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19. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Lamartine 1790-1869 » pp. 506-523

J’arrive, et frappe en vain ; le gardien du foyer, Son chien même, à mes coups ne vient pas aboyer ; Je presse le loquet d’un doigt lourd et rapide2, Et j’entre dans la cour, aussi muette et vide. […] Dans notre toit d’enfant presque rien de changé1 ; Le temps, si lent pour nous, n’avait rien dérangé : C’était toujours la salle ouvrant sur la pelouse, Le réduit qu’obscurcit la liane jalouse, La chambre maternelle où nous vînmes au jour, Celle de notre père, à côté, sur la cour ; Ces meubles familiers qui d’une jeune vie, Sous notre premier toit, semblent faire partie, Que l’on a toujours vus, connus, aimés, touchés2 ; Cette première couche où Dieu nous a couchés, Cette table où servait la mère de famille3, Cette chaise où la sœur, travaillant à l’aiguille Auprès de la fenêtre, en cet enfoncement, Sous ses cheveux épars penchait son front charmant ; Sur les murs décrépits ces deux vieilles gravures Dont les regards étaient toujours sur nos figures ; Et, près du vieux divan que la fleur nuançait, L’estrade où de son pied ma mère nous berçait. […] » Puis tombant elle-même à genoux sur le bord, Et des mains embrassant le pilier de la couche, Comme nous en pleurant elle y colla sa bouche ; Ses larmes sur le bois ruisselaient à grands flots, Et la chambre un moment fut pleine de sanglots1… Mais des pieds de chevaux dans la cour résonnèrent, Le marteau retentit, et les cloches sonnèrent. […] » Rentrer seul, dans la cour se glisser en silence, Sans qu’au-devant du vôtre un pas connu s’avance, Sans que de tant d’échos qui parlaient autrefois Un seul, un seul au moins tressaille à votre voix ; Sans que le sentiment amer qui vous inonde Déborde hors de vous dans un seul être au monde, Excepté dans le cœur du vieux chien du foyer, Que le bruit de vos pas errants fait aboyer !

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