La nature morte et la nature animée par l’homme Voyez ces plages désertes, ces tristes contrées où l’homme n’a jamais résidé, couvertes ou plutôt hérissées de bois épais et noirs dans toutes les parties élevées ; des arbres sans écorce et sans cime, courbés, rompus, tombant de vétusté ; d’autres en plus grand nombre, gisants au pied des premiers, pour pourrir sur des monceaux déjà pourris, étouffent, ensevelissent les germes prêts à éclore2. La nature, qui partout ailleurs brille par sa jeunesse, paraît ici dans la décrépitude : la terre surchargée par le poids, surmontée par les débris de ses productions, n’offre, au lieu d’une verdure florissante, qu’un espace encombré, traversé de vieux arbres chargés de plantes parasites, de lichens, d’agarics, fruits impurs de la corruption ; dans toutes les parties basses, des eaux mortes et croupissantes faute d’être conduites et dirigées ; des terrains fangeux, qui, n’étant ni solides ni liquides, sont inabordables, et demeurent également inutiles aux habitants de la terre et des eaux ; des marécages qui, couverts de plantes aquatiques et fétides, ne nourrissent que des insectes venimeux et servent de repaire aux animaux immondes. Entre ces marais infects qui occupent les lieux bas, et les forêts décrépites qui couvrent les terres élevées, s’étendent des espèces de landes, des savanes qui n’ont rien de commun avec nos prairies ; les mauvaises herbes y surmontent, y étouffent les bonnes ; ce n’est point ce gazon fin qui semble faire le duvet de la terre, ce n’est point cette pelouse émaillée qui annonce sa brillante fécondité : ce sont des végétaux agrestes, des herbes dures, épineuses, entrelacées les unes dans les autres, qui semblent moins tenir à la terre qu’elles ne tiennent entre elles, et qui, se desséchant et repoussant successivement les unes sur les autres, forment une bourre grossière, épaisse de plusieurs pieds. […] Cependant il ne règne que par droit de conquête ; il jouit plutôt qu’il ne possède, il ne conserve que par des soins toujours renouvelés ; s’ils cessent, tout languit, tout s’altère, tout change, tout rentre sous la main de la nature : elle reprend ses droits, efface les ouvrages de l’homme, couvre de poussière et de mousse ses plus fastueux monuments, les détruit avec le temps, et ne lui laisse que le regret d’avoir perdu par sa faute ce que ses ancêtres avaient conquis par leurs travaux.