Mais la critique leur a présenté bientôt le bouclier d’Ubalde ; et ils se sont vus tels qu’ils étaient, c’est-à-dire, de très faibles imitateurs du poète sans contredit le plus riche, le plus fécond, le plus varié des modernes, et le seul d’entre eux qui ait pris à jamais sa place à côté d’Homère pour l’invention, mais à une grande distance de Virgile, pour le fini des détails et le charme continu de la diction. […] Détracteurs et panégyristes se sont également arrêtés sur les détails, avec l’intention louable de trouver des beautés, ou le plaisir malin de révéler des fautes : mais l’ensemble de cette composition d’un ordre et d’un style tout particuliers, le genre auquel il faut rapporter un ouvrage à la fois théologique, moral, littéraire et poétique, sans être rigoureusement rien de tout cela, voilà des points qui devaient, ce me semble, être discutés d’abord, et à la faveur desquels on eût peut-être expliqué les écarts fréquents de l’auteur, et les nombreuses disparates d’un style, dont rien n’approche quand il s’élève, et qui reste au-dessous de bien des écrivains, quand il tombe. […] Delille se sentait irrésistiblement entraîné ; et l’essai brillant qu’il venait d’en faire dans les Géorgiques, lui réussit également dans le poème des Jardins, ouvrage qu’il n’a jamais surpassé quant aux ornements de détail et à la poésie du style. […] Mais quelle profusion de beautés, quelles richesses de détail couvrent et font pardonner ces fautes ! […] On ne saurait croire avec quel art il saisit un trait heureux, une belle image, une grande pensée, quand elle se présente, pour la développer et l’étendre en vers harmonieux187 ; avec quel goût il passe légèrement sur des détails qui répugneraient à notre délicatesse française ; avec quel bonheur il rend supportable ce qu’il lui est impossible de supprimer tout à fait ; rien, enfin, n’égale son attention scrupuleuse à faire valoir tout ce que son auteur a de bon, à pallier adroitement tout ce qu’il offre de défectueux.