiance, cette sainte liberté que la familiarité toute seule donne, et qui fait tout le plaisir de ce commerce divin. […] « Rien n’est plus ordinaire que de vous entendre justifier vos animosités, en nous disant que cet homme n’a rien oublié pour vous perdre ; qu’il a fait échouer votre fortune ; qu’il vous suscite tous les jours des affaires injustes ; que vous le trouvez partout sur votre chemin, et qu’il est difficile d’aimer un ennemi acharné à vous nuire.