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43. (1912) Morceaux choisis des auteurs français XVIe, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles

Après s’être bien aperçu de la manière qu’avait ce singe, qui était de faire en la propre sorte qu’il voyait faire (car, si Blondeau avait aiguisé son tranchet, ce singe l’aiguisait après lui ; s’il avait poissé du ligneul227, ainsi faisait ce singe ; s’il avait cousu quelque carrelure228, ce singe s’en venait jouer des coudes comme il lui avait vu faire), à l’une des fois Blondeau aiguisa un tranchet et le fit couper comme un rasoir, et puis, à l’heure qu’il vit ce singe en aguet, il commença à se mettre ce tranchet contre la gorge et le mener et ramener comme s’il se fût voulu égosiller. […] Car toutes mes pièces étaient semées de petits morceaux de cailloux, qui étaient si bien attachés autour des dits vaisseaux et liés avec l’émail, que, quand on passait les mains par dessus, les dits cailloux coupaient comme rasoir ; et combien que la besogne fût par ce moyen perdue, toutefois aucuns en voulaient acheter à vil prix : mais parce que c’eût été un décriement et rabaissement de mon honneur, je mis en pièces entièrement le total de la dite fournée341, et me couchai de mélancolie, non sans cause, car je n’avais plus de moyen de subvenir à ma famille ; je n’avais en ma maison que reproches ; en lieu de me consoler, l’on me donnait des malédictions : mes voisins, qui avaient entendu cet affaire342, disaient que je n’étais qu’un fol, et que j’eusse eu plus de huit francs de la besogne que j’avais rompue, et étaient toutes ces nouvelles jointes avec mes douleurs. […] Il fallut lui couper le bras, qui ne tenait presque à rien. […] La Suède ressemblait à un fleuve dont on coupait les eaux dans sa source, pendant qu’on les détournait dans son cours.

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