/ 303
88. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section première. La Tribune politique. — Chapitre V. De l’Éloquence politique chez les Français. »

Si l’on en excepte quelques discours prononcés dans les divers parlements, et quelques écrits éloquents où l’on discutait des questions de politique, nous n’avions absolument rien en ce genre. […] Telle fut, pour notre patrie, l’époque du régime révolutionnaire ; le coup le plus mortel qu’il ait porté à la langue et à l’éloquence françaises, n’est pas seulement d’avoir introduit une foule de mots barbares déjà oubliés, et qui ne pouvaient survivre aux choses qui les avaient introduits dans le discours, mais d’avoir accoutumé les esprits à déraisonner sans cesse, par l’affectation même de vouloir toujours raisonner, et de rester sans cesse à côté de la vérité en disant autre chose que ce qu’on voulait dire, ou en le disant autrement qu’on ne le devait. […] De Sèze ; son discours est resté, et sera cité par nos neveux, comme un monument des derniers efforts de l’éloquence en faveur de la justice et de la vertu ; et si ses efforts ont été impuissants, c’est qu’il n était pas donné à l’éloquence humaine d’émouvoir alors ce qui n’avait plus rien d’humain. Si quelque chose pouvait ajouter au mérite de ce beau discours, c’est la pensée que l’orateur, entravé de toutes parts et de toutes manières, n’eut que quatre nuits pour rédiger une pareille défense ; mais il fallait un prodige, et son courage l’a fait : son courage l’a élevé à la dignité de son sujet ; et c’eût été quelque chose encore de ne pas rester infiniment au-dessous.

/ 303